Yves Cortez Le français ne vient pas du latin! L'HARMATTAN À Sébastien, Emmanue
Yves Cortez Le français ne vient pas du latin! L'HARMATTAN À Sébastien, Emmanuel, Annabelle, mes enfants, pour qu'ils apprennent à se défaire des idées reçues. Mes remerciements vont à Michel Malherbe qui m'a apporté son soutien et ses conseils chaleureux. Préface Les cocotiers sont faits pour être secoués. Yves Cortez prend pour cible le latin tel que les linguistes, selon lui, le conçoivent. Il n'y va pas de main morte! Son point de vue est intéressant: ce ne serait pas le latin, qui serait la mère des langues romanes mais un « italien ancien ». Il serait ainsi possible d'expliquer pourquoi toutes les langues romanes se ressemblent entre elles, sans ressembler vraiment au latin: elles n'ont pas de déclinaisons, les mots les plus courants ne sont pas bâtis sur des racines latines, etc. Les faits cités sont troublants alors que les explications académiques généralement avancées sont peu satisfaisantes. Le grand mérite d'Yves Cortez est de soulever un véritable problème et de tenter une explication. J'ai pris un grand plaisir à lire son argumentation et j'adhère volontiers à sa thèse d'une origine «italienne» des langues romanes. Ce qui m'ennuie quelque peu, c'est qu'il soulève encore plus de problèmes qu'il ne brise de tabous. De quel chapeau sort cet italien ancien qui a engendré les langues romanes? Comment est-il apparu? Quelle est sa parenté avec le latin? Yves Cortez le voit issu d'un italique issu de l' indo-européen dont on ne sait rien. Pourquoi pas, mais la question soulevée dans le livre d'un chaînon manquant entre le latin et les langues romanes se trouve reportée un peu plus dans le temps: comment est né l'italien ancien? Comment a-t-il perdu les déclinaisons de l' indo-européen ? Faute d'avoir été écrit, cet italien ancien restera un mystère. Peu importe, il est rafraîchissant et bon pour I'humilité intellectuelle de remplacer des certitudes par des points d'interrogation. Michel Malherbe (Auteur de Les langages de I'humanité,. une encyclopédie des 3 000 langues parlées dans le monde, Éditions Robert Laffont.) Prologue Ne croyez pas une chose simplement sur des ouï-dire. Ne croyez pas sur laloi des traditions uniquement parce qu'elles sont en l'honneur depuis nombre de générations. Ne croyez pas une chose sur le simple témoignage d'un sage de l'Antiquité.Ne croyez pas une chose parce que les probabilités sont en salaveur ou parce que I'habitude nous pousse à la croire vraie. Ne croyez rien en vouslondant sur la seule autorité de vos maîtres ou des prêtres. Bouddha Contrairement à l'idée généralement admise, le français ne vient pas du latin, pas plus que l'italien, l'espagnol, le roumain ni aucune autre langue romane ne viennent du latin. Ma thèse est la suivante: le latin a été la langue unique des Romains jusqu'au Ille siècle avant J.-C., puis, le latin a été submergé par l'italien, mais est resté la langue du pouvoir et la langue des lettres. Aussi, dès le lIe siècle avant J.-C., les Romains étaient bilingues: ils utilisaient l'italien comme langue parlée et le latin comme langue écrite, et ce sont ces deux langues que les Romains ont apportées dans toutes les régions qu'ils ont conquises. Ainsi en France, en Espagne et en Roumanie les peuples ont abandonné leurs langues respectives pour adopter l'italien comme langue parlée et n'ont utilisé le latin qu'à l'écrit, comme le faisaient les Romains. Il est vraisemblable que les Romains appelaient leur langue parlée: le «roman ». Pour éviter toute confusion avec l'usage que nous faisons de ce mot aujourd'hui, j'appelerai la langue parlée par les Romains: 1'« italien ancien ». C'est à dessein que j'emploie ce terme car les Romains ne parlaient pas un latin déformé, dénommé parfois « latin vulgaire» ou « bas latin », mais parlaient une autre langue, qui n'a pas pour origine le latin, et qui était déjà de l'italien. Le bilinguisme langue parlée/langue écrite n'a rien d'exceptionnel. Au début de notre ère, à Jérusalem, l'hébreu, langue parlée par les juifs jusqu'à cette époque, cède la place à l'araméen, mais garde son statut de langue de la religion et de la littérature. Les juifs du temps de Jésus-Christ étaient bilingues, ils parlaient araméen et écrivaient en hébreu. Aujourd'hui, dans les pays arabes, on parle l'arabe dialectal et l'on écrit uniquement en arabe classique. En Suisse alémanique, la langue parlée est le suisse alémanique et la langue écrite est le haut-allemand. Au Québec, la langue parlée est riche d'un vocabulaire original, mais le français utilisé à l'écrit est toujours parfaitement académique. En Afrique, en Amérique et en Asie, le bilinguisme langue parlée/langue écrite est une réalité quotidienne; les différents peuples continuent à utiliser leurs langues vernaculaires et utilisent à l'écrit une langue officielle, généralement la langue des anciens colonisateurs: l'anglais, le français, l'espagnoL.. La forte divergence entre le latin et les langues romanes fait débat depuis longtemps chez les latinistes et les linguistes. En 1940, le linguiste danois Louis Hjelmslev concluait ses recherches par ces mots: «la langue-mère que nous sommes amenés à reconstruire n'est pas le même latin que celui qui nous est transmis par la littérature. » En 1953, le linguiste français Jean Perrot observe lui aussi que la langue-mère qu'il a reconstruite à partir des différentes langues romanes « ne correspond pas à l'état du latin que nous connaissons ». Ils découvrent l'un et l'autre une langue-mère très différente du latin, mais ils n'osent pas s'éloigner du dogme et affirmer qu'en fait d'« autre latin» il s'agit tout bonnement d'une « autre langue ». En 1985, le grand latiniste Jozsef Herman reconnaissait au congrès international de linguistique et de philologie romanes, devant un parterre de lettrés venus du monde entier: «Nous autres romanisants, avec tout au plus les historiens de la langue latine, 12 sommes à peu près les seuls à savoir qu'en ce qui concerne le processus même de transformation du latin en langue romane nous avons plus d'hypothèses et de controverses que de certitudes [...] » En cette fin du vingtième siècle, plus les recherches s'approfondissent et moins les chercheurs s'accordent sur une explication de la transformation du latin en langues romanes. Les difficultés viennent du fait que les chercheurs sont prisonniers du dogme selon lequel les langues romanes viendraient du latin et s'ingénient à trouver des explications à toutes les supposées transformations du latin. Ils essaient donc d'expliquer la disparition des déclinaisons, du genre neutre, des verbes déponents, des adjectifs verbaux, et l'apparition des articles, du passé composé, du conditionnel. .. Et ils n'y arrivent pas. Antoine Meillet, le célèbre linguiste français du début du XXe siècle, n'a que des démonstrations parcellaires et des conclusions non fondées que masquent mal ses formules péremptoires: «les innovations communes résultent du fait qu'un mécanisme délicat et complexe a été manié par des gens nouveaux de toutes sortes. »1 Comment des gens issus de différents horizons pourraient-ils provoquer les mêmes innovations linguistiques? Il Y a là un mystère étonnant. Pour Antoine Meillet, la deuxième grande explication réside dans le fait que le peuple aimerait la simplicité: « Le déponent est dans la langue le type de complication inutile. » Le peuple se serait donc défait du déponent. Puis plus loin: «En laissant tomber le neutre le roman s'est débarassé d'une catégorie qui depuis longtemps ne signifiait plus rien. » Le peuple grec, lui, a gardé le neutre, ainsi que les Allemands et les Russes! Antoine MeiIlet a des lois à géométrie variable. De deux choses l'une: ou bien on en reste au lyrisme de Littré qui s'exclamait dans l'introduction de son dictionnaire: «Au grand étonnement de l'érudit, les mutations s'effectuèrent comme si un concert préalable les avaient déterminées »2,ou bien on essaie de faire une analyse rigoureuse et un tant soit peu scientifique. Quelles sont les principales objections que l'on peut faire à une origine latine des langues romanes? 1 Antoine Meillet, Esquisse d'une histoire de la langue latine, 1928. Librairie Klincksieck. 2 Emile Littré, Dictionnaire de la langue française, Librairie Hachette, vers 1870 . 13 - Comment ont pu se produire les mêmes disparitions et les mêmes apparitions de formes grammaticales dans toutes les langues romanes? - Comment expliquer la disparition des mêmes mots latins et l'apparition des mêmes mots non latins dans toutes les langues romanes? Les adjectifs, les adverbes, les verbes latins les plus usuels auraient-ils tous disparu dans toutes les langues romanes? - Comment expliquer qu'une telle tranformation se soit faite en près de quatre siècles, de la disparition de l'empire romain vers l'an 400 à l'apparition de la langue romane mentionnée au concile de Tours en l'an 813, alors que la stabilité des langues semble une loi générale? Antoine Meillet met pourtant plusieurs fois en évidence ce caractère des langues dans son livre sur 1 'histoire de la langue latine1 : « langue d'un grand empire, le latin a gardé durant quelques huit cents ans une stabilité.» Après huit siècles de stabilité, la langue aurait tout à coup muté à une vitesse vertigineuse au point qu'elle devienne méconnaissable! Antoine Meillet sent bien qu'il y a là une curiosité qui ne serait propre qu'au uploads/Litterature/ le-francais-ne-vient-pas-du-latin 1 .pdf
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- Publié le Dec 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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