Revue des Études Grecques La « conversion » de Synésios Henri Irénée Marrou Cit

Revue des Études Grecques La « conversion » de Synésios Henri Irénée Marrou Citer ce document / Cite this document : Marrou Henri Irénée. La « conversion » de Synésios. In: Revue des Études Grecques, tome 65, fascicule 306-308, Juillet- décembre 1952. pp. 474-484; doi : https://doi.org/10.3406/reg.1952.3297 https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1952_num_65_306_3297 Fichier pdf généré le 17/04/2018 LA "CONVERSION" DE SYNES1OS Synésios est ce gentilhomme de Cyrénaïque qui, après avoir été à Alexandiie l'élève de la philosophe païenne Hypatie, fut à son corps défendant élu en 410 évêque métropolitain de Ptoléuiaïs et, malgré les objections qu'il avait fermement formulées contre la création de l'âme, la fin du inonde et la résurrection, n'en fut pas moins intronisé, et devint un très bon évêque, actif, charitable et zélé. Sur cette personnalité, attachante et complexe, nous possédons maintenant une excellente monographie dans la thèse de M. Christian Lacombrade, Synésios de Cyrène, hellène et chrétien (Paris, Les Belles Lettres, 1951), un livre bien informé, critique, prudent, conapréhensif, écrit d'une plume heureuse et alerte (l'auteur a su faire le tour de son sujet en 300 pages, — ce qui nie parait la dimension idéale d'une thèse), qui se lit avec un plaisir égal, du frontispice au tableau final où, sur trois colonnes, se trouve récapitulée la chronologie de la vie de Synésios, de son cuuvre et de «on temps. Synésios étant un auteur qu'on ne lit pas tons , les jours, M. Lacom brade a fort utilement multiplié les citations, soit dans le texte {Synésios abonde en formules heureuses), soit traduites, de façon toujours élégante et précise. Cette thèse avait été l'occasion, à la Sorbonne, d'une soutenance brillante; depuis, M. L. a soumis son livre à une révision attentive et l'a fait profiter de toutes les observations (nombreuses, mais toujours de détail) dont il avait été l'objet : c'est une véritable deuxième édition, revue et mise au point, qu'il a livrée au public. . On accueillera ce travail avec reconnaissance, car le sujet se révèle passionnant: par l'étendue et la variété de son œuvre, — correspondance, discours politiques, essais philosophiques, hymnes religieux, — Synésios est un témoin privilégié, qu'on ne se lasse pas d'interroger sur les divers aspects de l'histoire de son temps, l'histoire sociale, politique, culturelle et, bien entendu, religieuse. Synésios est un aristocrate (il prétend même, sur « preuves » comme aurait dit d Hozier, descendre des Héraclides fondateurs de Cyrène, mais on n'est pas tenu de le croire), — un représentant de l'aristocratie du Bas-Empire, qui n'est plus urbaine mais rurale : il vit sur ses terres, en gentilhomme campagnard-, partageant son temps entre l'agronomie, la lecture, la chasse, — et la guerre : comme toutes les provinces frontières, la Cyrénaïque vit dans l'insécurité; en 395 déjà, puis, chaque année, au moment des moissons, de 405 à 411, elle subit les raids des nomades, ces « pirates du désert » ; les grands propriétaires comme Synésios, souvent bloqués dans leurs villas-forteresses, doivent organiser eux- mêmes la défense, armer leurs paysans et les mener au combat (n'en déplaise aux timides qui objectent une loi de Valentinien contre les milices privées ; devenu évêque, Synésios conservera la sienne, commandée par un de ses prêtres...); car les institutions de l'Empire s'avèrent impuissantes : garnisons insuffisantes (le dux de Cyrénaïque ne dispose que d'un peloton de cinquante cavaliers Huns; si du moins il en obtenait deux cents !), mal armées, souvent mal commandées; les gouverneurs civils ne valent pas mieux que les commandants mili· LA « CONVERSION » DE SYNÉSIOS 475 Maires : trop souvent incapables ou vénaux, et, si d'aventure il s'en trouve un de toon, trop vite déplacés. Comme dans tous les régimes totalitaires, l'instabilité des situations, des fortunes, est de règle, qu'elles soient publiques ou privées : -à l'échelon de la petite Cyrénaïque, l'ascension et la chute du praeses Andronicos répètent celles, sur la scène de Constantinople, du grand chambellan Eutrope; ■quant à Synésios lui-même, nous le voyons à deïix reprises, une fois dans sa jeunesse, une autre fois vers 408, obligé de α s'exiler » pour des raisons qui demeurent assez mystérieuses, mais qui ne peuvent être que d'ordre politique ou fiscal. . Car cet Empire, qui remplit si mal ses fonctions, coûte cher et pèse lourd : c'est pour obtenir, pour sa province, un allégement des impôts, et- accessoirement pour lui-même, l'exemption dee charges de curiale, que Synésios s'en va passer trois ans à Constantinople, en ambassade auprès de l'empereur Arcadius et de ses bureaux. Dans les textes relatifs à ce séjour, que de révélations sur les mteurs du temps ! Relisez entre autres la Lettre 61, où noue voyons Synésios, pour mieux faire la queue à la porte des puissants, passer la nuit dans les antichambres et ae munir à cette fin d'un confortable tapis d'Egypte, — qu'un commis -du corps des « tachygraphes » remarque et se fait offrir, en guise, sans doute, -de « pot de vin ». · . Témoignages aussi sur la grande histoire : pour son heur et sa peine, notre héros trouve la capitale en pleine révolution. Il voit d'abord au pouvoir le parti -anti-barbare animé par le préfet du prétoire Aurelianus; au bout de quelques mois, coup d'état du goth Gainai qui le renverse et annule du même coup les -exemptions fiscales obtenues par Synésios ; celui-ci se voit obligé de se morfondre dans la grande ville, en attendant la contre-révolution qui ramène Aurelianus au pouvoir... De ces événements, le Récit Égyptien nous offre, sous une forme allégorique, mais devenue transparente, un exposé de première main : on peut le mesurer en voyant l'utilisation qu'en a faite, dans le cadre d'une histoire générale de la 'période, Mlle Éin. Demougeot (De Vunité à la division de tempire romain, 395-410, Paris, 1951, p. 237-246); il est intéressant de confronter son commentaire à celui de M. Lacombrade : Mlle Demougeot, qui présente volontiers les choses du point de vue « occidental » (son héros est Stilicon, le tout puissant ministre d'flonorius), souligne avec justesse le caractère partiel,. sinon partial, du témoignage de Synésios, qui apparaît comme le porte-parole d'un parti, celui des nationalistes de l'empire d'Orient. Mais, si c'est là un point de vue particulier, c'est, historiquement, un point de -vue privilégié. On sait que Louis Bréhier fait commencer l'histoire byzantine au ■moment où, à la différence de l'Occident de plus en plus pénétré par les Barbares, la Pars Orienlis échappe à leur mainmise : la chute de Gainas marque ce tournant décisif, et dès lors Synésios apparaît comme le premier interprète du sentiment national, du patrietisme, proprement byzantin. De l'idéal oriental de l'Empire, le même Synésios s'est fait d'autre part le théoricien dans son discours Περί Βασιλείας, écrit, sinon prononcé, dès 399, auquel M. Lacombrade a consacré par ailleurs sa thèse complémentaire (Le discours sur la Royauté de Synésios de Gyrène à Vempereur Arcadios, traduction nouvelle avec introduction, notes et commentaire, Paris, Les Belles Lettres, 1951). Ici, j'aimerais peut-être souligner davantage l'analogie foncière qui se manifeste entre ces conceptions politiques de Synésios et la théologie impériale déjà formulée, dès le règne de Constantin, par Eusèbe de Césarée, — théologie dont vivra toute la tradition byzantine. Ainsi, lorsque M.'L. analyse le comportemeni de l'évêque de Ptolémaïs, dans 476 HENRI 1RÉNÉE MARROU les dernières années de sa vie, à l'égard du méchant gouverneur Andronicos, qu'il unira par excommunier, mais non sans Ta voir longtemps ménagé, M. L. évoque le souvenir du Gorgias et du Chiton : je pense, pour ma part, moins à Platon qu'à Eusèbe et à Byzance ; la prudence révérentielle dont l'évêque Syné- sios use à l'égard du pouvoir civil me paratt très caractéristique de la théologie politique orientale, par opposition à celle de l'Occident (telle que l'incarne par exemple un saint Ambroise), beaucoup moins sensible, celle-ci, au caractère sacré de l'Empereur et beaucoup plus consciente de la transcendance du pouvoir spirituel, du pouvoir de l'Église. Très caractéristique aussi de la civilisation frûhbyzantinische, si antique encore, par cet aspect, est l'importance politique reconnue, en Synésios, à l'orateur éloquent et lettré (sa 1* Catastase, discours de remerciement à un gouverneur sortant de charge, est dans la grande tradition des Assemblées provinciales du Haut-Empire). C'est ce qui explique, il n'en faut pas douter, l'élection surprenante de Synésios à l'épiscopat (L. p. 217) : le suffrage du clergé de Cyrénaïque et des fidèles est allé à l'ancien ambassadeur, à l'homme éloquent capable de se faire écouter et de défendre les intérêts de son peuple en face des gouverneurs locaux, des bureaux d'Alexandrie ou de Constantinople; et de fait, un excellent chapitre de M. L. le montre bien (« Au service de la patrie »), c'est bien ce rôle de defensor plebis qu'au cours des trois années, de son ministère l'Évêque — malgré lui — a su jouer avec dévouement, intelligence et efficacité. On pourrait prolonger indéfiniment le commentaire : l'historien de l'éducation et de la culture antique ramène de cette lecture une belle moisson de fiches! Sait-on par exemple qu'une lettre de Synésios, mentionnant un pédotribe, est un des plus récents uploads/Litterature/ la-conversion-de-synesios-pdf.pdf

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