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Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 1988 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 04/07/2022 2:18 a.m. Laval théologique et philosophique Les servitudes volontaires : leurs causes et leurs effets selon le Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie Gérald Allard Volume 44, Number 2, juin 1988 URI: https://id.erudit.org/iderudit/400373ar DOI: https://doi.org/10.7202/400373ar See table of contents Publisher(s) Faculté de philosophie, Université Laval ISSN 0023-9054 (print) 1703-8804 (digital) Explore this journal Cite this article Allard, G. (1988). Les servitudes volontaires : leurs causes et leurs effets selon le Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie. Laval théologique et philosophique, 44(2), 131–144. https://doi.org/10.7202/400373ar Laval théologique et philosophique, 44, 2 (juin 1988) LES SERVITUDES VOLONTAIRES : LEURS CAUSES ET LEURS EFFETS SELON LE DISCOURSDELA SERVITUDE VOLONTAIRE DÉTIENNE DE LA BOÉTIE Gérald ALLARD RÉSUMÉ. — Tous les lecteurs du Discours de la servitude volontaire d'Etienne de La Boétie ont remarqué que sa critique de la soumission et de la domination politiques ne propose pas la mise en place d'institutions libres. L'analyse des conditions et des effets de la servitude volontaire : coutume, lâcheté, ingénuité du peuple, ambition et avidité des grands, paraît être minée par une sorte de pessimisme pratique. On en a conclu que son ouvrage était inachevé. Or une relecture révèle qu'il y a pour La Boétie deux «servitudes volontaires» bien distinctes ; car cette étrange expression nomme, d'une part, le régime politique qu'est la tyrannie, d'autre part, la relation morale qu'est l'amitié. C'est dans et par la réalisation des conditions de l'amitié, entreconnaissance, égalité, vigueur spirituelle, que s'annoncent et se préparent une transformation des régimes mauvais et une accession aux différentes dimensions de la liberté. E n 1530, naît à Sarlat en Guyenne, comté du Sud-Ouest de la France, Etienne de La Boétie ; très jeune, il étudie le droit à Orléans à l'Université des Lois et est bientôt nommé conseiller au Parlement de Bordeaux ; à peine sorti de la jeunesse, de fait âgé de trente-deux ans, il meurt à Germignan, toujours en Guyenne, entouré de ses parents et de ses amis '. Vie et mort d'un être humain, faits divers emportés par le fleuve de l'histoire qui depuis toujours charrie tout devant lui. Cet homme est pourtant bien connu encore aujourd'hui parce qu'il fut l'ami éternel de Michel de Montaigne, lui- même devenu éternel dans et par ses Essais. Et si on se fie au témoignage de ce dernier, 1. Paul BONNEFON a écrit une bonne biographie de La Boétie qu'on trouvera aux pages xiii à xxxv dans Etienne de La Boétie, Œuvres complètes, publiées par Paul Bonnefon, Bordeaux et Paris, Gounouilhou et Rouan, 1892; ou Siatkine Reprints, Genève, 1967. 131 GÉRALD ALLARD La Boétie est digne d'être connu par lui-même, entre autres, pour ses œuvres littéraires, éditées d'ailleurs par Montaigne. Or le Discours de la servitude volontaire, surnommé le Contr'un, est, aux yeux de l'histoire, le chef-d'œuvre du jeune homme. Dans ce pamphlet, comme l'indique le titre, c'est la servitude volontaire qui est mise en question, en tant que mystère de la vie politique et clé d'analyse de l'homme, ci- devant animal raisonnable, moral, capable de rire et, pour La Boétie, animal libre mais trop souvent esclave. Une montée graduelle partant de faits humbles et bien ordinaires conduit à un problème hautement philosophique : qu'est-ce que la servitude volontaire ? Ce mouvement n'aurait pas été sans plaire aux auteurs du Discours de la servitude volontaire et des Essais. Pour cerner les idées maîtresses de l'auteur, il convient de passer en revue les parties principales de son texte. Ce qui donne les deux paragraphes qui suivent. S'opposant vigoureusement à quelques vers d'Homère, La Boétie pose cette question : comment se fait-il que les gens du peuple se livrent entre les mains d'un seul qui les maltraite, surtout qu'il est toujours moins fort que la nation dans son ensemble et même que la grande majorité des individus pris isolément? comment se fait-il qu'un seul hommeau domine des milliers et des millions d'hommes normalement constitués ? Cette servitude est d'autant plus étrange qu'elle mérite le qualificatif de volontaire : elle est impossible sans la complicité active de ceux qui en souffrent ; il ne faudrait, affirme La Boétie, que vouloir ne pas servir pour que la tyrannie s'effondre comme une statue dont on aurait soudain retiré le socle. Fort de ses raisonnements, apostrophant les gens du peuple, l'auteur tente alors de réveiller chez eux la révolte. Puis, brusquement, il se ravise : il ne sert à rien de prêcher ainsi ; puisque tout montre que la servitude volontaire est devenue une maladie morale inguérissable, dans le désespoir d'agir, il ne reste plus qu'à analyser le phénomène politique désolant pour tenter d'en déterminer les causes. Or l'homme est, selon l'intention de la nature, un être libre, fait pour l'entraide et l'entreconnaissance. Par ailleurs, les tyrannies ont diverses origines historiques, mais se ramènent toujours au même résultat pratique : la domination des masses par un individu qui les manipule et en use comme sa propriété. La première cause de cette servitude volontaire contre nature est la coutume : les hommes sont ainsi faits que l'éducation est à peu près toute-puissante sur eux pour les accomplir parfois, pour les corrompre trop souvent. Sans doute, existe-t-il une classe d'hommes qui peuvent et qui veulent franchir les murs que l'habitude dresse autour des individus ; mais ils rencontrent de nombreux obstacles à accomplir leur libération et celle des autres. En plus — et c'est la deuxième cause de la servitude volontaire — les hommes fuient ordinairement les voies difficiles. Or la tyrannie les avilissant, ils ne se sentent plus impliqués par le bien commun ; les tyrans multiplient les divertissements qui occupent les âmes et consomment les énergies ; les maîtres se donnent des airs de demi-dieux de façon à s'attirer un pieux respect. La servitude volontaire est donc le chemin du moindre effort. La Boétie fait alors quelques remarques sur les symboles religieux entourant la monarchie française et que pourrait utiliser la jeune poésie de la Renaissance. Il nous apprend ensuite que les tyranneaux, c'est-à-dire les complices du tyran, sont les indispensables courroies de transmission du pouvoir illégitime et la troisième cause de la servitude volontaire. Individu • oués, énergiques et ambitieux, 132 LES SERVITUDES VOLONTAIRES les tyranneaux se mettent au service de l'«un» pour jouir d'un pouvoir très partiel et d'un butin très incertain. Terminant par une vision eschatologique, La Boétie assure à son lecteur que Dieu «... réserve là-bas, à part, un châtiment particulier aux tyrans et à leurs complices »2. Ajoutons tout de suite à cette brève revue des parties du texte que le Discours de la servitude volontaire se refuse quasi systématiquement à une interprétation toute unie, magistralement définitive. Sans cesse, le texte étonne son lecteur par de constants revirements de perspective et de ton, l'invitant ainsi à réajuster son interprétation ou, à tout le moins, à relire. D'abord, exemple manifeste de ces difficultés naissant de la lecture même, qu'en est-il de l'ordre du texte? À première vue, tout est satisfaisant, comme on l'a vu : le problème de l'existence de la servitude volontaire est exposé pour ensuite être résolu par la mise à jour et la présentation, une à une, de quelques causes. Pourtant, La Boétie attire deux fois l'attention sur des digressions importantes qui troublent la coulée de son analyse autrement presque impassible et noblement régulière. En s'excusant chaque fois de s'être ainsi éloigné sans s'en rendre compte de son projet initial3, l'auteur incite à demander d'abord pourquoi il n'a pas éliminé les excursus et ensuite, plus profondément, si, nés du mouvement d'une pensée tentant de suivre à la trace les indices de la réalité politique et laissés malgré tout dans le texte final, ils n'ont pas de quelque façon rapport à la servitude volontaire. Or le premier excursus porte sur les révolutionnaires et sur leurs chances de réussir la transformation d'un régime tyrannique, le second sur la France contemporaine de La Boétie. En juxtaposant les passages, il est permis de penser que l'auteur, nouvel Ulysse, comprenant que les conditions politiques peuvent commander la modération de la parole, «... en adaptant, je crois, son discours aux circonstances plutôt qu'à la vérité »4, risquait ici, mais bien prudemment, quelques idées révolutionnaires; en se rappelant que la France d'Etienne de La Boétie était déchirée par de terribles guerres de religion et que certains mettaient en cause la légitimité du régime monarchique en France, il est permis de se demander de quel côté de la barrière se trouvait l'auteur du Discours. Concluons du moins que l'œuvre demande une relecture. Or en reprenant les choses uploads/Litterature/ compte-rendu.pdf

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