search person_outline language  Toggle navigationmenu 1. Numéro 2012/2 (N°8

search person_outline language  Toggle navigationmenu 1. Numéro 2012/2 (N°81) Ecrits d'Algériennes et guerre d'indépendance Témoignages et créations Christiane Chaulet Achour Dans Confluences Méditerranée 2012/2 (N°81), pages 189 à 203  Article Traiter d’un tel sujet, cinquante années après, n’est ni aisé ni confortable. En effet, le discours le plus entendu sur les Algériennes et la guerre déplore leur maintien en soumission depuis 1962, en projetant les difficultés du présent par un éclairage rétroactif sur leur choix de la lutte pour l’indépendance et, sans toujours l’exprimer, sur le choix de l’indépendance elle- même. Cette contribution constitue un dossier regroupant des documents à (re)lire de ce que furent les voix/voies féminines algériennes, entre 1954 et 1962 et comment elles ont dû négocier leur place dans la nation émergente, avec stagnations, avancées et régressions comme d’autres groupes de la société algérienne ; par ce dossier donc, il s’agit de mieux contextualiser les œuvres de deux ou trois d’entre elles, privilégiées par une notoriété littéraire [1], qu’on re- convoque chaque fois qu’on évoque ce sujet, mais souvent en ignorant ces textes. Il semble ainsi qu’on puisse mieux apprécier l’échange fécond entre témoignage et création. Ce programme ne sera qu’en partie analysé faute de place mais s’appuie – et ce sera le parti pris de l’étude – sur la conviction de la nécessité de cette lutte pour l’indépendance puisque le colonialisme refusait de baisser les armes. Toute entrée dans la violence est un labyrinthe et un vertige et personne ne s’y engage de gaieté de cœur. Comme l’a magistralement montré Raphaëlle Branche avec l’équipe du documentaire sur « Palestro » [2], on ne peut comprendre l’entrée en guerre que si l’on accepte de se placer dans la perspective de la longue durée en prenant en compte le parcours colonial depuis ses débuts. Le premier constat concernant les Algériennes est celui de leur entrée tardive dans l’écriture, due essentiellement à une scolarisation différée et plus parcimonieuse que celle des hommes. Lorsqu’elles écrivent, ce sera dans une société et un temps investis et bousculés par l’Histoire, dans une société algérienne réticente à les accepter dans la sphère publique, dans une société française aussi où la moindre écriture « non engagée » [3] de l’une d’elles est interprétée alors comme une victoire sur l’ennemi, à savoir le résistant au colonialisme [4]. Ces brefs rappels, bien connus, ne sont faits que pour redessiner l’atmosphère d’inconfort qui est celle où les femmes-témoins et les créatrices s’engagent dès lors qu’elles prennent plume ou parole. Comme les hommes, elles ne peuvent guère échapper à l’Histoire omniprésente pour affirmer leur être au monde et l’existence réelle d’une « patrie » : « nation-Etat ou nation- communauté ou simplement patrie solidairement agissante, et pour cela même “nationale”, quelque chose existait qui a permis à l’Algérie de s’opposer, au cours de cent trente ans, à une grande puissance impérialiste et à la forcer, en définitive, à capituler [5] . » Aussi, leur participation à la lutte de libération a été et est encore une référence de légitimité. Cette référence est prégnante dans les trente premières années après l’indépendance pour résister alors non plus au colonialisme mais à une régression de leur statut. Très rapidement, après 1962, les écrits de femmes vont insister sur l’écart entre leur engagement du passé proche et la portion congrue qui leur est réservée dans la société algérienne postcoloniale, ce qui n’efface pas le passé immédiat. Du côté du témoignage La femme militante, la femme combattante : le temps de la guerre Deux documents sont essentiels à rappeler : l’un, malgré la célébrité de Fanon, assez occulté comme l’essai dont il fait partie : « L’Algérie se dévoile » dans L’An V de la révolution algérienne [6] où il donne aux Algériennes combattantes et à la mutation sociale qu’elles subissent et provoquent à la fois, une place importante et éclaire des aspects du processus de libération que les générations suivantes n’oublieront pas. Cet essai, publié en 1959, rassemble des observations et rencontres de l’année 1956. Fanon, analyse, en pleine guerre, les modifications profondes de la société algérienne et le rôle incontournable qu’y tient la femme. Il publie un texte de conviction s’appuyant sur une démonstration avec preuves à l’appui. Il entend convaincre pour rallier à la cause algérienne. L’optimisme de son discours participe à la nécessaire mise en place d’images valorisantes pour soutenir aussi le moral des combattants. Le texte même de Fanon est à lire dans son contexte, dans l’effet qu’il exerça sur des acteurs et des actrices de la lutte [7]. Il faut lire les passages percutants sur le port du voile dans l’Histoire de la colonisation, les fantasmes du colonisateur vis-à-vis de la femme arabe interdite puis la nécessaire libération du corps pour entrer complètement dans la lutte. En 1959, un autre texte est publié, sans audience internationale, et c’est la raison pour laquelle, je m’y attarde plus ; publié dans El Moudjahid, organe du FLN à Tunis, il est un témoignage d’une jeune maquisarde, suscité par « ses chefs », Amirouche en particulier. Le Journal d’une maquisarde paraît du numéro 44, le 22 juin 1959 au numéro 49, le 31 août 1959 [8]. Il commence ainsi : « Lorsque la révolution, en novembre 1954, éclata, j’étais âgée de 15 ans. J’habitais Alger au quartier Belcourt et je venais de quitter l’école après avoir passé les épreuves du CEP. » Le récit suit une chronologie : début du militantisme ; émotion du premier jour d’action et de risque (ici, un transport d’armes) ; arrestations et sévices racontés avec réserve, précision et sobriété ; montée au maquis ; organisation des maquisards et contacts entre infirmières ; activités dans les villages : sous nos yeux se déploie la chronique passionnante lue tant de fois depuis ; elle montre combien les villageoises et les militantes des villes ont été actives quotidiennement et ont constitué l’épine dorsale de cette guerre populaire. Ce récit raconte aussi le travail plus spécifique de ces infirmières au sein de la population civile : hygiène, puériculture et scolarisation en arabe ; les moments cruciaux : répressions, encerclements. La jeune fille ne veut pas donner d’elle-même une image héroïque mais entend témoigner pour toutes les jeunes femmes qui ont combattu. Elle n’est qu’une « Algérienne comme tant d’autres ». Pour appuyer la véracité de ce qu’elle dit, elle multiplie dates précises, lieux et faits. Ainsi, lorsqu’elle est arrêtée fin 1956, elle a 18 ans : après deux mois d’interrogatoire à Sidi Ferruch, elle est hospitalisée à Beni Messous. Dès sa sortie de l’hôpital, début 1957, elle rejoint le maquis. Après 13 mois de service dans la Wilaya 4, elle est affectée à la Wilaya 3 sous les ordres d’Amirouche ; elle y reçoit une formation d’infirmière. La narratrice remonte alors un peu en arrière jusqu’à l’été 57 marqué par la grande réunion des maquisards près de Blida et l’accrochage qui s’en suivit. Une deuxième grande réunion à Palestro en octobre 1957 souligne la prise de conscience du rôle de la femme algérienne dans la lutte nationale. Son séjour au maquis est ponctué par les assauts de l’ennemi, les soins aux blessés, le transport des médicaments, les réunions avec les chefs, l’instruction des femmes dans les villages et les dechras (hameaux), les rencontres avec d’autres maquisardes. La description des lieux est allusive, sommaire : ce qui importe ce sont les rapports humains, hommes et femmes, combattants et civils. Des figures exemplaires se détachent auxquelles la jeune maquisarde rend hommage : Amirouche, « chef prestigieux » qu’elle admire pour son autorité et son esprit d’organisation, d’autres maquisards et aussi, des maquisardes, comme Malika – on reconnaît Malika Gaïd – infirmière exemplaire, morte à l’entrée d’une grotte en défendant ses blessés [9]. Le Journal rapporte aussi les témoignages de Naïma 20 ans, Malika d’Alger, Chérifa 18 ans, orpheline, Fatiha 16 ans, Zohra dactylo, Sakina, Baya l’étudiante... et la liste continue, témoignant des figures féminines d’une guerre. De régions et de milieux divers, d’éducation différente, toutes sont portées par le même élan, toutes sont « l’Algérie » qui « avec toutes ses fibres, participe à la lutte contre le colonialisme et l’oppression étrangère. » Par petites failles dans un discours « sous surveillance » – l’intériorisation par la récitante elle-même de ce qu’il faut dire et de ce qu’il faut taire et le but de ce « journal » destiné à être publié dans le journal de la résistance algérienne à Tunis – la parole de la jeune femme laisse échapper aussi l’espoir des lendemains : après l’indépendance, continuer à défendre la liberté des femmes et exister autrement que comme « graine de fellaga », selon ses propres termes. S’il avait été plus médiatisé, on pourrait considérer ce récit comme une sorte de récit-matrice organisant les images-clés de la combattante : activité militante, interrogatoires, courage, solidarité, réunions et abris dans les grottes, importance de la formation reçue. Il porte en lui tous les éléments de ce qui sera dit après la guerre et certains auteurs racontant la combattante adoptent les mêmes uploads/Litterature/ texte-historique 2 .pdf

  • 15
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager