Communications L'image dans le livre de lecture Pierre-Alban Delannoy Citer ce
Communications L'image dans le livre de lecture Pierre-Alban Delannoy Citer ce document / Cite this document : Delannoy Pierre-Alban. L'image dans le livre de lecture. In: Communications, 33, 1981. Apprendre des médias. pp. 197-221; doi : https://doi.org/10.3406/comm.1981.1500 https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1981_num_33_1_1500 Fichier pdf généré le 10/05/2018 Pierre-Alban Delannoy L'image dans le livre de lecture ALBUM OU MANUEL SCOLAIRE ? Qu'est-ce donc qu'apprendre à lire? On répondra volontiers qu'il s'agit de maîtriser une technique de perception particulière, d'acquérir habiletés et habitudes mentales nouvelles, d'entrer dans un système complexe de transcodage. Mais n'est-ce que cela? Voilà qu'un apprentissage aussi exigeant se trouve programmé sur une seule année : le cycle préparatoire. Toute la scolarité semble s'ordonner en relation au savoir-lire, comme si toutes les connaissances passaient nécessairement par la lecture. Dans les systèmes éducatifs occidentaux, en effet, l'apprentissage de la lecture fonctionne comme un passage obligé, dont nul ne peut faire l'économie au risque de se mettre hors la loi. Et c'est bien de loi dont il s'agit. La première fonction de l'école républicaine et obligatoire ne fut-elle pas d'enseigner la lettre, dès lors que la loi sociale se trouvait consignée dans le Livre 1, le « Code »? En apprenant à lire, l'enfant accède : — aux autres disciplines scolaires ; — à de nouveaux réseaux d'information et de communication ; — à la loi dont il s'institue ipso facto comme co-auteur par le fait qu'il devient sujet énonciateur de la lettre. C'est-à-dire que l'apprentissage de la lecture s'inscrit dans un changement de statut du sujet-apprenti défini en relation au corps social. Deux états peuvent être distingués : un état d'asocialité relative qui correspond à l'enfant qui ne sait pas lire, et un état de socialite relative, qui correspond au savoir-lire. L'apprentissage lui-même fonctionne donc quelque part comme une procédure de passage d'un statut à l'autre et les instruments éducatifs employés, notamment le manuel, travaillent à favoriser ce passage. Dès lors qu'on entreprend d'étudier un dispositif institutionnel ou technologique éducatif, deux aspects méritent, à notre sens, d'être pris en compte : un aspect didactique qui réfère à la formation physique, psychologique, morale et intellectuelle d'un sujet, et un aspect initiatique qui réfère à l'insignation du même sujet, avec changement de statuts corrélatifs aux situations d'apprentissage rencontrées ou programmées. Si l'analyse des instruments pédagogiques porte généralement sur 1. Les effets de la « galaxie Gutenberg » ne se sont réellement faits sentir qu'à partir de la Révolution française. La promulgation de la loi est ainsi passée de l'Église à l'école, des clerc3 aux instituteurs, du corps au livre. 197 Pierre-Alban Delannoy leur fonctionnement ou sur leur valeur d'usage didactique, en revanche, leur valeur d'outil initiatique est rarement considérée. Dans l'étude qui suit l, nous nous sommes attaché à examiner la double valeur du manuel d'apprentissage de la lecture : il est instrument didactique, puisqu'il sert à l'acquisition de la lecture et instrument initiatique en tant qu'il favorise l'accession au code social. Du double point de vue où nous nous plaçons, il nous faudrait au préalable opérer une distinction entre le livre fonctionnel — ce qu'est le manuel, et ce que nous appellerons le livre sacré. La bivalence (didactique /initiatique) n'y est pas pareillement partagée. Le livre sacré se présente d'abord comme un objet culturel et dans une moindre mesure comme instrument d'apprentissage. Ainsi, le Coran, le catéchisme, le petit livre rouge n'ont pas une vocation didactique explicite. Ce sont des livres dont le contenu présente l'essentiel du message idéologique d'un peuple, d'une nation, d'une époque. Nous pourrions les nommer Signifiant- Livre dans la mesure où ils constituent le Livre par excellence, le texte de référence, la Loi. On ne s'étonnera pas qu'ils soient de surcroît des outils pédagogiques utilisés pour l'apprentissage de la lecture. Le livre fonctionnel semble tenir sa légitimité de deux principes relativement récents, l'un psychologique et normatif (l'enfant ne peut pas, ne sait pas, ou ne doit pas lire n'importe quoi), l'autre fonctionnaliste (un livre par usage, un manuel par apprentissage). Le livre scolaire est d'abord un outil didactique, ensuite un objet culturel. Il s'adresse à une tranche d'âge définie pour un apprentissage spécifique dont la durée est limitée, dans un contexte précis. En outre, le livre sacré et le livre scolaire n'apprécient pas semblable- ment les deux pôles du passage initiatique. Le livre est sacré non seulement parce qu'il révèle le texte de la Loi, mais aussi parce qu'il sacralise l'accession au statut de lecteur. Il fonctionne globalement comme renforcement positif. La référence à l'état de non-lecteur est hors le livre, en deçà de l'apprentissage. Le manuel scolaire met en œuvre une procédure de dépassement. En ce sens, passer d'un état à un autre consiste moins à prendre conscience de capacités nouvelles, de pouvoirs nouveaux qu'à révéler ce qui a été dépassé. En caricaturant, nous pourrions dire que si le livre sacré valorise le nouveau statut acquis par l'apprenti, le livre scolaire valorise le dépassement de l'ancien. A l'objet sacré s'opposerait un objet totalement ou partiellement sacrifié. Certes, le manuel pour autant où il est livre de texte fonctionne comme objet sacré, mais dans le même temps, il offre l'aspect d'un livre d'images. Or la question, simpliste en apparence, mérite d'être posée : pourquoi des images dans un livre où il s'agit d'apprendre à lire des mots? L'image n'est pas employée pour ses vertus décoratives, ni même pour jouer un rôle fonctionnel précis. En revanche, elle contribue à évoquer V album, le livre d'images, qui constitue pour l'enfant apprenti-lecteur la principale référence livresque. Quand l'enfant est non-lecteur de mots, il est souvent déjà un lecteur d'images. Formellement, le manuel ressemble à l'album. Le format, l'épaisseur, le nombre réduit de pages, la typographie (lettres rondes, gros caractères), 1. Résultat d'une recherche présentée en maîtrise de Sciences de l'éducation, soutenue à Paris VIII en 1977, sous la direction de G. Jacquinot. 198 L'image dans le livre de lecture la mise en page rappellent immanquablement l'album. Les titres, occultant par là la fonction scolaire des manuels, désignent le nom des personnages : Tinou et Nanou, Daniel et Valérie, René et Colette, etc., et les illustrations des couvertures visualisent souvent une scène dans laquelle figurent les protagonistes cités en titre. Le manuel Je veux lire fait exception en montrant des enfants en train de lire et en désignant sa fonction réelle par son titre volontariste. La thématique des récits imagés ou contés dans les textes s'apparente également à celle des albums. Enfin, la part importante laissée à l'image dans le livre est très révélatrice. Celle-ci fonctionne en effet comme figure métonymique de l'album, et comme telle constitue bien l'un des objets liés à la petite enfance. Dès lors, on ne peut manquer de voir dans l'image du manuel d'apprentissage de la lecture la « part maudite », V objet sacrifié, celui qui renvoie au statut de l'enfant non-lecteur de mots. En contrepoint, le manuel est un livre scolaire à part entière, de par sa fonction et le volume de textes présentés et les exercices proposés. Pour ambivalent qu'il soit, le manuel d'apprentissage de la lecture qui renvoie et au livre d'images et au livre de textes, et au statut de non- lecteur et à celui de lecteur doit offrir quelque part des lieux de passage de l'un à l'autre, des lieux de rupture et d'échange que nous nous proposons de mettre en évidence. Pour le dire autrement, l'image semble bien fonctionner comme figure privilégiée de l'album qui constitue l'objet culturel sacrifié, sacrifice qui rend possible l'investissement dans le texte, et au- delà dans le code scolaire et social. L'image serait donc employée dans le manuel d'apprentissage de la lecture pour y être barrée, non pas tant pour elle-même que pour ce dont elle est le signe 1. Notre hypothèse générale pourrait se dire : il est possible de rendre compte de la composante initiatique d'un instrument pédagogique tel que le manuel pour apprendre à lire. Dans le manuel l'image tient une place qui, pour paradoxale qu'elle soit, est signifiante. Nous pensons que c'est en jouant sur la valeur métonymique de l'image par rapport à l'objet album et à ce dont cet objet est lui-même le signe, que se fondent les choix sémiologiques qui permettent l'élaboration de tels manuels d'apprentissage de la lecture (organisation de la page, ruptures d'espaces, rôles de l'image, du texte, etc.). L'étude qui suit porte sur un mini-corpus de trois manuels, choisis en fonction de leur utilisation courante 2 et des choix pédagogiques fondamentaux de leurs auteurs 3. — Daniel et Valérie (DV), par L. Houblain et R. Vincent, Paris, Nathan, 1964, 128 pages, en deux livrets. — Je veux lire (JVL), par A. Garioud et R. Coquille, Paris, Hachette, 1966, 144 pages, en deux livrets — méthode synthétique. 1. De la même manière, la comptine représente l'objet sacrifié dans les méthodes d'apprentissage de la lecture à départ phonétique — méthode du sablier, par exemple. Dans de tels livres, la part des images est plus faible. 2. Manuels couramment utilisés en France, en 1977. 3. Ces choix vont souvent dans le sens uploads/Litterature/ la-imagen-en-los-libros-de-lectura.pdf
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- Publié le Mar 28, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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