Quelques représentations des dimensions macro-syntaxique et discursive dans les

Quelques représentations des dimensions macro-syntaxique et discursive dans les grammaires (langues romanes et slaves) Some representations of macrosyntactic and discourse dimensions in several grammars (Romance and Slavic languages) Frédéric Torterat1 Cristiana Papahagi2 Veronica Manole3 Tijana Ašić4 Veran Stanojević5 Slavko Stanojčić6 Abstract: This contribution consists of a short presentation of the way in which several university level grammars embed macrosyntactic and discourse aspects in their descriptions of the grammatical facts. The present paper looks at Italian, Spanish, Romanian, European Portuguese and Serbian, and outlines to what extent the books selected for this purpose introduce pragmatic and textual examples – from written and oral corpora – to support their explanations. The main hypothesis put forward here is that the inclusion of the grammar-discourse interface modifies to some degree the descriptive categories commonly used in such works. Key words: grammars, macro-syntax, discourse, Romance languages, Slavic languages. 1. Présentation À mesure qu’elles s’appuient sur l’ontologie linguistique (ne fût-ce qu’en se confrontant, par exemple, aux questions de la représentativité des ressources et des domaines de variation), les grammaires s’ouvrent à ce qui, de fait, les soumet à la contradiction. 1 Université Nice Sophia Antipolis, EA 6308 ; Frederic.TORTERAT@unice.fr. 2 Université Babeș-Bolyai Cluj ; cpapahagi@yahoo.com. 3 Université de Paris 8 / Université Babeș-Bolyai Cluj ; veronica.manole@gmail.com. 4 Université de Kragujevac (Serbie) ; tijana.asic@gmail.com. 5 Université de Belgrade (Serbie) ; veranstanojevic@yahoo.com. 6 Université de Belgrade (Serbie) ; slstanojcic@gmail.com. Studii de lingvistică 5, 2015, 15 - 49 F. Torterat, C. Papahagi, V. Manole, T. Ašić, V. Stanojević et S. Stanojčić 16 L’une des manifestations les plus significatives d’une telle ouverture consiste dans ce qu’on peut appeler, un peu prosaïquement, l’intégration de plusieurs niveaux de représentation. Comment procéder autrement, d’ailleurs, pour peu qu’il s’agisse de traiter d’incidence, de circonstants, d’ellipse ou de subordination « non marquée » ? Une autre exigence, en partie déontologique, concerne plus particulièrement la prise en compte de diverses formes de gradualité : tel mot appartient plus ou moins nettement à la catégorie des prépositions, telle marque (de négation ou de détermination, par exemple) est d’une portée variable sur les éléments de son entourage, etc., autant de flottements qui fragilisent, pêle-mêle, les catégories établies, les déclarations dites de bonne formation, et bien entendu les conformisations qu’elles impliquent. Quels que soient les termes auxquels recourent les auteur(e)s, de multiples éléments confirment que les constructions et les opérations que s’approprient les grammaires se manifestent sur plusieurs dimensions simultanément, alors même que ces dimensions fournissent précisément des éclairages pluriels, et quelquefois peu accommodants, sur les propriétés repérées comme telles dans les ouvrages concernés. Plus spécifiquement, l’approche combinée des aspects micro- et macro-syntaxiques des faits linguistiques, si ténue soit-elle, bouscule de nombreux présupposés d’ordre méthodologique. Ce qui pose, entre autres, les questions suivantes : dans quelles proportions l’inter-clausal, l’extra-phrastique, mais aussi les données suprasegmentales et la discursivité, conduisent les grammairiens à repositionner l’analyse des faits relevés ? D’autre part, comment s’effectue l’intégration des données concernées, éventuellement en lien avec ce que l’on peut appeler les représentations de l’« usage » linguistique ? Enfin, quels types d’approches, gradualistes ou non, favorisent ou non cette intégration ? À la suite de plusieurs numéros de revues parus sur ces questions concernant le français, dans des perspectives tant généraliste (Neveu et Mejri 2007, Arnavielle et Siouffi 2012) que didactique (notamment Halté et Petitjean 2010, 2011, Daunay et Grossmann 2012), cette contribution se propose d’exemplifier les procédés par lesquels des grammaires de langues différentes – ici le roumain, l’espagnol, l’italien, le portugais européen, mais aussi le serbe et dans une faible mesure le croate – s’efforcent de répondre à ces défis méthodologiques. Comme on peut facilement le supposer, nous n’avons nullement ici pour ambition de dresser un état de la question (qui plus est sur quelques pages !) des démarches mises en place par les grammaires des langues considérées. Une telle initiative ne pouvant relever que d’un format proprement encyclopédique, nous nous en tiendrons à recenser quelques- unes des pistes, à caractères terminologique, classificatoire et en Quelques représentations des dimensions macro-syntaxique et discursive dans les grammaires 17 partie historique, que soulèvent les ouvrages, sans nous priver toutefois de faire brièvement allusion à l’environnement de travail, documentaire et de recherche, de celles et ceux qui en sont les auteur(e)s. Ajoutons qu’outre lesdites dimensions, plurielles, des faits de langue, se pose parallèlement l’enjeu de la langue de référence elle-même, d’autant que le traitement des faits macro-syntaxiques (parmi lesquels les constructions bi-clausales, la converbalité, l’intercalaison, etc.) conduit les grammaires à admettre des données phono-prosodiques, mais aussi celles, interpersonnelles et représentationnelles, qui caractérisent toute production proprement située (cf. Pop 2014 : 52). Il apparait que les ouvrages grammaticaux contemporains s’appuient de plus en plus fréquemment sur différents types de corpus, sans se restreindre à l’écrit (voir pour illustration Biber et al. 1999, ainsi que Pop 2012). D’où la valorisation, qui se répand progressivement, d’une langue qui est proprement celle de l’usager, et, par la même occasion, le retour à une démarche clairement philologique, avec l’approche variationniste qu’elle présuppose. Sans qu’il ne s’agisse, pour les auteur(e)s, de s’approprier pour autant unilatéralement l’« usage » linguistique (voir là-dessus Newmeyer 2003, Meyer et Tao 2005, Sampson et Babarczy 2014), il s’agit plutôt, comme le résume A. Berrendonner (2014 : 283), de s’attacher avant tout aux « éléments les plus usuels de la langue ». Une telle démarche est d’ailleurs soutenue, en linguistique générale, par une abondante recherche sur la diversité des corpus, mais aussi sur les modes de traitement et d’analyse qui leur sont spécifiques. Elle rejoint même à certains égards les pratiques comparatistes de certaines études typologiques, dont les représentants sont nombreux à suggérer l’inspiration dans les grammaires. D’un autre côté, que les contributeurs se réclament en particulier de paradigmes fonctionnalistes (Croft 2003, 2012 ; Hengeveld et Mackenzie 2011) ou optimalistes (Butt et al. 1999), de telles tendances dépassent les modes de formalisation à l’œuvre (cf. Traugott et Trousdale 2010). Cela s’applique d’ailleurs à la discursivité elle-même, à propos de laquelle on peut formuler l’hypothèse, avec L. Pop (2014), que les productions discursives suscitent, elles aussi, des jugements d’appropriété (p. 52, 60-66). Dans tous les cas, les quelques comptes-rendus rassemblés dans la présente contribution – laquelle constitue, avant tout, une information tout autant qu’une incitation à approfondir le travail – semblent confirmer que les aspects qui conduisent à envisager plusieurs niveaux d’analyse permettent de porter un autre regard sur ce qu’on peut appeler, de manière assez convenue, les faits grammaticaux. F. Torterat, C. Papahagi, V. Manole, T. Ašić, V. Stanojević et S. Stanojčić 18 2. En grammaire roumaine 2.1. Configuration générale La linguistique roumaine, comme les autres domaines scientifiques en Roumanie, a été peu connectée à la recherche étrangère avant 1989. Après cette date, elle a tenté d’absorber rapidement les nouveaux concepts et approches, avec souvent des difficultés. La grammaire universitaire a suivi et, en général, a essayé d’intégrer la nouveauté dans les structures « traditionnelles », sans égards pour les incohérences. La syntaxe opérait traditionnellement avec trois niveaux : le mot, la proposition (qui équivaut à la phrase simple) et la phrase (équivalant à la phrase complexe), qui, en tant que telle, s’est souvent orientée autour de deux types de relations : coordination (y compris en parataxe) et subordination. Les unités supérieures à la phrase et d’autres types de relations relevaient du domaine de la stylistique. Seuls S. Stati (1972) et V. Șerban (1974), dans les années 1960-1970, ont pu référer en syntaxe à d’autres niveaux et d’autres relations, mais leurs démarches n’ont pas été suivies, pour des raisons à la fois académiques et politiques. La grammaire roumaine des années 1990 a été marquée notamment par l’approche de Coseriu (en linguistique textuelle) et par la pragmatique (cf. les traductions des Dictionnaires de Ducrot et Schaeffer (1996), Moeschler et Reboul (1999), etc.). Elle s’est également ouverte à d’autres variétés que la langue écrite des auteurs canoniques, notamment après 2002, avec la publication de trois grands corpus d’oral authentique7. D’autres études, surtout des travaux de recherche doctorale, ont exploité des corpus oraux ou écrits non-littéraires et ont conduit à identifier des niveaux intermédiaires, notamment le « reste » et le « substitut » des propositions et de la phrase. Les trois ouvrages que nous présentons brièvement ici ont été choisis en raison de leur grande diffusion, du type d’approche qu’ils proposent, et notamment du fait qu’ils sont représentatifs, chacun d’entre eux, d’un moment de l’histoire récente de la grammaire roumaine. Le premier est celui de Ion Diaconescu (1995), Sintaxa limbii române [Syntaxe de la langue roumaine], paru de manière posthume à Bucarest chez Editura enciclopedică (434 p.). D’inspiration structuraliste, cette Syntaxe n’utilise pas le lexique de la pragmatique, mais fait une large place au texte en tant qu’unité significative de communication. Le deuxième, Tratat de gramatică a limbii române. II – Sintaxa [Traité 7 Il s’agit du Corpus de română vorbită (CORV). Eşantioane (Dascălu Jinga (coord.) (2002), utilisant la transcription Jefferson augmentée de notations prosodiques et de parties non verbales) ; de Interacţiunea verbală în limba română. Corpus (selectiv). Schiţă de uploads/Litterature/ torterat-et-al.pdf

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