Université Libre de Bruxelles Aout 2010 Faculté de Philosophie et Lettres HIST5

Université Libre de Bruxelles Aout 2010 Faculté de Philosophie et Lettres HIST5A Race et esclavage au Proche-Orient M. Guillaume Dye Brimioulle Thierry ORIE-B-154 053828-53 Religions et cultures du monde arabo-musulman I et II Introduction L'esclavage dans le monde arabo-musulman est un domaine demeuré longtemps méconnu, auquel les travaux sur l'usage et le commerce d'esclaves faisaient peu référence. Concentrés sur l'esclavage pratiqué au sein des sociétés antiques ou par la traite des Européens, ils délaissaient un champ de recherche de grande ampleur, traversant plus de treize siècles d'histoire. En effet, de l'antiquité au 19ème siècle, la figure de l'esclave est une composante essentielle des sociétés du Moyen-Orient. Des millions d'individus tant esclaves qu'acheteurs ou marchands seront concernés par cette « traite arabe », qui constitue un pan entier de l'histoire du monde Musulman et de l'Afrique Cette ampleur, conjuguée à la sensibilité du sujet, a peut-être contribué à ce manque d'intérêt de la recherche historique. Depuis quelques dizaines d'années pourtant, le sujet semble susciter une attention nouvelle, et plusieurs publications ont tenté avec des fortunes diverses de tracer un panorama du commerce des esclaves au Moyen Orient. La tâche est loin d'être facile : il convient pour l'historien de rester objectif et d'éviter de tomber dans les travers de l'apologie, de l'attaque gratuite, ou d'une comparaison morale douteuse avec d'autres pratiques au final fort différentes. C'est ce qu'a tenté Bernard Lewis, professeur émérite à l'université de Princeton, spécialisé dans le Moyen Orient. En 1971, s'attachant à analyser la présence ou non dans la société arabo-musulmane de discriminations ou d'intolérances raciales, il rédige Race and Color in Islam où il aborde déjà la question de l'esclavage. Avec Race and Slavery in the Middle East, publié en 1990, il entend donner au sujet une place plus centrale en s'appuyant sur ses recherches précédentes, un large corpus de sources et sa grande connaissance des sociétés du Moyen Orient. Nous tâcherons d'exposer son point de vue, en séparant esclavage et race par soucis de clarté, avant d'en évaluer les forces et faiblesses dans les limites de nos connaissances. 1 Chapitre I : Esclavage au Moyen-Orient L'Arabie des temps pré-islamiques ne diffère pas, dans sa conception de l'esclavage, des civilisations qui l'ont précédé dans le Moyen-Orient. Les Arabes, tout comme les Sumériens, les Babyloniens, les Égyptiens, les Grecs, les Juifs ou les Romains possédaient des esclaves depuis les temps anciens et le Coran, comme l'Ancien ou le Nouveau Testament avant lui, ne remet pas en cause l'existence ou la légitimité de cette institution. Il y apporte cependant d'importantes nuances, en recommandant la bonté envers l'esclave ou en conseillant sa possible libération, comme acte de piété ou d'expiation, et ne distingue pas l'esclave fidèle de son coreligionnaire libre, les deux étant frères dans leur islam et égaux devant Dieu. Après la diffusion de la parole du Prophète, la loi coranique renforce ces changements en instaurant l'interdiction de faire esclave un musulman ou un dhimmi1 et introduit le concept de présomption de liberté, un musulman étant considéré comme libre sauf preuve du contraire2. Cette vision diffère des conceptions antiques, notamment romaine, en reconnaissant à l'esclave croyant un statut plus élevé que celui d'un simple meuble, et en limitant les conditions de mise en esclavage des individus. Mais elle a aussi des conséquences très vastes sur l'organisation du commerce des esclaves dans le monde islamique. L'approvisionnement en esclave ne pouvant plus se faire en puisant dans la population locale, puisqu'il était désormais interdit d'asservir un musulman, il fallait donc aller les trouver hors de ses frontières. Ce besoin économique se vit renforcé par une ancienne conception héritée de Socrate considérant l'esclavage comme bénéficiaire à l'esclave car lui permettant de s'imprégner d'une culture supérieure, et qui fut réutilisée dans le monde arabe d'un point vue culturel mais aussi religieux, l'esclavage pouvant in fine mener à la conversion des individus. 1 Un Dhimmi est un membre d''une communauté autorisé à rester fidèle à son ancienne religion par le biais d'une Dhimma, un contrat définissant leur statut, droits et devoirs envers l'autorité Musulmane. 2 La conversion à l'islam d'un esclave n'entrainait pas sa libération, et les conversions d'esclaves étaient choses fréquentes, ce qui explique l'existence de cette règle. 2 Si dans un premier temps, les conquêtes et l'expansion militaire arabe à travers le Moyen-Orient assurèrent un flux régulier de captifs et de prisonniers de guerres de toutes origines, la stabilisation des frontières, la conversion progressive des populations et les accords passés avec les communautés religieuses des régions conquises réduisirent peu à peu cette manne. Pour continuer à satisfaire une demande grandissante, des tributs comprenant la fourniture d'un certain nombre d'esclaves furent imposés aux royaumes vassaux. Mais c'est surtout la mise en place d'un gigantesque réseau commercial qui permit l'approvisionnement et la distribution de ces derniers dans tout l'empire. Les esclaves issus d'Europe occidentale étaient acheminés par l'Espagne ou par bateau à travers la Méditerranée, ceux issus des pays slaves par la Crimée ou par la mer Caspienne, pendant que de multiples routes commerciales s'enfonçaient à travers le Sahara vers Afrique de l'Ouest et le Chad, ou vers l'Afrique de l'Est via le Nil ou le long des côtes de la Mer Rouge. Capturés via des razzias ou achetés à des marchands locaux, les esclaves étaient acheminés vers les frontières de l'Empire avant d'être envoyés vers les marchés aux esclaves des grandes cités pour être vendus. La majorité de ces esclaves étaient utilisés pour remplir la plupart du temps, des tâches domestiques. Mais certains d'entre eux ont acquis une position sociale avantageuse de part un statut plus particulier: artistes célèbres, officiers ou conseillers militaires, concubines ou eunuques influents à la cour. Bernard Lewis reconnait l'amélioration du statut de l'esclave par rapport à son modèle antique. La pratique fréquente de la manumission et les règles coraniques sur le traitement des esclaves ont en effet eu un impact positif sur sa situation. Mais notre auteur départage le discours et la pratique : si la situation de l'esclave au Moyen-Orient était généralement meilleure que celle de son homologue, surtout romain, il faut se garder de considérer celle-ci comme idyllique. L'influence des conceptions romaines, les méthodes brutales de captures et le durcissement des conditions de vie des esclaves dû à l'augmentation de leur nombre, conjugués aux écarts parfois très importants entre la loi coranique et la réalité sociale s'opposèrent aux évolutions positives du Coran. 3 Chapitre II : Préjugés et discriminations A la problématique de l'esclavage, Bernard Lewis ajoute celle de la race. Vu comme un exemple de société multi-culturelle, le monde musulman a été souvent perçu comme dénué de tensions raciales, à tort selon notre auteur. Ce dernier y analyse l'émergence et la formation de préjugés racistes au sein des sociétés du Moyen Orient et les liens qu'entretiennent ces dernières avec la pratique l'esclavage. Durant l'antiquité et les premiers temps de l'Islam, la conscience de la différence entre les peuples et les tensions découlant de celle-ci n'étaient pas chose absente mais cette hostilité envers « l'autre » s'exprimait plus sur des critères culturels que physiques. Des notions telles que la couleur de la peau étaient utilisées pour marquer la différence envers autrui, mais n'étaient pas automatiquement rattachées à une idée d'infériorité. Ainsi l'Éthiopie, principale zone de contact entre les tribus arabes et les hommes noirs durant la période pré-islamique, était considérée comme une civilisation avancée. La situation se modifiera pourtant durant le Moyen-Age et sous l'Empire Ottoman, une couleur de peau foncée étant de plus en plus associée à une idée d'infériorité et perçue de manière négative. Comment expliquer ce glissement vers ces clichés racistes? Bernard Lewis explore plusieurs options, en recherchant la présence de ceux-ci dans la littérature (poèmes, ouvrages savants, correspondances etc) ou de discriminations dans la société, entre les individus ou au sein de certaines pratiques sociales, comme par exemple celle de la Kafā'a3. D'abord, il analyse la société arabe servant de substrat au développement de l'islam. Basée sur un système de tribus, elle accorde une grande importance à des notions telles que le lignage de l'individu ou l'appartenance à une famille noble. Le sentiment de loyauté envers sa tribu y est très vif, et les rivalités entre ces différentes tribus très intenses. Lors de l'expansion militaire des Arabes, ces derniers durent composer avec l'apparition de non- arabes convertis et d'enfants issus de concubines étrangères, ce qui loin d'atténuer cette conscience déjà vive de la différence, ne fit que l'intensifier. 3 La Kafā'a est une doctrine ayant rapport au mariage musulman, et qui veut qu'un époux soit au moins l'égal, en terme de naissance et de niveau social, de la femme qu'il épouse. Il n'interdit pas les mariages inégaux, mais permet aux familles d'empêcher un mariage jugé inconvenant. 4 La fierté d'appartenir à une tribu « supérieure » se décala vers celle d'appartenir à un peuple supérieur aux autres, tant que culturellement que religieusement, ce qui fit apparaitre de nouvelles préoccupations, comme celle de la « pureté » du sang arabe ou de la filiation au Prophète ou à ses descendants. Et si uploads/Litterature/ raceetesclavage-3 1 .pdf

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