29/10/2020 22'16 Cendrars, Houellebecq : Portrait photographique et présentatio
29/10/2020 22'16 Cendrars, Houellebecq : Portrait photographique et présentation de soi Page 1 sur 7 https://journals.openedition.org/contextes/5908 Accueil Numéros thématiques 14 Cendrars, Houellebecq : Portrait ... COnTEXTES Revue de sociologie de la littérature 14 | 2014 Le portrait photographique d'écrivain Cendrars, Houellebecq : Portrait photographique et présentation de soi JÉRÔME MEIZOZ https://doi.org/10.4000/contextes.5908 Entrées d'index Mots-clés: Photographie, Posture, Médias, Cendrars (Blaise), Houellebecq (Michel) Texte intégral Posture et présentation de soi Dans la mesure où certains clichés deviennent des icônes laïques, le portrait photographique d’écrivain contribue sans doute massivement à la diffusion et à la reconnaissance de « postures » d’auteur. Il objective le processus de singularisation de l’artiste tout en l’archivant. En cela fournit un corpus intéressant pour une étude des conduites publiques des acteurs de la vie littéraire. 1 La « posture » désigne la présentation de soi de l’écrivain, en tant que rôle dans des situations littéraires publiques. Elle suppose de concevoir l’activité littéraire comme une performance scénique régie par des codes incorporés. Le travail postural peut se décrire à partir d’un modèle interactionniste comme celui d’Erving Goffman, pour lequel l’effet de présence de l’acteur résulte non de son seul jeu, mais de tout le dispositif scénique : 2 HOME CATALOGUE OF 546 JOURNALS OPENEDITION SEARCH All OpenEdition 29/10/2020 22'16 Cendrars, Houellebecq : Portrait photographique et présentation de soi Page 2 sur 7 https://journals.openedition.org/contextes/5908 Un spectacle correctement mis en scène et joué conduit le public à attribuer un moi à un personnage représenté, mais cette attribution est le produit et non la cause d’un spectacle. Le moi en tant que personnage représenté n’est donc pas une réalité organique ayant une localisation précise et dont le destin serait essentiellement de naître, d’évoluer et de mourir ; c’est un effet dramatique qui se dégage d’un spectacle que l’on propose et la question décisive est de savoir si on y ajoute foi ou non. […] Le moi est un produit de toutes ces dispositions scéniques, et il porte les marques de cette origine dans chacun de ses parties1. Le portrait photographique d’écrivain Penser en termes posturaux implique une conception plurielle du sujet et de l’action. On insiste alors sur la capacité de l’individu à renégocier les statuts et les rôles qui lui sont assignés. Loin de reproduire simplement les contraintes objectives pesant sur l’auteur, une posture rejoue une position et un statut social dans une performance globale qui a valeur de positionnement dans une sphère codée de pratiques. 3 Le terme de posture se rapproche de la notion latine de persona. Celle-ci désigne le masque, au théâtre, qui institue tout à la fois une voix et son contexte d’intelligibilité. Sur la scène d’énonciation de la littérature, l’auteur ne peut se présenter et s’exprimer que muni de sa persona, sa posture. Ainsi la posture est-elle constitutive de toute apparition sur la scène littéraire. Elle ne concerne pas seulement les artistes qui se composent sciemment une identité publique pour des raisons de publicité. Les postures ne sont donc pas des créations de l’ère médiatique, mais inhérentes à la dimension publique de l’activité littéraire. 4 Une posture n’est signifiante qu’en relation avec la position occupée par un auteur dans le champ littéraire du moment. Elle s’affirme souvent avec et contre d’autres postures (auteurs, mouvements, écoles). Il faut donc lire relationnellement des postures (Rousseau/Voltaire ; Vallès/Zola ; Sartre/les Hussards ; Aragon/Breton ; Sartre/Aron). Phénomène interactionnel, la posture résulte d’une co-construction d’éléments par l’auteur et tous ses médiateurs (biographes, journalistes, critiques, lecteurs, etc.). Elle évolue dans un rapport dialectique de proposition/réaction. Bien que cherchant à se donner comme singulière, une posture ne se rattache pas moins à un répertoire postural présent dans la mémoire cumulée des attitudes, images et accessoires littéraires. Pour se singulariser, les auteurs opèrent des variations sur un répertoire postural lui-même en constante évolution. 5 Enfin, on appellera posture tout à la fois un ensemble de conduites et de discours : d’une part la présentation de soi, le masque institutionnel (la persona), les conduites publiques de la vie littéraire (prix, discours, banquets, entretiens en public, etc.) ; les photographies relèvent de cette catégorie ; d’autre part, l’image de soi donnée dans et par le discours, ce que la rhétorique nomme l’ethos. 6 L’image d’un auteur, on l’a dit, est en partie le produit de ses divers médiateurs. Du point de vue sociologique, l’auteur ne désigne pas seulement le responsable et l’ayant droit d’un texte, mais constitue une création collective, un « fétiche institutionnel », « l’œuvre de tous ceux qui le font apparaître en public2. » La modernité médiatique a accéléré cette fabrication, en substituant au livre son auteur visible et audible. Olivier Nora note : « On consomme aujourd’hui la voix et l’image de l’auteur sans avoir souvent lu une seule ligne de lui : l’effet charismatique propre à l’écriture ne repose plus sur la lecture, mais sur l’audition et la vision3. » Les auteurs de Portraits de l’écrivain contemporain, de même : « Une fois entré dans l’empire de la vidéosphère, l’écrivain ne cesse plus de se compliquer de ses doubles, de s’augmenter de ses portraits 7 29/10/2020 22'16 Cendrars, Houellebecq : Portrait photographique et présentation de soi Page 3 sur 7 https://journals.openedition.org/contextes/5908 multipliés. Il se diffracte… et du même coup disparaît ? Ou apparaît en gloire ? En gloire : la médiatisation de l’écrivain, en un sens, ne fait que jouer un nouvel acte de cette très ancienne pièce qui se nomme la poursuite de la fama4. » Thierry Lenain désigne du nom d’« images-personnes » ces représentations de l’artiste qui mettent en scène son visage et son corps. Elles en assurent la reproduction technique à large échelle, leur conférant, comme aux images de saints dans la tradition chrétienne, un halo sacral et un impact émotionnel important parmi le public5. Une récente exposition, au Musée royal de Mariemont (Belgique, été 2012), intitulée Écrivains, modes d’emploi, propose de considérer l’écrivain comme un « objet culturel »6. À cette occasion, ont été exposées diverses interventions d’artistes autour de l’écrivain en personne : dans Bloody Amélie, Pierre & Gilles colorisent une photographie d’Amélie Nothomb pour illustrer la couverture de son roman Le Fait du Prince (Albin Michel 2008)7. Nothomb y pose telle une Vierge en prière, iconographie qui fait écho à l’image de la conception divine, à laquelle elle recourt pour expliquer sa prolifique production romanesque. Quand elle déclare à ce propos, « Je suis enceinte pour la 72e fois !8 », cette configuration fait exister l’œuvre avant tout par son lien physiologique à l’écrivain. Dans Bloody Amélie, l’image de l’auteure relève d’un travail artistique qui inclut la personne de Nothomb à l’espace péritextuel de l’œuvre. Qui fait donc entrer la personne dans le dispositif de l’œuvre. 8 Dans son Houellebecq (2010, à consulter en ligne9) le peintre allemand Ulrich Lamsfuss s’inspire de photos pour représenter l’écrivain à succès et prix Goncourt 2010 lors d’une soirée festive, entouré de deux convives masqués. Sa toile joue du contraste entre une iconographie de style hyperréaliste (qui fait allusion aux images à sensation de la presse people, dont un des procédés consiste à révéler publiquement le monde privé d’une personnalité) et la technique délibérément à l’ancienne de l’huile sur toile, qui rappelle la tradition du portrait des grands hommes. 9 Ne plus seulement rencontrer un auteur à travers son texte, mais pouvoir l’identifier, reconnaître son visage et son corps, posséder ses images, chercher derrière les reproductions la personne réelle (avec la collection d’autographes, la demande de dédicaces), tout cela contribue à transformer le rapport du lecteur à l’œuvre. Assurément, quand nous lisons les romans de Houellebecq pour suivre les aventures du narrateur « Michel », nous investissons dans l’acte de lecture tout ce que nous savons de l’écrivain Houellebecq comme personnalité publique. La lecture est informée de savoirs externes au roman, agrégés ensuite à nos inférences. Les travaux narratologiques récents de Raphaël Baroni ont montré combien le fait de disposer d’informations biographiques sur l’auteur affecte le geste de lecture10. Dans cette perspective j’inclus dans mon champ de recherche non seulement les écrits, mais également les conduites d’écrivain en situations littéraires publiques. 10 Dans l’histoire des images de l’écrivain, après la peinture et le buste sculpté, avant la vocalité de la radio et la corporalité de la télévision, la photographie apporte une nouveauté décisive pour la constitution d’une imagerie constituée cumulativement. Celle-ci, selon Jean-Benoît Puech, fixe des « personnages caricaturaux ou idéalisés11 », tous porteurs d’« accessoires symboliques » rattaché à un «espace emblématique de l’écrivain12 ». Dans son programme d’étude de l’auteur, Puech invite à distinguer le « portrait » photographique posé (« descriptif, statique, synthétique ») de l’« instantané » (« narratif, dynamique, chronologique, réaliste13 ». Le premier renvoie au monde public (le rôle écrivain), le second au monde privé (l’écrivain comme père de famille, vacancier, sportif, etc.). Le portrait posé saisit l’écrivain comme fonction publique ; certains « instantanés » peuvent viser à représenter la personne privée, mais chaque cliché mérite réflexion. 11 29/10/2020 22'16 Cendrars, Houellebecq : Portrait photographique et présentation de soi Page 4 uploads/Litterature/ jerome-meizoz-cendrars-houellebecq-portrait-photographique-et-presentation-de-soi.pdf
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- Publié le Apv 13, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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