Un psychanalyste pédant vous annoncerait d’un air très sûr de lui que Sony Labo
Un psychanalyste pédant vous annoncerait d’un air très sûr de lui que Sony Labou Tansi souffre d’un incurable complexe d’Œdipe. Que Rachid Boudjedra a du mal à assumer à assumer la part de féminité qui sommeille en lui. Et, au bout de quelques heures de discussions, il vous prouverait aussi certainement que Simone Schwarz-Bart est une lesbienne refoulée. Et il se croirait pertinent. Mais qu’importe. Car un problème se pose : même une fois le charlatan poliment éconduit, ses conclusions, certes hâtives, ne peuvent que suggérer dans nos esprits littéraires et curieux une interrogation quant au problème soulevé. Car il suffit de réfléchir au procédé même d’écriture employé par nos auteurs mâles pour entrevoir un début d’investigation qui pourrait se révéler être d’une certaine pertinence vis-à-vis de la question de la place occupée par le féminin dans l’œuvre de ces hommes : tous deux passent plusieurs mois à réfléchir à leur sujet, à leur histoire, à leurs personnages, avant de les expulser hors de leurs esprits une fois leur réflexion arrivée à maturité, pour écrire d’un seul jet leur livre. Et, après tout, pourquoi ne pas assimiler leur phase première (la collecte d’informations et d’idées) à une gestation, et la seconde, c’est-à-dire celle au cours de laquelle ils (ac)couchent sur le papier le résultat de leur travail, à un enfantement ? Il est évident que dans le cas de Simone Schwarz-Bart, la question consistant à se demander de quelle manière on peut la rapprocher à la thématique féminine ne se pose même pas… Par contre, il peut être intéressant de la comparer à ces hommes, qui, par le biais de l’écriture sont devenus pères, non pas d’un enfant, mais d’un roman. Car c’est bien là ce qui les oppose à leur consoeur d’outre-mer : là où ils se sentent pères d’un univers entier, elle ne peut se sentir mère que de son personnage principal, puisqu’elle a choisi comme théâtre un lieu déjà existant, à savoir la Guadeloupe. En effet, Simone Schwarz-Bart a pris le parti du réalisme : l’action (si tant est qu’on puisse réellement parler d’action dans Pluie et Vent) se situe dans l’endroit qui est celui où l’auteur ressent ses racines, et son personnage se veut la synthèses d’existences probables. Si nul ne peut prétendre ressembler à un Mohamed S.N.P., nombreuses sont les femmes qui ont pu se reconnaître en Télumée : le procédé d’identification et d’ailleurs facilité par l’emploi de la narration à la première personne, et la première à succomber à cette identification est, à n’en pas douter, Simone Schwarz-Bart elle-même, qui, si elle ne s’identifie pas nécessairement à son héroïne, porte en tout cas sur elle un regard maternel : Télumée est née et à grandi dans son esprit. Et à chaque étape de sa vie que traversait la jeune guadeloupéenne fictive, sa mère de plume était là, près d’elle, à regarder chacun de ses pas, et à l’accompagner dans toutes ses pérégrinations ; elle souffrait avec elle, espérait avec elle, souriait et peut-être même pleurait avec elle. D’ailleurs, Pluie et Vent ne conte-t-il pas l’histoire d’une lignée de femmes ? Une histoire de femmes ? On peut faire un lien direct avec la position de Simone Schwarz-Bart elle- même en tant qu’auteur : à tout moment, et en dépit de la première personne, l’histoire de Télumée nous est contée avec une certaine extériorité, puisque la narratrice elle-même a déjà pris un certain recul par rapport aux évènements qu’elle dépeint, ayant atteint au moment où elle « écrit » (par le procédé de mise en abyme) sa vie une sagesse et une sérénité semblables à celles de Reine Sans Nom… Ou de Simone Schwarz-Bart. Ce lien de maternité, et donc d’amour, qui lie l’auteur à son personnage peut être vue comme une manière de justifier (au cas où tel besoin se ferait sentir) la fin heureuse et calme de Pluie et Vent, qui contraste avec l’apocalypse finale de La Vie et Demie ou la non-fin des 1001 Années de la Nostalgie. Quelle mère, en effet, tuerais son enfant ? Notre psychanalyste ajouterai qu’en 1972 Simone Schwarz-Bart est déjà réellement mère, ce qui n’a pu qu’amplifier le lien qu’elle a tissé avec son héroïne. La flagrante absence de Victoire, la mère de Télumée, n’est, dans la même logique, pas anodine : en racontant des histoires de femmes, Simone Schwarz- Bart ne pouvait qu’évincer ce personnage de mère indigne délaissant son enfant dans lequel elle ne pouvait en rien se reconnaître. C’est justement parce que Boudjedra et Labou Tansi sont pères d’un univers complet et non d’un personnage en particulier qu’ils se permettent une plus grande liberté de ton et même parfois un certain cynisme : Télumée est présentée dans le malheur comme une victime, et son cas est traité sous l’angle de l’émotion, quitte à parfois sombrer légèrement dans le pathos ; Mohammed S.N.P. et sa famille, Chaïdana, Martial, sont allègrement torturés et malmenés par leurs auteurs, qui n’ont vis-à-vis d’eux aucune empathie particulière, et qui s’attachent plus à la préservation de leur univers. Si on peut se dire que Simone Schwarz-Bart redoutait et refusait la mort tragique de Télumée, Labou Tansi n’a à éviter pour sauver ce qui lui est cher qu’une hypothétique paix (qu’il rend d’ailleurs impossible) dans son univers, et Boudjedra se doit pour préserver ses intérêts en tant que conteur d’éviter un retour à la normale à Manama. Cependant. Cependant, et malgré l’apparente instabilité de ces univers à la rationalité perturbée, une constante reste, et c’est celle de l’équilibre entre l’homme et la femme. C’est d’ailleurs l’un des grands centres de gravité des 1001 Années : au début du roman, la famille S.N.P. se compose de 20 membres : 9 garçons assortis à 9 filles, un fils solitaire et une mère veuve. Alors que les jumeaux, en parfait équilibre, vivent une vie qui ne fait l’occasion que d’un traitement très mineur de la part de Rachid Boudjedra, c’est, dans cette famille de paires, les deux seuls être à qui ils manquent un alter ego (une sœur pour l’un et un mari pour l’autre) qui se verront accordés une plus grande focalisation, Messaouda compensant son déséquilibre par une hyperactivité obsessionnelle, et Mohamed par un déséquilibre (revanchard ?) sur les lois de la physique, de la logique et de la réalité. De plus, on peut remarquer que la frustration constante de Mohamed d’être né seul s’accompagne d’une passion pour les mathématiques, et bien qu’il ne se l’explique jamais clairement, son trouble provient d’un manque de féminin au moment de sa naissance : dans l’univers Manaméen de Boudjedra, stabilité et inconstance sont en opposition, et on observe que si la famille S.N.P. est toujours placée dans un certain décalage par rapport au reste de leur village, elle est aussi la seule à pratiquer une rigueur (rigueur des naissances, des habitudes) infaillible dans la totalité de son comportement. Elle est un îlot de stabilité, symbolisée par l’équité entre le masculin et le féminin, dans un océan en pleine tempête, à la recherche d’une identité, culturelle, sociale et même sexuelle (à en voir le trouble provoqué par le décret interdisant aux homosexuels de se marier). Bien que d’une manière moins évidente, on retrouve ce même équilibre des paires dans La Vie et Demie, où deux grandes factions s’opposent : la succession des Guides Providentiels, tous hommes, avec en face d’eux Chaïdana mère, puis Chaïdana fille. Une lignée de femmes qui s’oppose à une lignée d’hommes. Et quelles femmes ! Et quels hommes ! Les Guides providentiels sont représentés comme des archétypes caricaturaux de la virilité, avec leur tempérament impulsif, leur violence et leur virulente libido, et Chaïdana est (où plutôt sont) également le véhicule d’une certaine vision de la femme : elle est d’une implacable beauté et obtient par la ruse (au prix du sacrifice de son corps) ce qu’elle ne peut obtenir par la force. Cet équilibre se maintiendra jusqu’à la conclusion du livre dans un relatif état de statu quo, puisque ni l’un ni l’autre ne parviendront, en dépit de leurs efforts, à ôter directement la vie à son adversaire, bien que l’avantage aille, indéniablement (et tout comme dans le cas de Chaïdana et Martial – les jumeaux - face au poison des pygmées) à la partie féminine, plus solide en dépit des apparences. Consciemment ou non, Sony Labou Tansi a conservé cet équilibre même jusque dans des détails : par exemple, il risquait d’être détruit lorsque le guide Jean Cœur de Pierre se faisait l’amant de 50 femmes, mais il fut finalement maintenu par le fait que ces femmes ne donnent naissances qu’à des fils : le Guide forme une paire avec son ennemie, les mères (bien qu’à peine mentionnées) en forment une avec leurs fils. Un homme pour une femme, tout le reste peut aller de travers, voilà une constante qui, même dans la description apocalyptique voulue par l’auteur, persiste encore et toujours. Tout simplement parce qu’il s’agit là d’un réflexe fondamental que d’avoir à l’esprit un équilibre des sexes, et, de plus, uploads/Litterature/ la-feminite-dans-pluie-et-vent-sur-telumee-miracle-schwarz-bart-les-1001-annees-de-la-nostalgie-boudjedra-la-vie-et-demie-labou-tansi.pdf
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- Publié le Apv 21, 2021
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