Le Coran, enquête sur un livre sacré Alfred-Louis de Prémare dans collections 3
Le Coran, enquête sur un livre sacré Alfred-Louis de Prémare dans collections 30 daté janvier - mars 2006 - Qui a vraiment écrit le Coran ? Et quel est son contenu ? A quelle date a été établi le texte définitif ? Dans quelle mesure est-il l'héritier de la Bible hébraïque et chrétienne ? Pour répondre à ces questions, encore taboues dans le monde musulman, l'historien du monde arabo-islamique Alfred-Louis de Prémare remonte aux sources de l'islam. L'Histoire : La Bible hébraïque est un récit des origines. Les Évangiles retracent la venue de Jésus et sa vie. Qu'est-ce que le Coran ? Alfred-Louis de Prémare : Tel qu'il se présente aujourd'hui, le Coran* est un volume de dimension relativement modeste. Si on le feuillette, on remarque que c'est un assemblage de fragments. Cet assemblage est réparti en 114 unités, que l'on appelle les « sourates* », elles- mêmes très composites, et sans lien logique ou chronologique apparent entre elles. Ce sont des textes plus ou moins longs, dont le style et les contenus sont très variés. Quand une sourate est très courte, elle constitue une unité littéraire. Mais à mesure que les sourates deviennent longues, elles deviennent plus composites. Si bien que quelqu'un qui ne connaît pas le Coran se demande souvent de quoi il est question au juste. On passe d'un sujet à un autre, d'une diatribe contre les infidèles à des prescriptions sur les interdits alimentaires, etc. Parfois, c'est le prophète* Mahomet qui parle, mais sous le couvert de Dieu et sur son ordre « Dis ! » ; le plus souvent, c'est Dieu qui parle, avec le « Nous » de majesté. Et qui est le locuteur lorsqu'il s'agit de Dieu à la troisième personne ? Cela n'est pas précisé. Prenons des exemples au hasard dans le volume. Dans la sourate 20, relativement unifiée, on trouve un long récit sur Moïse. En arabe, il se déploie avec la même rime à la fin de chaque verset - tout le Coran est rimé. Puis on passe au récit de la chute d'Adam, et enfin à une diatribe contre les incroyants, mêlée à une exhortation à l'adresse du Prophète. Mais la sourate 22, « Le pèlerinage », ne concerne le pèlerinage qu'au milieu, et dans une partie limitée. Les autres thèmes en sont très disparates : preuve de la Résurrection, allusion à une guerre possible, diatribe contre les incroyants, exhortations, etc. Les rimes sont flottantes d'un morceau à l'autre, ou à l'intérieur d'un même morceau. Cette discontinuité thématique à l'intérieur d'une même sourate déroute le lecteur. Quant à la sourate 55, « Le Miséricordieux », c'est un poème, avec refrain, une sorte de psaume. Il comporte toutefois un assez long doublet de sept versets. Si bien que je ne peux pas vous dire : le Coran raconte l'histoire des débuts de l'islam. Non. Il y fait allusion, cependant, au cours de développements divers. Mais ce n'est pas un récit ; c'est un assemblage de morceaux divers sur des sujets différents. L'unité globale vient de son objet général : Dieu, son Envoyé, l'islam*, et tout ce qui entoure cela. L'H. : Le Coran ne raconte donc ni la naissance d'une nouvelle religion, ni la vie de Mahomet, ni la conquête arabe ? A.-L. P. : Le lecteur non averti y cherche une sorte de Bible ; il ne la trouvera pas. Il croit y trouver la biographie d'un fondateur ; il ne la trouvera pas. Le nom même de Mahomet n'y apparaît que quatre fois, pour affirmer qu'il est l'Envoyé de Dieu. Et ce que l'on peut interpréter comme une évocation de sa vie personnelle est purement allusif, juxtaposé, parfois, à des thèmes sans rapport avec lui. Le nom de La Mecque n'apparaît qu'une ou deux fois. Le nom de Yathrib, la localité où Mahomet s'installa au moment de l'Hégire* la future Médine, n'apparaît qu'une fois, et celui de « Al-Madina » quatre fois, sans qu'il soit dit explicitement qu'il s'agit de Médine. Ces simples observations nous indiquent que le Coran n'est pas un livre d'histoire, un récit historique. C'est autre chose. Les musulmans disent que, « entre les deux plats de sa couverture » , le Coran renferme les messages que Mahomet, le prophète de l'islam, a reçus de Dieu par l'intermédiaire d'un messager divin, Gabriel, au cours de sa carrière en Arabie, à La Mecque et à Médine. Gabriel est une figure connue : plutôt ange de la puissance de Dieu dans les commentaires juifs de la Bible, par exemple dans le Talmud1 ; plutôt messager de Dieu envoyé à Zacharie et à Marie dans la tradition chrétienne. Lorsqu'ils parlent en français, les musulmans emploient le mot de « révélation » : ces messages sont autant de « révélations » reçues par le Prophète à telle époque, en tel lieu, dans telles circonstances. Mais, en fait, le terme dominant en arabe pour définir la manière dont ces messages divins sont reçus par Mahomet est littéralement « descente ». Le Coran est descendu d'auprès de Dieu par fragments sur le Prophète, par l'intermédiaire de Gabriel. Dieu « a fait descendre » telle sourate, ou tel verset, sur le Prophète. Descente discontinue et circonstancielle, qui est souvent évoquée par le Hadith*. L'H. : Qu'est-ce que le Hadith ? A.-L. P. : Il existe pour les musulmans deux ensembles de textes de référence pour leurs dogmes, leurs pratiques rituelles, pour la vie sociale et politique : d'une part le Coran et d'autre part ce que l'on appelle le Hadith, ensemble de « dits » attribués à Mahomet et d'informations transmises à son propos par son entourage, chaque dit ou récit étant appelé un « hadith ». Les traditions contenues respectivement dans ces deux ensembles ont commencé à être mises par écrit au cours du premier siècle de l'islam VIIe-VIIIe siècle. Leur transmission, orale ou écrite, est allée de pair avec la conquête, d'abord celle de l'Arabie sous la direction du fondateur de l'islam, puis de son successeur, Abu Bakr, ensuite celle des autres régions du Proche-Orient sous les califes* suivants. L'H. : Quelle est exactement la différence entre le Coran et le Hadith ? A.-L. P. : Les deux corpus de textes rapportent des traditions, mais ce qui distingue les textes coraniques du Hadith, c'est que le Coran a été sacré Écriture divine. Ceux qui ont mis par écrit le Coran ont fait en sorte que la plupart des textes qu'il contient se présentent eux-mêmes comme une Écriture divine, en arabe Kitab Allah . Dieu dit à son prophète : « Nous avons fait descendre sur toi ce Kitab. » Le mot kitab désigne un « écrit », une « écriture », et, par extension, un « livre ». Le Coran, c'est donc le livre de Dieu. Pour un musulman, c'est le livre sacré par excellence. Et le seul. Sacré, tabou en quelque sorte. Souvent, un homme pieux ne touchera pas un coran avant de s'être lavé les mains, par exemple. Par ailleurs, le Coran ne se discute pas. Quant au Hadith, qui rapporte des traditions relatives à ce qu'a dit et fait le Prophète, à la « descente » du Coran, à sa mise par écrit ordonnée par les premiers califes qui ont succédé à Mahomet à la tête des musulmans, etc., c'est une transmission humaine, qui, par conséquent, peut être discutée : validité, authenticité, etc. L'H. : Autrement dit, le Coran, c'est la parole de Dieu, alors que le Hadith est le livre des hommes. Comment se présente le Hadith ? A.-L. P. : Le Hadith se constitue aujourd'hui de dizaines et de dizaines d'ouvrages, d'énormes compilations de traditions diverses, mais classées, généralement par thème. En principe, il y a, chez les sunnites*, six grands ouvrages, de plusieurs volumes chacun, constitués au IXe siècle, et qui ont une autorité particulière et reconnue, canonique dirons- nous. Le plus connu est celui d'Al-Bukhari. Et il y a d'autres collections en plus des « six ». Cela ne veut pas dire que le Hadith s'est toujours présenté comme cela. Il y a eu, en principe à partir d'une transmission orale, des collections écrites partielles, en même temps que naissait l'activité scripturaire des musulmans pour la constitution du Coran. D'ailleurs, en analysant les textes, on a bien l'impression que, pour les toutes premières générations de musulmans, la distinction entre ce qui appartiendrait au Coran et ce qui relèverait du Hadith a été indécise durant un certain temps. Nous en avons de très nombreux indices textuels. Peu à peu, cependant, une sélection s'est opérée et deux corpus différents se sont progressivement formés, durant les VIIe et VIIIe siècles. Il faut replacer tout cela dans le contexte large de l'activité d'écriture des musulmans aux premiers siècles de l'islam. Le Coran et le Hadith ont partie liée, les contenus du second explicitant, développant ou expliquant ceux du premier, qui sont très souvent purement allusifs. Si on ne lit pas le Hadith, bien des textes coraniques restent opaques. Les grandes compilations du Hadith comportent en effet des uploads/Litterature/ le-coran-enquete-sur-un-livre-sacre.pdf
Documents similaires










-
40
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 21, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1281MB