LA RHÉTORIQUE MODE D’EMPLOI Procédés et effets de sens Nicole Fortin Extrait de

LA RHÉTORIQUE MODE D’EMPLOI Procédés et effets de sens Nicole Fortin Extrait de la publication LA RHÉTORIQUE MODE D’EMPLOI De la même auteure : Une littérature inventée. Littérature et critique universitaire (1965- 1975), Presses de l’Université Laval, 1994. Extrait de la publication LA RHÉTORIQUE MODE D’EMPLOI Procédés et effets de sens par Nicole Fortin Extrait de la publication Couverture : Anne-Marie Jacques Photocomposition : CompoMagny enr. Distribution pour le Québec : Diffusion Dimedia 539, boulevard Lebeau Montréal (Québec) H4N 1S2 Distribution pour la France : Distribution du Nouveau Monde © Les éditions de L’instant même 2007 L’instant même 865, avenue Moncton Québec (Québec) G1S 2Y4 info@instantmeme.com www.instantmeme.com Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2007 Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada Fortin, Nicole, 1962- La rhétorique, mode d’emploi : procédés et effets de sens (Connaître ; 5) Comprend des réf. bibliogr. ISBN 978-2-89502-004-2 1. Rhétorique. 2. Types de discours. 3. Analyse du discours. 4. Figures de rhétorique. I. Titre. II. Collection. P301.F67 2007 808 C2006-941204-9 L’instant même remercie le Conseil des Arts du Canada, le gouvernement du Canada (Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition), le gouvernement du Québec (Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC) et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec. Extrait de la publication à Mélanie Harvey, amie et complice de rhétorique 9 PETITE HISTOIRE D’UN GRAND POUVOIR O n raconte qu’au Ve siècle avant Jésus-Christ, Hiéron, le tyran de Syracuse, avait interdit à ses sujets l’usage de la parole en public : un peuple qui se tait, se disait-il, est plus malléable… Bravant les interdits, Corax, philosophe de son état, entreprit la rédaction d’un manuel établissant les règles d’un discours efficace. À la chute du despote, le peuple y trouva une arme pour faire valoir ses droits et pour récupérer les terres usurpées par la tyrannie. Dans cette histoire, quelle est la part de légende et quelle est la part de vérité ? Disons plutôt que toute légende possède un fond de vérité et que celle-ci illustre bien le fait que le langage peut devenir un instrument redoutable pour agir et pour influer sur le cours des événements. Dans la Grèce antique, les cités de Sparte et d’Athènes s’affrontèrent à ce propos. Voulant garder la mainmise sur les citoyens, les autorités de Sparte développèrent une société militaire : on n’y apprenait à lire que pour des raisons pratiques et les arts ne célébrant pas les vertus guerrières y étaient jugés inutiles. Posant les bases de la démocratie, les Athéniens estimaient 10 La rhétorique mode d’emploi plutôt qu’une société juste devait s’appuyer sur la liberté d’expression de ses citoyens. L’exercice du pouvoir revenait à ceux-ci, convoqués sur la place publique (l’agora) pour débattre des valeurs et des enjeux de la Cité. Les arts, tels l’épopée et le théâtre, devinrent les modes d’expression par excellence de la culture, c’est-à-dire des valeurs fondant l’identité des citoyens. Les règles assujettissant ces discours furent réunies par le philosophe Aristote dans deux livres, intitulés Rhétorique et Poétique, auxquels se référeront les États et les cultures des siècles suivants. Nous n’appartenons plus à ce monde des « Anciens ». Nous nous enorgueillissons aujourd’hui de notre modernité, de nos libertés, de nos technologies, de nos moyens de communication aussi rapides que la lumière : aujourd’hui, nous pouvons et nous savons nous exprimer. Tout au moins le croyons-nous. L’explosion des nouveaux médias ne doit pas faire oublier que ce ne sont pas les technologies qui communiquent, mais les individus à travers elles. Ce retour sur les siècles passés rappelle que, pour savoir s’exprimer, il ne suffit pas d’apprendre les mots d’une langue, ni de connaître la grammaire d’une phrase bien faite, ni d’utiliser correctement un microphone ou une souris : il faut savoir user de toutes les ressources de la langue et du discours dans un but d’efficacité. Dès ses premiers balbutiements, l’enfant découvre qu’il arrivera plus rapidement à ses fins par telle formulation de phrase plutôt que par telle autre, qu’il aura parfois avantage à s’adresser différemment à son père et à sa mère. En fait, il n’apprend pas Extrait de la publication 11 Petite histoire d’un grand pouvoir tant à parler qu’à communiquer, c’est-à-dire à voir dans la langue un instrument permettant d’entrer en contact avec le monde, en s’exprimant et en décodant les messages qui lui parviennent. Derrière les mots se profile pour lui un outil d’expression autant que de séduction et de persuasion. À ce jeu, la communication lui apparaît aussi complexe que la langue, soumise elle aussi à des règles et à des conventions sociales qu’il apprend à décrypter et à utiliser. Aujourd’hui comme autrefois, il existe des façons plus efficaces que d’autres de dire ou de ne pas dire les choses… La rhétorique est le nom donné aux diverses tentatives de description et de compréhension des mécanismes et conventions régissant l’efficacité des discours, des plus ordinaires aux plus littéraires. En fait, la rhétorique est aux discours ce que les grammaires sont aux langues : une compilation de règles qui guident des usages. LA RHÉTORIQUE : SAVOIR DÉMODÉ ET ÉLITISTE ? Pendant des siècles, la rhétorique a été un savoir obligé. Quiconque étant appelé à jouer un rôle parmi l’élite d’une société devait en maîtriser les règles. Le mot rhétorique a longtemps désigné une année d’enseignement destinée non pas au « petit peuple », mais à ceux qui poursuivaient leurs études en vue d’appartenir aux classes dirigeantes, soit ceux qu’on appelait les « lettrés ». Au XXe siècle, un vent de suspicion se lève sur la rhétorique, considérée dès lors comme un objet aride, poussiéreux, encombrant Extrait de la publication 12 La rhétorique mode d’emploi et incompatible, pense-t-on, avec les visées de la modernité, de la scientificité, et avec l’accessibilité des études à toutes les classes de la société. La prolifération des théories de la communication, nées de l’ère des technologies de l’information, entraîne aujourd’hui sa redécouverte. La rhétorique revient à la mode ; on trouve à nouveau en elle des réponses permettant de comprendre ce que disent les textes ainsi que les sociétés qui parlent à travers eux. La rhétorique d’aujourd’hui n’est toutefois plus celle d’hier : on n’en fait plus une sorte de grammaire à apprendre par cœur. On reconnaît néanmoins, et peut-être plus que jamais, qu’elle donne prise à la compréhension d’un des instruments de « pouvoir » les plus importants de la vie en société, c’est- à-dire la capacité de s’exprimer, de communiquer et d’argumenter : Savoir argumenter n’est pas un luxe, mais une nécessité. Ne pas savoir argumenter n’est-il pas, par ailleurs, une des grandes sources récurrentes d’inégalité culturelle, qui se superpose, en les renforçant, aux traditionnelles inégalités sociales et économiques ? […] Une société qui ne propose pas à tous ses membres d’être citoyens, c’est-à-dire d’avoir une véritable compétence à prendre la parole, est-elle vraiment démocratique1 ? 1. Philippe Breton, L’argumentation dans la communication, Paris, Éditions La Découverte, coll. « Repères », 2003, p. 12. 13 Petite histoire d’un grand pouvoir De nos jours, c’est donc au nom d’un pouvoir auquel tous ont droit que la rhétorique acquiert à nouveau ses lettres de noblesse. QUE RECOUVRE LE TERME RHÉTORIQUE ? Les Grecs jugeaient qu’un discours efficace devait tenir compte de cinq composantes : 1. L’inventio : choisir le contenu. On ne peut produire un discours sans d’abord procéder au choix de l’information à transmettre, soit les arguments, les idées, les faits, les exemples, les thèmes, les personnages, etc., aptes à servir efficacement le propos. Les auteurs ne disposent pas toujours de l’entière liberté de parole. Selon les époques, certaines considérations idéologiques, morales, esthétiques, littéraires, etc., ont conduit à la désignation de thèmes, de personnages, d’arguments presque obligés, ou de tabous à ne pas transgresser, pour qu’un discours soit jugé réussi, voire socialement acceptable. De tout temps, et aujourd’hui encore, la rhétorique a ainsi concouru, explicitement ou non, à baliser ce qui pouvait être dit. 2. La dispositio : organiser le discours. Dans quel ordre faut-il soumettre les idées, par quel type de discours (argumentatif, narratif, théâtral, poétique, etc.) faut-il les présenter ? Cette composante consiste en l’élaboration d’un plan, qu’on peut entendre dans son sens militaire de Extrait de la publication 14 La rhétorique mode d’emploi « stratégie ». En effet, l’ordonnancement du discours ne relève pas seulement d’un souci de clarté, mais de la mise en place d’une stratégie au service du propos. Les genres discursifs sont les principaux exemples des conventions imposées par la dispositio. Structures rigides, ils ont longtemps constitué des canevas commandant la forme d’un texte, compte tenu des idées et des thèmes exposés. Les XIXe et XXe siècles ont progressivement tenté d’éliminer les frontières entre les genres. Nos habitudes de communication y font néanmoins toujours référence. Consciemment ou non, nous parlons et écrivons toujours en respectant certains modèles que notre culture a instaurés. 3. L’elocutio : bien dire les choses. Le choix des mots justes, des tournures de phrases appropriées, est crucial pour l’efficacité du propos. On uploads/Litterature/ la-rhetorique-mode-d-x27-emploi-nicole-fortin.pdf

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