L’expérience littéraire chez Proust. Torres Guerrero Francisco Innombrables son
L’expérience littéraire chez Proust. Torres Guerrero Francisco Innombrables sont les expériences qu’une personne éprouve le long de sa vie ; pourtant, seulement quelques-unes ont une transcendance dans la vie de cette personne et encore moins d’elles dépassent toutes les autres et marquent la vie d’autres personnes, une langue et même l’Histoire. Marcel Proust (1871-1922), un des écrivains français les plus célèbres, considéré comme un « génie littéraire »1, écrivit une œuvre tellement majestueuse : À la Recherche du temps perdu, contemplée comme un « inestimable cadeau au monde entier »2, dans laquelle se trouve l’ouvrage Du côté de chez Swann. C’est dans ce livre que le majestueux passage, le plus lu de toute sa production, celui de la madeleine, est situé. Sur toute la longueur de ce fragment, d’une manière détaillée et grandiose, Proust décrit une expérience foudroyante subie pendant que Marcel, le personnage principal de l’œuvre, mangeait une madeleine avec du thé de tilleul. Alors, quelle expérience littéraire manifeste-t-elle À la recherche du temps perdu, du moment historique ou elle s’écrit et de l’histoire qui le précède et produit cet événement poétique ? Autrement dit : comment le passage de la madeleine en témoigne-t-il de cette expérience, que cela soit ou non son but spécifique. En premier lieu nous examinerons de manière général, l’environnement de Proust et les idées conçues dans son œuvre, comme la mémoire involontaire et l’existence de deux « moi ». 1 Curtis, Jean-Louis, Marcel Proust, le génie littéraire du XXe siècle, Paris, Académie Française, 1995. 2 Ibid. En second lieu nous décortiquerons l’expérience littéraire telle qu’elle est, c’est-à-dire la manière par l’intermédiaire de laquelle, le passage de la madeleine peut évoquer l’épiphanie jusqu’aujourd’hui. Il est bien connu que Proust se trouve « entre deux siècles »3, tel qu’Antoine Compagnon le formule ; par extension, notre célèbre écrivain français est tributaire d’une double tradition : d’un côté le symbolisme, d’un autre côté l’impressionnisme ; nonobstant, quelques uns soutiennent que l’auteur de la Recherche est plus attaché au siècle qui le vit naître, comme déclare Matthieu Vernet. L’élève de Compagnon assure que la figure baudelairienne « semble de loin la plus importante » 4 dans son œuvre, il explique qu’elle est pleine d’allusions à Baudelaire et qu’on peut rencontrer beaucoup d’intertexte dans la totalité de sa composition. L’exemple le plus notoire est que l’auteur de la Recherche, dans le passage de la madeleine, crée une épiphanie, une révélation ; on trouve ainsi les Correspondances dans Proust. On peut aussi retrouver dans l’abondante production de Proust plusieurs idées conçues par le philosophe Henri Bergson, qui devint son parent après avoir épousé une cousine de l’écrivain. Le penseur français distingue le temps de l’horloge —un temps abstrait, matérialisé et mesurable— du temps réel, qui est la durée de la vie intérieure ; il signale aussi l’existence de deux types de mémoire : la « mémoire-habitude » (fondée sur la répétition) et la « mémoire-souvenir » (où chaque état de conscience est unique). Dans le rapiéçage 3 Compagnon, Antoine, Proust entre deux siècles, Paris, Éditions du Seuil, 2013. 4 Vernet, Matthieu, « Proust et Baudelaire : genèse, texte et intertexte », La lettre du Collège de France [En ligne], 33 | octobre 2012, mis en ligne le 01 octobre 2015, consulté le 15 mars 2016. URL : http://lettre-cdf.revues.org/2577 proustien, on apprécie l’influence de son cousin : Proust développe les concepts de « mémoire volontaire » par rapport à la première et « mémoire involontaire » en proportion de la seconde. C’est la « mémoire involontaire » qui est développée dans le passage de la madeleine. De plus, on trouve dans ce fragment de son œuvre d’autres concepts proustiens qui vont de pair avec des idées bergsoniennes, comme le « moi social » qui est vinculé à l’environnement où l’on vit, par comparaison au « moi superficiel » de Bergson, qui est l’espace où nous nous dispersons ; et le « moi profond », un moi plus personnel, plus sentimental, chez Proust, et celui de la durée où nous nous retrouvons nous-mêmes, chez Bergson. C’est dans ce dernier « moi » où l’expérience littéraire s’inscrit. Cette structure binaire de l’idée des deux « moi » se trouve dans l’ouvrage Contre Sainte-Beuve de Proust, où il s’oppose au modèle sainte-beuvien, qui remarque le synchronisme entre vie et œuvre d’un auteur : « Un livre est le produit d’un autre moi que celui que nous manifestions dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices »5. Allons donc définir une expérience littéraire. D’une manière très simple, elle est un événement vécu qui se transmet au moyen d’un texte, la manière pour transmettre les expériences est à travers les sens. Le passage de la madeleine contient clairement une de ces expériences, en fait ce fragment est une « expérience psychologie aboutissant à l’épiphanie 5 Proust, Marcel, Contre Sainte-Beuve, édition numérique par publie.net, disponible sur : http://promethee.philo.ulg.ac.be/engdep1/download/proust/french/pdf/Contre%20Sainte- Beuve.pdf, p. 168. du Temps Retrouvé » 6 . C’est moyennant les synesthésies —le gout, le toucher de la madeleine, l’odeur du thé de tilleul— que Proust fait imaginer et sentir au lecteur comme s’il vivait la situation qu’il décrit. Néanmoins, au-delà de ce fait de manger la madeleine, il y a une expérience majeure ; celle du souvenir, de la mémoire involontaire, dont la madeleine est le symbole déchaînant. Lorsque Marcel se rend compte du souvenir de l’enfance et comprend la cause, le lecteur peut avoir une expérience similaire, mais il peut ou non la vinculer à la madeleine, selon son environnement ; il l’attache notamment à une autre expérience qu’il ait vécue antérieurement ; puisqu’il connaît la sensation que la madeleine déclenche en Marcel. Ce phénomène de transformation que la madeleine subit peut-on l’expliquer grâce à l’article de Marielle Macé « Faire monter dans l’arche toutes les figures » : littérature et formes de vie. On pourrait dire que l’expérience que Proust vécut pendant qu’il mangea le « gâteau court et dodu » fut transformé en « figure » quand il l’écrivit. Cette figure a une force qui le donne la littérature : une « réplique de survivance », « un régime du sauvetage ou de la spectralité »7, mais aussi « d’authentiques énergies de restitution ». C’est-à-dire, au moment où Proust écrit le passage de la madeleine, il lui donne cette puissance, la madeleine cesse d’être un gâteau pour se spectraliser et devenir figure, laquelle contient le « moi social », en clair, l’historicité, et le « moi profond », autrement dit, l’épiphanie. 6 Lagarde, A. et Michard, L., XXe siècle- Les grands auteurs français. Paris, Bordas, 1973, p. 224. 7 Macé, Marielle, « Faire monter dans l’arche toutes les figures » : littérature et formes de vie, 2011. Lorsque le lecteur sent lui-même l’épiphanie, on est en train d’apprécier une restitution grâce à la « capacité véhiculaire »8 de cette figure : la restitution de l’expérience, elle subsiste dedans la figure jusque les lecteurs de Proust lisent le fragment. Cette transmission de l’expérience moyennant les synesthésies survécut, survive et survivra pendant que la littérature puisse fonctionner comme véhicule. Certainement, la figure de la madeleine subsista durant des années, même, aujourd’hui on peut retrouver l’expression « une madeleine de Proust » avec le sens de « un micro-évènement qui fait ressurgir des souvenirs de jeunesse »9 ou « un acte mineur porteur d'une forte charge émotionnelle »10. La figure de la madeleine, est encore vivante, et continuera à l’être. Somme toute, Proust est, nul doute, un écrivain illustre, tributaire d’une double tradition ; pourtant, attaché plus à celle du symbolisme, puisqu’on peut trouver dans son rapiéçage une épiphanie et un symbole —la madeleine— ; par ailleurs il fut fortement influencé par les idées du philosophe français contemporain à lui, Henri Bergson ; car la ressemblance des concepts est considérable. Le passage de la madeleine est porteur de l’historicité —moi social— et de l’épiphanie —moi profond— ; c’est grâce aux forces de survivance et de restitution qui lui procure la littérature qu’il peut rétablir l’expérience vécue par l’auteur jusqu’aujourd’hui. Autrement dit, le passage en témoigne de cet expérience une fois qu’il devient figure et, comme il transporte l’environnement où l’auteur vécut l’expérience et l’expérience même, et qu’il survit, il peut les véhiculer à travers le temps, en les rétablissant une fois lu le fragment par un lecteur. 8 Ibid. 9 Une madeleine de Proust, sur expressio.fr 10 Ibid. Références. Brillant-Rannou, Nathalie, L’expérience littéraire : création, lecture et transmission, I.F.U.M. de Rennes, consulté le 14 mars 2016. URL : http://remue.net/IMG/pdf/13_Brillant_Rannou.pdf Compagnon, Antoine, Proust entre deux siècles, Paris, Éditions du Seuil, 2013. Curtis, Jean-Louis, Marcel Proust, le génie littéraire du XXe siècle, Paris, Académie Française, 1995. Lagarde, A. et Michard, L., XXe siècle- Les grands auteurs français. Paris, Bordas, 1973. Macé, Marielle, « Faire monter dans l’arche toutes les figures » : littérature et formes de vie, 2011. Pignat, Dominique, « La mémoire chez Bergson », dans Les échos de Saint-Maurice, édition numérique, consulté le 14 mars 2016. URL : http://www.digi- archives.org/pages/echos/ESM081028.pdf Proust, Marcel, Contre Sainte-Beuve, édition numérique uploads/Litterature/ l-x27-experience-litteraire-chez-proust 1 .pdf
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- Publié le Apv 27, 2021
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