LA COMTESSE DE SALISBURY (1839) ALEXANDRE DUMAS La comtesse de Salisbury LE JOY

LA COMTESSE DE SALISBURY (1839) ALEXANDRE DUMAS La comtesse de Salisbury LE JOYEUX ROGER 2012 Cette édition a été établie à partir celle de Alexandre Cadot, Paris, 1848, 2e éd., en 6 volumes. Nous en avons modernisé l’orthographe, en uniformisant quel- ques noms propres écrits de façon différente en divers endroits, et modifié la ponctuation déficiente ou fantaisiste. Nous avons également modifié la numérotation des chapitres et rectifié quelques erreurs évidentes à la lumière de l’édition des Œuvres complètes d’Alexandre Dumas parue à Paris, en 1856, au Bureau des publications littéraires du Siècle (treizième série). ISBN : 978-2-923981-18-5 Éditions Le Joyeux Roger Montréal lejoyeuxroger@gmail.com Introduction L’histoire de France, grâce à MM. Mézeray, Velly et Anqutil, a acquis une telle réputation d’ennui, qu’elle en peut disputer le prix avec avantage à toutes les histoires du monde connu : aussi le roman historique fut-il chose complètement étrangère à notre littérature jusqu’au moment où nous arrivèrent les chefs-d’œuvre de Walter Scott. Je dis étrangère, car je ne présume pas que l’on prenne sérieusement pour romans historiques le Siège de La Rochelle, de madame de Genlis, et Mathilde, ou les Croisades, de madame Cottin. Jusqu’à cette époque nous ne connaissions donc réellement que le roman pastoral, le roman de mœurs, le roman d’alcôve, le roman de chevalerie, le roman de passion, et le roman sentimental. L’Astrée, Gil Blas, le Sofa, le petit Jehan de Saintré, Manon Lescaut et Amélie Mansfield furent les chefs- d’œuvre de chacun de ces genres. Il en advint que notre étonnement fut grand en France lorsque, après avoir lu Ivanhoé, le Château de Kenilworth, Richard en Palestine, nous fûmes forcés de reconnaître la supériorité de ces romans sur les nôtres. C’est que Walter Scott aux qualités instinctives de ses prédécesseurs joignait les connaissances acquises, à l’étude du cœur des hommes la science de l’histoire des peuples ; c’est que, doué d’une curiosité archéologique, d’un coup d’œil exact, d’une puissance vivifiante, son génie résurrec- tionnel évoque toute une époque, avec ses mœurs, ses intérêts, ses passions, depuis Gurth le gardien de pourceaux jusqu’à Richard le chevalier noir, depuis Michaël Lambourn le spadassin jusqu’à Élisabeth la reine régicide, depuis le chevalier du Léopard jusqu’à Salah-Eddin le royal médecin ; c’est que sous sa plume enfin hommes et choses reprennent vie et place à la date où ils ont existé, que le lecteur se trouve insensiblement trans- porté au milieu d’un monde complet, dans toutes les harmonies LA COMTESSE DE SALISBURY 6 de son échelle sociale, et qu’il se demande s’il n’est pas des- cendu, par quelque escalier magique, dans un de ces univers souterrains comme on en trouve dans les Mille et une Nuits. Mais nous ne nous rendîmes point ainsi tout d’abord, et nous crûmes longtemps que cet intérêt inconnu que nous trouvions dans les romans de Walter Scott tenait à ce que l’histoire d’An- gleterre offrait par ses événements plus de variété que la nôtre. Nous préférions attribuer la supériorité que nous ne pouvions nier à l’enchaînement des choses plutôt qu’au génie de l’homme. Cela consolait notre amour-propre, et mettait Dieu de moitié dans notre défaite. Nous étions encore retranchés derrière cet argu- ment, nous y défendant, du moins mal qu’il nous était possible, lorsque Quentin Durward parut et battit en brèche le rempart de nos paresseuses excuses. Il fallut dès lors convenir que notre histoire avait aussi ses pages romanesques et poétiques ; et, pour comble d’humiliation, un Anglais les avait lues avant nous, et nous ne les connaissions encore que traduites d’une langue étrangère. Nous avons le défaut d’être vaniteux ; mais en échange nous avons le bonheur de ne pas être entêté : vaincu, nous avouons franchement notre défaite, par la certitude que nous avons de rattraper quelque jour la victoire. Notre jeunesse, que les cir- constances graves de nos derniers temps avaient préparée à des études sérieuses, se mit ardemment à l’œuvre ; chacun s’enfonça dans la mine historique de nos bibliothèques, cherchant le filon qui lui paraissait le plus riche : Buchon, Thierry, Barante, Sis- mondi et Guizot en revinrent avec des trésors qu’ils déposèrent généreusement sur nos places publiques, afin que chacun pût y puiser. Aussitôt la foule se précipita sur le minerai, et pendant quelques années il y eut un grand gaspillage de pourpoints, de chaperons et de poulaines ; un grand bruit d’armures, de heaumes et de dagues ; une grande confusion entre la langue d’Oil et la langue d’Oc : enfin, du creuset de nos alchimistes modernes LA COMTESSE DE SALISBURY 7 sortirent Cinq-Mars et Notre-Dame de Paris, deux lingots d’or pour un monceau de cendres. Cependant les autres tentatives, tout incomplètes qu’elles étaient, produisirent du moins un résultat, ce fut de donner le goût de notre histoire : mauvais, médiocre ou bon, tout ce qui fut écrit sur ce sujet fut à peu près lu, et, lorsqu’on connut les noms de nos chroniqueurs, on se figura que l’on connaissait aussi leurs chroniques. Chacun alors passa de la science de l’histoire géné- rale au désir de connaître l’histoire privée ; cette disposition d’esprit fut habilement remarquée par les Ouvrard littéraires : il se fit aussitôt une immense commande de mémoires inédits ; cha- que époque eut son Brantôme, sa Motteville et son Saint-Simon : tout cela se vendit jusqu’au dernier exemplaire ; il n’y eut que les Mémoires de Napoléon qui s’écoulèrent difficilement, ils arri- vaient après la Contemporaine. L’école positive cria que tout cela était un grand malheur ; qu’on n’apprenait rien de réel ni de solide dans les romans historiques et avec les mémoires apocryphes ; que c’étaient des branches fausses et bâtardes qui n’appartenaient à aucun genre de littérature, et que ce qui restait de ces rapsodies dans la tête de ceux qui les avaient lues ne servait qu’à leur donner une fausse idée des hommes et des choses, en les leur faisant envisager sous un faux point de vue ; que d’ailleurs l’intérêt dans ces sortes de productions était toujours absorbé par le personnage d’imagina- tion, et que, par conséquent, c’était la partie romanesque qui laissait le plus de souvenirs. On leur opposa Walter Scott, qui certes a plus appris à ses compatriotes de faits historiques avec ses romans que Hume, Robertson et Lingard avec leurs histoires : ils répondirent que cela était vrai, mais que nous n’avons rien fait qui pût se comparer à ce qu’avait fait Walter Scott ; et sur ce point ils avaient raison : en conséquence, ils renvoyaient impi- toyablement aux chroniqueurs mêmes ; et sur ce point ils avaient tort. À moins d’une étude particulière de langue, que tout le monde LA COMTESSE DE SALISBURY 8 n’a pas le temps de faire, et qui cause une fatigue que les hommes spéciaux ont seuls le courage de supporter, nos chroniques sont assez difficiles à lire, depuis Villehardouin jusqu’à Joinville, c’est-à-dire depuis la fin du douzième siècle jusqu’à la fin du quatorzième ; et cependant dans cet intervalle sont compris les règnes les plus importants de notre troisième race monarchique. C’est l’époque où le monde chrétien de saint Louis succède au monde païen de Charlemagne ; la civilisation romaine s’efface, la civilisation française commence ; la féodalité a remplacé la cheftainerie ; la langue se forme à la rive droite de la Loire ; l’art revient d’Orient avec les croisés ; les basiliques croulent, les cathédrales s’élèvent ; les femmes marquent dans la société les places qu’elles y occuperont un jour ; le peuple ouvre les yeux à la lumière politique ; les parlements s’établissent, les écoles se fondent ; un roi déclare que, puisqu’ils sont Francs de nom, les Français doivent naître francs de corps. Le salaire succède au servage, la science s’allume, le théâtre prend naissance, les États européens se constituent ; l’Angleterre et la France se séparent, les ordres chevaleresques sont créés, les routiers se dispersent, les armées s’organisent, l’étranger disparaît du sol national, les grands fiefs et les petites royautés se réunissent à la couronne ; enfin, le grand arbre de la féodalité, après avoir porté tous ses fruits, tombe sous la hache de Louis XI, le bûcheron royal : c’est, comme on le voit, le baptême de la France, qui perd son vieux nom de Gaule ; c’est l’enfance de l’ère dont nous sommes l’âge mûr ; c’est le chaos d’où sort notre monde. Il y a plus, c’est que, si pittoresques que soient Froissard, Monstrelet et Juvénal des Ursins, qui remplissent à eux trois un autre intervalle de près de deux siècles, leurs chroniques sont plutôt des fragments réunis qu’une œuvre complète, des journaux quotidiens que des mémoires annuels ; point de fil conducteur que l’on puisse suivre dans ce labyrinthe, point de soleil qui pénètre dans ces vallées sombres, point de chemins tracés dans ces forêts vierges ; rien n’est centre : ni peuple, ni noblesse, ni LA COMTESSE DE SALISBURY 9 royauté ; tout, au contraire, est divergent, et chaque ligne tend à un nouveau point du monde. On saute sans liaison de l’An- gleterre uploads/Litterature/ la-comtesse-de-salisbury 1 .pdf

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