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Tous droits réservés © Spirale magazine culturel inc., 2012 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 29 oct. 2021 04:02 Spirale arts • lettres • sciences humaines La connaissance de l’impossible Conscience et roman I : La conscience au grand jour de Jean-Louis Chrétien, Les éditions de Minuit, 287 p. Vincent Grondin Littérature, métaphysique, sacré Numéro 241, été 2012 URI : https://id.erudit.org/iderudit/67232ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Spirale magazine culturel inc. ISSN 0225-9044 (imprimé) 1923-3213 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Grondin, V. (2012). La connaissance de l’impossible / Conscience et roman I : La conscience au grand jour de Jean-Louis Chrétien, Les éditions de Minuit, 287 p. Spirale, (241), 49–51. SPIRALE 241 | ÉTÉ | 2012 49 F aisant preuve d’une érudition impressionnante, l’ou- vrage de Jean-Louis Chrétien se propose de jeter une lumière différente sur l’histoire de la subjectivité moderne en retraçant les métamorphoses multiples qu’a subies le roman depuis Stendhal. Loin de vouloir réduire la produc- tion romanesque des deux derniers siècles à un concept philosophique désincarné, l’auteur prend pour prémisse de départ l’idée selon laquelle le roman serait un lieu d’expé- rimentation privilégié qui permettrait d’approfondir la connaissance que nous avons de notre propre intériorité. Jean-Louis Chrétien n’est certes pas le premier philosophe à s’aventurer sur le terrain du roman, mais ceci ne devrait rien enlever à l’originalité de la thèse qu’il défend. Si le roman s’avère essentiel pour comprendre ce qu’est la sub- jectivité, c’est parce qu’il rend possible par la fiction ce qui, dans la réalité, ne saurait l’être : il nous permet de connaître l’intériorité de quelqu’un d’autre que nous- même et de découvrir les pensées qui se terrent secrète- ment dans son cœur. Jean-Louis Chrétien n’est pas le premier à défendre cette idée. Dans La transparence intérieure, Dorrit Cohn avait déjà tenté de faire une typologie des différents procédés romanesques pouvant être utilisés pour permettre au lecteur de connaître l’intériorité des personnages. Toute- fois, ce qui fait l’incroyable richesse de Conscience et roman, c’est sans doute la culture de l’auteur qui lui permet de montrer l’origine théologique et biblique qui se cache derrière le projet du roman moderne. Reprenant une expression que l’on retrouve dans les Actes des apôtres pour qualifier le pouvoir que possède Dieu de « sonder les cœurs et les reins », Jean-Louis Chrétien sou- tient que ce qui distingue le roman de tous les autres genres littéraires est cette aspiration à une « connais- sance-du-cœur », à une « cardiognosie ». On comprend alors la nature paradoxale de cette entreprise intellec- tuelle qu’aura été le roman qui, d’une certaine manière, tente d’atteindre, sous le mode de la fiction, une forme de connaissance qui, traditionnellement, était exclusive- ment réservée à Dieu. Le roman moderne renoue bel et bien avec la cardiognosie puisque le narrateur est doté de ce pouvoir extraordinaire qui lui permet de faire comme s’il était Dieu et pouvait connaître ce qui se trame secrè- tement dans le cœur de ses personnages. De La CarDioGNosie Dans le premier volet de ce diptyque, l’auteur explore les différents usages du monologue intérieur qui constitue, avec le discours libre indirect, l’une des modalités privilé- giées de cette cardiognosie. Renonçant à une exhaustivité impossible, l’ouvrage se contente de rappeler les jalons his- toriques les plus significatifs (Stendhal, Balzac, Hugo, Wolf, Faulkner et Beckett) dans la réflexion que les romanciers n’ont cessé de mener à propos de la nature et de la légiti- mité du recours au monologue intérieur au sein du genre romanesque. Le terme de légitimité est ici essentiel : selon la reconstruction proposée par Chrétien, l’histoire du roman est en réalité l’histoire de la remise en cause des droits du monologue intérieur. Il s’agit d’une constante qui, tel le fil d’Ariane, traverse toutes les analyses du premier tome de Conscience et roman : l’idée même que l’on pour- rait avoir accès au monologue qui se déroule dans le cœur des personnages n’est qu’une illusion qui nous place d’en- trée de jeu dans un monde aussi fantastique que celui des « contes de fées ». Ainsi, l’histoire du roman est l’histoire de la découverte du caractère illusoire de l’usage romanesque du monologue intérieur. Au sein de cette économie, Victor Hugo joue un rôle central et déterminant. Alors que l’on pourrait déplorer le ton grandiloquent adopté par le narrateur des Misérables avant de nous convier à contempler la « tempête sous un crâne » de Jean Valjean, Jean-Louis Chrétien nous invite à voir chez Hugo un précurseur des romanciers du vingtième siècle qui déboulonneront le « conte de fées » de la cardio- gnosie en insistant toujours davantage sur l’écart abyssal qui sépare les consciences et qui fait en sorte que la connaissance du cœur de l’autre est chose impossible. Au contraire de Stendhal et de Balzac, Hugo adopte ce que l’on pourrait nommer une omniscience « socratique » qui, sans se priver d’accéder à l’intériorité des personnages, n’hésite pas à souligner le caractère tâtonnant et imprécis de la connaissance que nous pouvons en avoir. Ainsi, extir- per la cardiognosie de sa dimension « magique » et « fan- tastique » présuppose que cette dernière devienne une « docte ignorance ». Jean-Louis Chrétien reprend ici un terme hérité du platonisme en lui donnant une tout autre signification : la cardiognosie est une docte ignorance La connaissance de l’impossible Par ViNCeNt GroNDiN CoNsCieNCe et roMaN i : La CoNsCieNCe au GraND Jour de Jean-Louis Chrétien Les éditions de Minuit, 287 p. DOSSIER 50 SPIRALE 241 | ÉTÉ | 2012 dans la mesure où la suprême connaissance que nous pou- vons avoir de l’intériorité de l’autre réside précisément dans la prise de conscience de son impossibilité. Connaître le cœur de l’autre, c’est reconnaître l’opacité et le secret qui le caractérisent et qui nous en bloquent l’accès. De La DoCte iGNoraNCe Sans surprise, le dernier chapitre de l’ouvrage est consacré à l’Innommable de Beckett qui représente l’un des exemples plus extrêmes de la docte ignorance qui devrait caractériser la cardiognosie de la conscience romanesque. Il ne faut pas l’oublier, si la cardiognosie telle que Stendhal la pratique est dite impossible, c’est tout d’abord en raison d’une certaine conception philosophique selon laquelle seul l’individu peut connaître sa propre intériorité. À cet égard, l’ouvrage de Beckett représente une pièce à convic- tion de choix dans la mesure où l’Innommable consiste précisément à décrire une pure intériorité qui serait décon- nectée de toute forme d’extériorité. En clair, il s’agit de nous montrer un sujet incapable de se mouvoir, sans corps ni nom, qui se contente de parler sans se soucier de savoir s’il s’adresse à quelqu’un d’autre que lui-même. En se confinant à cette pure intériorité qui se déploie dans un verbiage incessant, Beckett parvient à mettre en scène un monologue absolu et intégral (à supposer qu’une telle chose soit possible) qui ne débouche jamais sur un quel- conque dialogue. On assiste donc à une pratique du mono- logue qui fait système avec le refus du dialogue, lequel pré- supposerait justement que le sujet sorte de lui-même et se tourne vers autrui. Ce faisant, Beckett parvient à prendre la mesure de l’écart infini et abyssal qui sépare l’intériorité du sujet de celle de son interlocuteur, abîme qui ne pourra jamais être comblé par aucun dialogue. En reprenant une expression qui fait immédiatement penser à Derrida, Jean- Louis Chrétien proclame que Beckett met en relief les conditions d’impossibilité d’une connaissance de l’intério- rité de l’autre. Nous ne pouvons connaître l’autre seule- ment par la façade extérieure qu’il nous offre : ses mots, ses gestes et ses regards. Dès lors, la pure intériorité mono- logique qui caractérise le cœur d’autrui ne pourra jamais venir au jour, et c’est précisément cette impossibilité qui est mise en scène par Beckett. En dépit de la profondeur des analyses et de la fine sensi- bilité littéraire dont elles font preuve, on ne peut s’empê- cher de déceler dans celles-ci une certaine instrumentali- sation du roman à la parole philosophique. Après tout, ce parcours repose sur un présupposé essentiellement théo- logique et philosophique : « Aucune créature, quelle qu’elle soit, et si haute et si subtile soit-elle, ne peut voir le “cœur” de l’autre. La théologie l’a médité, et la philosophie le confirme avec évidence. » Dès lors, l’histoire du roman devient l’effort de dépasser la « mythologie » qui le mènera finalement à découvrir l’« évidence » philosophique du caractère fonda- mentalement inconnaissable du cœur de l’autre. Mais avant de vouloir embrayer de la sorte et tenter de « dépas- ser » les mythes et les contes de fées, ne faudrait-il uploads/Litterature/ la-connaissance-de-l-x27-impossible-conscience-et-roman-i-la-conscience-au-grand-jour-de.pdf
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- Publié le Dec 02, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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