L’imagination dans la littérature, outil de conscience ou de création ? Synergi

L’imagination dans la littérature, outil de conscience ou de création ? Synergies Algérie n° 29 - 2021 p. 135-146 135 Reçu le 27-02-2021 / Évalué le 11-03-2021 / Accepté le 12-04-2021 Résumé La narration fictionnelle est une condition sine qua non de ce qui fait d’un roman une œuvre de fiction. En effet, l’imagination occupe la place la plus importante dans l’élaboration du texte littéraire. Cependant, il est difficile de parler avec précision de la simulation de la réalité par le texte littéraire : est-elle une copie fiable ou bien une simple perception ? Quel rapport entretient-elle avec notre condition humaine ? Dans ces conditions, l’investigation de la faculté de l’imagination par le biais d’une brève étude littéraire pourrait fournir des explications satisfaisantes quant à notre souveraineté sur la réalité, ou bien l’écart que nous exerçons à l’égard de cette même réalité. Si le monde est, sans cesse, recrée par l’imagination, le texte litté­ raire l’est autant. De là il serait possible que son rôle ne se cantonne pas à fonder la nature du texte littéraire, mais à avoir pour mission, de créer à chaque instant. On est écrivain, espèce intelligente et Homme, grâce à cette faculté. L’univers mis en œuvre par le langage dépasserait alors le simple fait qu’il soit une reproduction de la réalité, son essence réside dans l’acte langagier inventif de l’imagination. Mais ce qui est manifeste, c’est bien son pouvoir de concevoir l’irréel ; l’imagi­ nation serait, dans ce sens, notre libre arbitre. Mots-clés : littérature, imagination, représentions, réalité, fiction Nacereddine Lagab Doctorant, Université Larbi Ben M’Hidi d’Oum El Bouaghi, Algérie lagab.nacerddine@univ-oeb.dz GERFLINT GERFLINT ISSN 1958-5160 ISSN en ligne 2260-5029 Sous la direction de Meriem Boughachiche Maître de conférences classe A, Université de Constantine 1, Algérie et de Souad Benabbes, Maître de conférences classe A, Université Larbi Ben M’Hidi d’Oum El Bouaghi, Algérie Synergies Algérie n° 29 - 2021 p. 135-146 Imagination in literature, a tool of consciousness or of creation? Abstract Fictional storytelling is a sine qua non of what makes a novel a work of fiction. Indeed, the imagination occupies the most important place in the development of the literary text. However, it is difficult to speak with precision about the simulation of reality by the literary text: is it a reliable copy or a simple perception? What relationship does it have with our human condition? Under these conditions, the investigation of the faculty of the imagination by the means of a brief literary study could provide satisfactory explanations as to our sovereignty over reality, or else the deviation which we exercise with regard to this same reality. If the world is constantly being recreated by the imagination, so is the literary text. From there it would be possible that its role is not confined to founding the nature of the literary text, but to have for mission, to create at every moment. We are a writer, intelligent species and a Man, thanks to this faculty. The universe implemented by language would then go beyond the simple fact that it is a reproduction of reality; its essence resides in the inventive language act of the imagination. But what is manifest is its power to conceive the unreal; the imagination would be, in this sense, our free will. Keywords: literature, imagination, representations, reality, fiction Introduction Pour simplifier l’acception du terme « littérature », en premier lieu l’attention s’articulera autour du texte littéraire car, celui-ci est considéré, selon une perspective discursive, comme étant un discours à vocation plurivoque. Contrairement au discours scientifique, tous domaines confondus, aurait pour mission d’informer de manière univoque. À partir de cette confrontation, on pourrait dire que le discours scientifique relève du domaine de la dénotation, et que de l’autre côté les langages littéraires ; poétique, romanesque, théâtrale, etc., s’inscrivent dans le domaine de la connotation. En vertu de cette distinction, il va sans dire que le discours littéraire dépasse l’unique fonction de communication, il se pourrait qu’il y ait information dans le message véhiculé dans tel ou tel roman, mais l’essence de ce message réside dans sa capacité à provoquer des interprétations plurielles. Chaque lecteur interprète ce message selon son imaginaire et sa vision du monde, des possibilités infinies, telle est donc la nature du discours littéraire. En effet, la littérature est ce grand monde de l’enfance où l’on imaginait chaque jour des histoires fascinantes. À ce propos André Breton écrit (1924 :20) : C’est peut-être l’enfance qui approche le plus de la «vraie vie» ; l’enfance au-delà de laquelle l’homme ne dispose, en plus de son laissez-passer, que de quelques billets de faveur ; l’enfance où tout concourait cependant à la possession efficace, et sans aléas, de soi-même. 136 L’ imagination dans la littérature, outil de conscience ou de création ? Partant de la logique, la conscience se représente le monde de deux onglets différents. Il serait donc nécessaire de distinguer une conscience directe d’une perception, mais cela risque de brouiller les pistes. Dans la conscience directe l’objet représenté est absent. La conscience représente l’image selon des degrés différents. La question qui se pose est celle de la fidélité de cette représentation : est-elle une copie fiable ou simplement un signalement de la chose ? Dans cette distinction relevant des domaines psychologiques et biologiques (conscience, perception) l’erreur est prise en considération par la perception. De ce fait un souci méthodologique règne dans tout travail portant sur l’imagi­ naire. Tout chercheur est dans l’obligation de se poser la question sur le degré de fausseté ou de fidélité des images sur lesquelles il effectue son travail d’analyse, dans une perspective d’interprétation et non de scientificité pour mieux adjurer ce faux problème. Sur ces entrefaites, quelle représentation a-t-on de la réalité ? Une réalité construite en partie par et à travers la faculté de l’imagination. Mais qu’on le veuille ou pas, l’imagination est un outil très puissant permettant non seulement de libérer notre esprit, mais surtout de changer le monde. Jean-Jacques Rousseau n’avait-il pas écrit que : « le monde de la réalité a ses limites, le monde de l’imagination est sans frontières ». Quant à Einstein ses propos montrent que l’imagination gouverne le monde : « La logique vous emmènera d’un point A à un point B, l’imagination vous emmènera où vous voulez ». 1. Raconter une histoire, outil de création L’Homme parle de sa propre vision du monde, la narration est une caractéris­ tique typiquement humaine, on pourrait, dans ce sens, comparer l’exercice de la narration à la littérature. Seulement, la littérature est affectée par une faiblesse conséquente par rapport au domaine scientifique. Les scientifiques et les chercheurs travaillent en immersion dans l’expérience de la vie. Le scientifique est muni d’instruments de mesure d’une extrême précision, et se sert de matériaux techno­ logiques qui lui fournissent les données nécessaires pour produire son discours. Le domaine littéraire est un domaine insaisissable et conjecturable d’un point de vue logique, l’écrivain se retrouve seul dans la construction de son texte, ses matières premières sont par excellence son imaginaire, sa mémoire, ses souvenirs, les textes qu’il a lus, digérés. Cette faiblesse constitue à la fois l’efficacité et la pauvreté de la littérature. Une question fondamentale est posée dès lors qu’on parle de l’imagination, à quoi sert la littérature ? Selon la définition de la littérature par les classiques, celle-ci reposait sur la capacité des textes à plaire et à diffuser un savoir. 137 Synergies Algérie n° 29 - 2021 p. 135-146 Une définition qui accomplirait une tâche satisfaisante ; instruire et divertir à la fois. Mais il ne faut surtout pas rassembler tous les classiques sous un grand genre, Hugo et son romantisme, Molière et son théâtre satirique, La Fontaine et son moralisme pertinent, Céline et sa révolution littéraire par l’introduction d’un style argotique, mais surtout par la puissance de son alter égo littéraire. Soit comme exemple l’extrait suivant de son roman Voyage au bout de la nuit, cet extrait résume toute la philosophie qui anime cet article. L’imagination est non seulement un moyen pour échapper au dégout de la vie réelle, mais un outil très puissant de création. Céline (1932 : 3) l’avait remarquablement illustré dans l’extrait suivant : Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C’est un roman, rien qu’une histoire fictive. Littré le dit, qui ne se trompe jamais. Et puis d’abord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre côté de la vie. Il n’existe donc pas un seul grand genre concernant les classiques, leurs produc­ tions étaient très variées. Néanmoins l’acception classique de la littérature tournait principalement autour de l’acte de plaire et d’enseigner de sorte que les deux objectifs soient complètement dépendants l’un de l’autre. Cette association est cruciale, car la science ne cherche qu’à universaliser des vérités précises, elle néglige complètement sa capacité à plaire uploads/Litterature/ lagab.pdf

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