LE PERVERS ET LA CURE : à propos de la «Colonie pénitentiaire» de KAFKA M.KLEIN
LE PERVERS ET LA CURE : à propos de la «Colonie pénitentiaire» de KAFKA M.KLEIN (*) Y. CROMBEZ (**) (*) Intersecteur de Psychiatrie Infanto-Juvénile Centre Hospitalier Spécialisé 57206 SARREGUEMINES (**) Institution Jean-Baptiste Thiéry Clinique de Neuro-Psychiatrie Infantile 54320 MAXEVILLE Il était une fois, si nous en étions au conte de fées, mais il s'agit là d'un compte de faits, qui, s'il laisse d'abord sans voix, ne laisse pas de nous interroger. Une mauvaise fée semblait s'être penchée sur les nourrissons de cette famille des environs de Nancy, qui décédaient de mort subite malgré les soins de la médecine sous forme de monitoring intensif. Cet enfant-ci, c'est la mère qui l'a ramené à l'hôpital. D'un autre l'Autre, est-ce là le chemin qu'elle veut clore ? Est-ce le souffle qui porte la scansion d'un cri qu'elle veut éteindre ? De ses mains, elle lui ferme le nez et la bouche, instaurant un lieu clos. Mais ça, ça n'existe pas. Pour preuve s'y glisse le regard d'une infirmière qui l'arrête. Si s'éclaire alors cette série de morts subites par la répétition de l'acte pervers, le fantasme qui s'y lie n'en est que suspect. Elle n'en dira rien. Le fantasme du pervers ne peut pas se dire. Mais de cet acte, nous nous sommes demandés ce qui peut-être s'y lit, ce qu'il en serait d'une écriture possible du fantasme chez le pervers. Pour ce faire, nous nous proposons d'en référer une autre représentation tentée du lieu clos où l'écrit s'éclaire de sa substance : le texte de "la colonie pénitentiaire" de Kafka. Nous ne nous essayerons pas une décomposition du fantasme du pervers, mais suivre les glissements possibles d'une structure l'autre, de par le cheminement d'un questionnement sur la structuration de la représentation fantasmatique. Écrire du fantasme se supporte bien de ne pas savoir ce qu'il est et ce n'est certes pas d'une définition qu'il faut attendre d'en dévoiler la nature. Il nous a donc paru de bon sens de reprendre ici celle que donnent Laplanche et Pontalis dans le Vocabulaire de la Psychanalyse "Scénario imaginaire où le sujet est présent et qui figure, de façon plus ou moins déformée par les processus défensifs, l'accomplissement d'un désir et, en dernier ressort, d'un désir inconscient". Suit une classification en catégories de fantasmes conscients, inconscients et originaires. La première proposition de cette définition mérite d'être soulignée. Puisque sur le chemin de la métaphore, nous avons été rechercher la définition de "Scénario" "Rédaction détaillée des scènes d'un film, d'un roman (d'une histoire)". "Scène" nous renvoie au lieu et l'action; "histoire" nous renvoie au passa et "rédaction" au futur; "rédaction" nous renvoie l'écrit et "scène" l'image. Déjà, dans le Manuscrit M, Freud écrivait : "Un fragment de la scène vue se trouve ainsi relié un fragment de la scène entendue pour former un fantasme, tandis que le fragment non utilise entre dans une autre combinaison". La formation du fantasme va déjà de l'œil l'oreille, et ce sont les mêmes sens qui, chez l'autre, reçoivent son expression. Nous en trouvons dans les écrits de Freud deux illustrations. Dans "Un enfant est battu", la représentation fantasmatique ( noter que Freud utilise ce terme et non pas celui de "fantasme") est une phrase, phrase qui va subir des changements syntaxiques importants, formulations qui s'affinent, mais qui peuvent aussi signifier dans leurs variations l'échec d'une phrase être plus qu'une représentation fantasmatique. Dans "Les fantasmes hystériques et leur relation à la bisexualité", la représentation fantasmatique, sous la forme d'une attaque, est une scène donnée à voir, où "la malade tient d'une main sa robe serrée contre son corps (en tant que femme) tandis que de l'autre main, elle s'efforce de l'arracher (en tant qu'homme)". Cette inscription univoque dans le temps de la représentation du fantasme, qui fait retour dans le symbolique lors de l'interprétation, pose cependant la question de cette communion supposée dans le temps de son expression avec l'autre, spectateur. Sans perdre le fil de ce que cette jonction, qui se situe en un temps quasi mythique nous renvoie à la question de ce "une fois perçu", indiqua par Freud comme objectif de retrouvailles de l'hallucination dans le processus primaire, soit à l'énigme de cette perception dans un mouvement inauguré par une hallucination, nous en suivrons la trame dans le texte de Kafka. Dans une colonie pénitentiaire, un officier explique à un explorateur étranger le fonctionnement d'une machine à châtier, invention d'un ancien commandant dont les principes sont en disgrâce auprès du nouveau commandant. La désapprobation présupposée de l'explorateur est censée pour l'officier fournir un argument au nouveau commandant pour condamner l'usage de la machine, ce qu'il redoute. Il va s'employer à le gagner à sa cause. Le condamna, qui ne parle pas la même langue qu'eux, ne sait pas qu'il est l'objet d'une condamnation; à fortiori, il ignore la sentence. "Il serait inutile de la lui faire savoir, puisqu'il va l'apprendre sur son corps”. En effet, la machine grave la sentence sur la peau du condamné en une écriture particulière : "un labyrinthe de signes entrecroisées qui recouvraient le papier en un si grand nombre qu'on ne distinguait qu'avec peine les espaces blancs qui les séparaient". Ce détail a une importance capitale : de cette écriture, le blanc, le manque, est “presque” sur le point de disparaître. A la tête du lit est "un petit tampon de feutre qu'on peut facilement disposer de telle sorte qu'il entre juste dans la bouche du condamné. Il est destiné à l'empêcher de crier et de se mordre la langue". Le cri ne doit pas advenir car il condamnerait toute possibilité de jonction, ayant valeur symbolique, mais l'organe de la parole doit rester intact pour que le fantasme opère. "Au bout de deux heures, on enlève le feutre, car l'homme n'a plus la force de crier. On met du riz dont l'homme peut prendre, s'il lui plaît, ce qu'il attrape du bout de la langue. Aucun ne laisse échapper l'occasion". On a l'impression d'assister à une régression, une marche à rebours vers la naissance. Ici l'homme n'est plus que dans l'oralité réduite. "Ce n'est qu'a la sixième heure qu'ils perdent l'envie de manger... Comme il devient calme... L'esprit le plus stupide s'ouvre alors. Cela commence autour des yeux, puis rayonne et s'étend. Un spectacle à vous donner vous aussi, la tentation de vous mettre sous la herse. Il ne se passe d'ailleurs plus rien, l'homme commence seulement déchiffrer l'inscription, il avance les lèvres comme s'il épiait". Il "la déchiffre avec ses plaies". "Il lui faut six heures pour finir. A ce moment, la herse l'embroche complètement et le jette dans la fosse où il tombe en faisant "plouf" sur l'ouate et l'eau ensanglantée". Nul doute que le sujet se situe dans la jouissance dont l'issue logique est la mort. Cette jouissance procède d'abord de la souffrance : "Pendant les six premières heures, le condamné vit à peu prés autant qu'avant, il souffre seulement". Mais si nous considérons le processus décrit comme inversé, il faut alors considérer que la souffrance naît de la suppression de la jouissance. La jouissance est alors encadrée par la mort, ce qui montre bien que jouissance et plaisir ne peuvent être confondus, le plaisir étant à rapporter à la souffrance, tous les deux issus de la jouissance. La jouissance du condamné surgit au moment où il peut déchiffrer le message de l'Autre dans la souffrance de son corps, où le signifiant s'efface devant le signifié, où $ s'assure de a. Entrant dans le réel, le Sujet entre dans la mort (le $ujet s'y dissout). Prend alors toute sa valeur le "plouf" réel où la mort se signale dans le son comme la jouissance se signalait dans l'image. C'est du moins, la démonstration que tente l'officier au fil d'un discours sur la jouissance de l'Autre, discours qu'il adresse à l'explorateur supposé le savoir Vérité. "Votre jugement est sûrement déjà formé; s'il subsiste encore dans votre esprit quelques petites incertitudes, le spectacle de l'exécution les fera disparaître". Car la machine est ici indispensable; c'est elle qui lui permet de s'approprier cette jouissance qui lui échappe, elle qui la livre à son regard. "Elle se compose, comme vous le voyez, de trois parties. Au cours du temps, elles ont reçu des appellations pour ainsi dire populaires; celle d'en bas, c'est le lit, celle d'en haut, la dessinatrice et celle du milieu, celle qui reste en l'air, la herse". "Dès que l'homme est ligoté, on met le lit en mouvement. Il opère des oscillations extrêmement faibles, mais très rapides, qui s'exécutent à la fois de droite à gauche et de haut en bas". "C'est à la herse que revient la véritable exécution du jugement". "On a construit la herse en verre". "A travers le verre, tout le monde peut voir l'inscription se graver sur le corps du condamné". En parlant de la machine, l'officier fera consécutivement deux affirmations contradictoires "Jusqu'à présent, il fallait la servir, maintenant elle fonctionne toute seule". "Des perturbations peuvent se produire". Il commence par donner des explications car "elle grince pendant uploads/Litterature/ le-pervers-et-la-cure.pdf
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- Publié le Oct 15, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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