1 LA NOTION D'IRRATIONALITÉ SELON UN MATHÉMATICIEN DU XE SIÈCLE: ABŪ JA‘FAR AL-

1 LA NOTION D'IRRATIONALITÉ SELON UN MATHÉMATICIEN DU XE SIÈCLE: ABŪ JA‘FAR AL-KHĀZIN Nicolas Farès Équipe d'Étude et de Recherche sur la Tradition Scientifique Arabe – CNRS - Liban et Université Libanaise nfares55@hotmail.com Résumé Le Traité d’Abū Ja‘far al-Khāzin (Xe s.), intitulé "Commentaire de l'introduction du dixième livre du traité d'Euclide" ("tafsīr sadr al-maqāla al-‘āshira min kitāb Uqlīdis") existe en huit manuscrits. Nous en présentons ici une étude basée sur une première édition que nous avons faite d'après des copies des manuscrits de Paris, de Leyde et de Tunis, Ahmadiya. La lecture du texte d’al-Khāzin montre que ce mathématicien a effectué une étude profonde du livre X des Éléments, pour en rendre un aperçu global. Il en présente, en effet, un commentaire condensé dont l’originalité se fait sentir tant au niveau de la forme qu’à celui du fond. Nous allons essayer tant que possible de dégager ces originalités, en nous référant surtout au commentaire de Pappus du “livre X”, aux travaux de R. Rashed sur l’histoire de l’algèbre, et à un travail récent de M. Ben Miled sur les commentaires arabes du livre X. Il nous semble que le travail d’al- Khāzin concernant le livre X, se situe dans une tradition arabe identifiée, surtout grâce aux travaux de R. Rashed et caractérisée par: - une lecture algébrique du travail géométrique d’Euclide, - une interprétation numérique des notions euclidiennes, rendue possible grâce à l'introduction d'une "unité" pour chaque type de grandeurs. Mots clés: un manuscrit mathématique du Xe siècle; al-Khāzin; Lectures algébriques du livre X des Éléments d'Euclide; grandeurs et nombres irrationnels. *** Summary The treatise of Abū Ja‘far al-Khāzin (Xth century), entitled “Commentary on the introduction of the tenth book of the treatise of Euclid” (“tafsīr sadr al-maqāla al-‘āshira min kitāb Uqlīdis”) exists in eight manuscripts. In this paper we present a study of this treatise, based on a first edition we have made, according to the copies of the manuscripts of Paris, Leiden and Tunis, Ahmadiya. A reading of this treatise of al-Khāzin proves that this mathematician did a profound study of the Xth book of Euclid Elements, in order to gain a global comprehension. In effect, he presented a condensed commentary, the originality of which can be felt both on the formal and the contents levels. The aim of our study is to try, as much as possible, to show this originality, referring specially to Pappus commentary of the “Xth book”, the works of R. Rashed on the history of algebra and a recent work of M. Ben Miled on the Arabic commentaries of the Xth book. It appears to us that the work of al-Khāzin concerning the Xth book, is situated in the current of an Arabic tradition identified, mainly due to the works of R. Rashed, by: - an algebraic representation of the geometrical work of Euclid, - a numerical interpretation of the Euclidian notions, rendered possible by the introduction of a unity for every kind of magnitude. Keywords: a mathematical manuscript of the Xth century; al-Khāzin; algebraic lectures of the Xth book of Euclid's Elements, irrational magnitudes and numbers. *** 2 1. Préface: sur le mathématicien al-Khāzin et le manuscrit de son Traité. L’étude la plus récente sur "le nom, la vie et les faits" d’al-Khāzin est donnée par R. Rashed dans son ouvrage Les mathématiques infinitésimales du IXe au XIe siècle (Rashed, 1996, vol. 1, pp. 737-739). Nous reprenons ici, brièvement quelques renseignements le concernant. Abū Ja‘far al-Khāzin est un éminent mathématicien et astronome qui a travaillé dans la première moitié du Xe siècle et qui était toujours en vie vers les années soixante de ce siècle, 350 H./961. Auteur d’un travail important en théorie des nombres (Rashed, 1979, repris en 1984, pp. 195-255 et Anbouba, 1979) son nom a été évoqué ces dernières années à l’occasion de la résolution du grand théorème de Fermat1. En effet, il est bien connu que ce théorème, qui porte le nom du grand mathématicien français du XVIIe siècle, a attendu jusqu’à 1994 pour être résolu; mais, peu de gens savent qu’il a été énoncé explicitement, dans les cas n = 3, et n = 4, par des mathématiciens du Xe siècle; certains ont même essayé de le démontrer, comme al-Khāzin2. Le Traité de Abū Ja‘far al-Khāzin, intitulé "Commentaire de l'introduction du dixième livre du traité d'Euclide" ("tafsīr sadr al-maqāla al-‘āshira min kitāb Uqlīdis") existe en huit manuscrits: 1) Feyzullāh 1359/6 ; 2) Berlin 5924/3 ; 3) Paris 2467 (ff. 201 – 207) ; 4) Leyde, Or. 1024/6 (pp. 65 - 82) ; 5) Téhéran, Daniskada-i- Adab. ğ 284/3 ; 6) Tunis, Ahmadiya 5482/4 (67b- 72a) ; 7) Patna 2928/10 ; 8) Hayderabād, Asaf. Riyad. 331/5. (Sizgin, 1974, pp. 298-299). Nous présentons ici une étude sommaire de ce Traité, basée sur une première édition du manuscrit que nous avons faite d'après les copies de Paris, de Leyde, et de Tunis. 2. Introduction: importance du sujet du Commentaire d'al-Khāzin. L'importance du Traité d'al-Khāzin ne revient pas seulement à celle de son auteur mais, aussi, à celle du sujet qu'il traite. Les propos de R. Rashed à ce sujet sont significatifs: "On ne comprend rien à l'histoire de l'algèbre si on ne soulignait les apports de deux courants de recherche qui se sont développés durant la période précédemment considérée (autour du 10e s). Le premier portait sur l'étude des quantités irrationnelles, soit à l'occasion d'une lecture du dixième livre des Éléments, soit, en quelques sorte, indépendamment" (Rashed, 1997, vol. 2, p. 37). 1 Les travaux d’al-Khāzin en théorie des nombres, ont surtout été évoqués à l’occasion de “la journée annuelle” de la Société Mathématique de France (juin, 1995), consacrée à la résolution du grand théorème de Fermat (Conférence de C. Houzel, “Le Théorème de Fermat à travers l’histoire de l’analyse diophantienne”). 2 R. Rashed consacre une bonne partie du 4 e chapitre de son Entre arithmétique et algèbre à l’évocation des travaux de ce mathématicien en théorie des nombres. On y trouve notamment une édition de son traité sur les “triplets pythagoriciens” et une reproduction d’une démonstration (erronée), qui lui est attribuée, du “grand théorème de Fermat” dans le cas n=3. (Rashed. R, 1984, pp. 195-255). A. Anbouba souligne l’erreur commise par Wœpcke et admise sans discussion depuis, par les historiens des sciences, notamment par Sarton et Suter (voir aussi Youschkevitch, 1976 pp. 69 et 91) et, qui fait du mathématicien deux personnages distincts: 1) Abū Ja‘far al-Khāzin ; 2) Abū Ja‘far Muhammad Ibn al-Husayn; (Anbouba, 1978, note p. 99). Dans le même article Anbouba présente une biographie assez étendue du mathématicien. On y lit notamment que le mathématicien a son nom cité dans les œuvres biobibliographiques d’Ibn al-Nadīm et d’Ibn al-Qiftī, ainsi que par des mathématiciens éminents tels que Ibn ‘Irāq (fin du Xe siècle), al-Bīrunī (Xe - XIe siècle), al-Khayyām (XIe - XIIe siècle), Ibn Abī Shukr al- Maghribī (XIIe siècle). 3 L’analyse du Traité d’al-Khāzin contribue à dessiner avec plus de précision le schéma du développement de la théorie des irrationnels, basée sur le livre X des Éléments d’Euclide, dans la tradition arabe. Elle contribue, notamment, à comprendre dans quelle mesure "l'algèbre, inventée au neuvième siècle par les mathématiciens de Bagdad, a fait découvrir un nouveau type d’analogie entre les nombres (entiers) et les quantités continues" (Houzel, 2002, p. 257). Le livre X des Éléments étudie la commensurabilité et l’incommensurabilité des grandeurs (continues), la rationalité et l’irrationalité des segments et des aires. Il traite quelques classes d’irrationnels, simples ou composés par juxtaposition (adjonction) ou par retranchement, représentés par des segments de droite. Il considère l’aire du carré construit sur chacun de ces segments, ainsi que le côté du carré équivalent au rectangle dont les côtés sont pris dans l’ensemble de ces segments 3. En termes modernes, les longueurs de ces segments et les aires de ces rectangles s’expriment, à partir de longueurs données, par l’addition, la soustraction, la multiplication et l’extraction de la racine carrée. Bien entendu, une telle interprétation est anachronique; car, "depuis la découverte des grandeurs irrationnelles, la mathématique grecque antique séparait rigoureusement les nombres (entiers) des quantités continues que l'on rencontre en géométrie" (Houzel, C. 2002. p. 257) et, le livre X, tel qu'il a été conçu par Euclide, est un chapitre de sa géométrie. Le nombre élevé des commentaires du livre X à travers l’histoire semble être dû à la difficulté de ce livre4. Cette difficulté revient surtout à la lourdeur du langage mathématique utilisé5. “Le commentaire du livre X d'Euclide” est, à quelques modifications insignifiantes près, le titre commun à de nombreux traités, écrits par des mathématiciens arabes, entre le IXe et le XIe siècles6. Ces écrits traitent la notion de “grandeurs irrationnelles” dans un style souvent différent de celui d’Euclide. En effet, le livre X traite les grandeurs irrationnelles en utilisant les techniques efficaces et fiables offertes par la géométrie. Or, les commentateurs arabes de ce livre disposaient d’une nouvelle discipline mathématique, l’algèbre, accueillie et utilisée sans réserve par les contemporains et les successeurs directs d’al-Khwārizmī7. Ceux là, armés des opérations uploads/Litterature/ la-notion-d-x27-irrationalite-selon-un-mathematicien-du-x-siecle-nicolas-fares.pdf

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