LA MORT Du même auteur dans la même collection L’Aventure, l’Ennui, le Sérieux.

LA MORT Du même auteur dans la même collection L’Aventure, l’Ennui, le Sérieux. L’Ironie. L’Irréversible et la Nostalgie. Le Pur et l’Impur. Traité des vertus : – tome I : Le Sérieux de l’intention. – tome II : Les Vertus et l’Amour (2 vol.). – tome III : L’Innocence et la Méchanceté. Vladimir Jankélévitch LA MORT Précédé d’un entretien avec Frédéric Worms © Flammarion, 1977 © 2017, pour cette nouvelle édition ISBN : 978-2-0814-1649-9 CINQ QUESTIONS À FRÉDÉRIC WORMS Comment avez-vous découvert La Mort ? Quels souvenirs avez-vous de votre première lecture ? Il y a plusieurs manières de découvrir l’importance d’un livre. Ce peut être par l’effet qu’il a sur vous, mais aussi par celui qu’il a eu sur un autre que vous, qui vous l’adresse et vous y renvoie. Ainsi, pour La Mort, ce fut dans mon cas la rencontre d’un homme que ce livre avait marqué, si j’ose dire, à vie. Guy Suarès, au fond, n’a écrit son livre sur Jankélévitch, dont fut rééditée récemment la première partie (sous le titre : L’Éblouissement Jankélévitch 1), que pour discuter avec et sur La Mort. Son livre commençait d’ailleurs par l’évocation de la mort de l’auteur de La Mort. Il y avait donc bien comme une fascination pour la mort, chez cet homme de théâtre et de grandeur, qui me fascina sans doute à mon tour. La manière dont le livre de Jankélévitch comportait l’affirmation du mystère de la mort, et même le maintien obstiné de ce mystère, la manière dont il se tenait à la hauteur de celui-ci, sans y 1. L’Éblouissement Jankélévitch, Paris, L’éclat, 2013, qui reprend une partie de Vladimir Jankélévitch, Lyon, La Manufacture, 1986. LA MORT 8 céder et sans l’annuler : tout cela était un défi. Je n’en compris cependant pas tout de suite la portée. Ma première lecture fut intriguée. Certes, il y avait ce maintien du mystère. Mais n’y avait-il pas beaucoup de mots, autour de ce vide ? Beaucoup de savoir, autour de cette inconnue ? J’ai cédé dans un premier temps, comme beaucoup, au contrecoup du brio de Jankélévitch, de son style, qui en vient parfois à masquer sa pensée. Je n’avais pas compris qu’il ne s’agissait pas de se laisser fasciner par ce vide, mais au contraire de se laisser conduire et éclairer par lui ; non pas d’y jeter la philoso- phie au risque de l’y perdre, avec les miroitements magiques du style, mais au contraire de la relancer, à tra- vers tous les paradoxes de la mort qui exigent la grande rigueur de ce grand style. Et, certes, on peut discuter cette pensée, mais comment mettre en doute le fait que ce soit une grande pensée de la mort, et donc de la vie, une grande philosophie, et non pas seulement de ce « rien », mais de tout ? Pourquoi est-ce une œuvre si marquante ? C’est un livre deux fois courageux, deux fois militant, deux fois extraordinaire. D’abord, je l’ai dit, parce qu’il affirme et maintient le mystère de la mort, envers et contre toute réduction, et toute solution. Mais aussi parce qu’il affirme la réalité de la mort. Une réalité dont il retrouve un trait fondamental dans toute sa nudité, ce trait que CINQ QUESTIONS À... 9 Jankélévitch hérite mais aussi transforme de Bergson : le temps. De fait, cela saute aux yeux, le livre est animé par un mouvement temporel, linéaire : avant la mort, l’instant de la mort, au-delà de la mort. Mais cela va bien plus loin ! Il ne faut pas céder à l’impression de ce temps extérieur et spatial, d’un déroulement lisse et sans acci- dent. Bien au contraire ! La mort rappelle la réalité heur- tée, tragique, quasi verticale du temps. Et inversement le temps est ce qui fait la réalité de la mort, dans son absence de symétrie linéaire et facile, car il y a une rupture radicale entre l’avant et l’après. L’avant, notre condition vitale : cette dernière est déjà réellement temporelle, et culmine dans l’admirable chapitre sur le vieillissement. L’instant, réalité irréversible, irrévocable de la mort : il sépare et déchire un avant et un après absolus. Quant à l’après : eh bien Jankélévitch le critique radicalement. Pas de solu- tion. Réalité du temps vital et de l’instant fatal. Illusion de tout « au-delà » idéal. Jankélévitch n’est pas dans le brio facile. Au contraire, il est, pour reprendre un de ses mots les plus frappants sur le temps, inflexible. On ajoutera un autre point. Le mystère de la mort fait de notre vie une existence, de même que chez Heidegger (dont l’« être pour la mort » hante secrètement ce livre). Mais si ce mystère fait de notre vie, chez Jankélévitch comme chez les existentialistes 1, une existence – subjective, 1. Et, au-delà de Heidegger, chez Kierkegaard et Sartre. Sur la rela- tion de Jankélévitch à Kierkegaard, on renverra au travail de thèse de P . A. Guinfolleau, et, sur le fil directeur du temps dans son œuvre, à LA MORT 10 questionnante, irréductible –, chez lui et seulement chez lui l’inverse aussi est vrai : la réalité de la mort est ce qui fait de notre existence une vie, réelle, concrète, dramatique, contre toute fascination pour la mort et son mystère ! Le seul à tenir les deux bouts du mystère et du réel, c’est Jankélévitch ! Il s’indigne à la fois contre ceux qui oublient ce mystère et contre ceux qui dénient cette réalité. En ce sens ce livre, malgré une étonnante absence en apparence de l’éthique (du meurtre, de l’assassinat, chez lui le penseur de l’imprescriptible), est intégralement éthique, et rejoint toute sa philosophie. En quoi est-elle toujours d’actualité ? Il y a plus d’une actualité de ce grand livre. Mais la ques- tion de la vie fait retour dans notre présent, et de ce point de vue le livre de Jankélévitch est à la fois central et trou- blant. On le relit et on le relira pour sa méditation sur la mort et la concrétude de la vie (ainsi un important recueil récent autour de la « fin de vie 1 »). On sera trou- blé aussi, par un point central, sur lequel il faudra le compléter : Jankélévitch lie la mort et la vie, voit tous les paradoxes de ce lien, et cependant il n’insiste pas sur leur opposition – qui pourtant définit le vivant. celui de L. Barillas (nous avons récemment préfacé avec l’un et l’autre cet autre grand livre de Jankélévitch L’Aventure, l’ennui, le sérieux, Paris, Flammarion, 2017). 1. Voir J.-Ph. Pierron et É. Lemoine (dir.), La Mort et le Soin. Autour de Vladimir Jankélévitch, Paris, PUF, 2016. CINQ QUESTIONS À... 11 Il n’insiste pas non plus sur le refus de la mort, qui définit la vie et sa polarité, même quand ce risque ou ce danger lui est intérieur (comme dans les cas de pulsion ou de désir de mort), ni enfin sur ce qui s’ensuit, en morale et en politique ! On ne cesse d’être surpris de ce point en relisant ce livre. Insistons cependant : on le relira, dans notre moment si marqué par le vivant, pour le lien entre la vie, l’existence et le temps. À cet égard, le livre est une clé philosophique mais aussi historique, pour relier (et non opposer), au cœur du XXe siècle et aujourd’hui, la philosophie du vivant à la méditation de l’existence, à la métaphysique du temps, et bien sûr de Bergson. Son actualité est celle d’un siècle de philosophie vivante, à tra- vers le négatif de la mort. Les réflexions de Jankélévitch ont-elles eu un écho dans vos propres travaux ? On a beau travailler sur le « vitalisme critique », comme je tente de le faire, c’est-à-dire sur une philosophie qui définit la vie par son opposition toujours temporelle à la mort, on est constamment tenté d’oublier la réalité de la mort et du temps, et de revenir à des problèmes géné- raux, sur le vivant, le cerveau, l’animal, ou la planète. Oui, il nous faut le rappel de Jankélévitch pour retrouver dans ces questions le sens introduit par le mystère de la mort individuelle et temporelle, son retentissement sur la LA MORT 12 vie de celui qui meurt, et sur la vie des autres, sur la métaphysique, l’éthique et la politique. Il nous faut ce rappel, aussi, pour nous souvenir de l’autre face du mys- tère, que Jankélévitch n’a jamais oublié, même et surtout dans ce livre. C’est le mystère opposé de la joie, de l’amour, de la pensée, de la philosophie, non seulement du vivre, mais du revivre 1. Il est l’homme de ces deux mystères et de cette double réalité, d’une double exclama- tion : c’est pourquoi il reste essentiel. Qu’aimeriez-vous dire à un lecteur qui découvrirait aujourd’hui ce livre pour la première fois ? De se fier à sa première impression : c’est un grand livre au sens de la véritable grandeur des livres, qui se mesure par leurs effets sur uploads/Litterature/ la-mort.pdf

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