Le Fauteuil magique —Bernard Brun, Table des matières LE FAUTEUIL MAGIQUE La Gu
Le Fauteuil magique —Bernard Brun, Table des matières LE FAUTEUIL MAGIQUE La Guerre des Sources Le Sommeil et le Rêve Galland ou Mardrus ? Une Feuille envolée Le Dormeur éveillé Sésame sans les lys Zobéide Bibliographie Pour citer cette page Le projet est de reprendre et de développer les recherches que j’avais faites sur un des contes des Mille et Une Nuits, “ Le Dormeur éveillé ” (Études proustiennes IV, Gallimard, 1982 et Bulletin d’informations proustiennes n° 28, 1997) pour dégager un phénomène important d’intertextualité : la déformation subie par les contes dans leur processus d’appropriation et de transformation dans les cahiers de brouillon et dans les manuscrits. Annelise Schulte-Nordholt (Le Moi créateur, L’Harmattan, 2002) avait repris mes travaux en oubliant la dimension génétique pour privilégier la force structurante de l’instance narrative. Philippe Willemart (“ L’Histoire de Zobéïde ”, BIP, n° 31, 2000) avait préféré une interprétation psychanalytique. Je voudrais étudier cette valeur structurante dans les brouillons et manuscrits pour le premier et le dernier volume du roman (ils ont été écrits ensemble). Le sujet entre dans le cadre de l’exploration du “ nocturne proustien ”, qu’il s’agisse de la confusion spatio-temporelle du début ou de celle, plus érotisée, de la promenade du T emps retrouvé, juste avant l’“ Adoration perpétuelle ” (la révélation qui justifie le destin du narrateur). La structure se justifie par une intertextualité qui est d’abord la contamination de trois contes (“ Le Dormeur ”, “ Ali-Baba ” et “ Zobéïde ”), mais aussi de plusieurs sources différentes. Francine Goujon se trompe dans son édition de la “ bibliothèque de la Pléiade ” (note 3 de la page 5) en voyant La Machine à explorerle temps de H. G. Wells (1899) comme modèle unique du fauteuil magique de l’incipit d’À la recherche du temps perdu. Dominique Jullien se trompe aussi en affirmant que la traduction d’Antoine Galland prévalait sur celle du docteur Mardrus (1900) (Proust et ses modèles, Corti, 1989, p. 8). Le “ fauteuil magique ” est coupé dans la traduction incomplète d’Antoine Galland, mais elle se trouve dans celle de Mardrus. Une troisième source pour ce fauteuil est Alfred Maury (Le Sommeil et les Rêves, Didier, 1878) (chapitre premier). Cette contamination des sources (ou intertextualité), initiale dans les premières pages du roman, développe le nocturne proustien dans Le T emps retrouvé. Les promenades dans le Paris de la Grande Guerre et la conversation avec Jupien autorisent le jeu de mot fondateur de la révélation finale : le “ Sésame ” du conte et de Ruskin, c’est-à-dire une auto-citation (le narrateur cite une traduction de Proust), donnant ainsi une clé du roman, manifeste esthétique. Le nocturne proustien cette fois mène à l’Adoration perpétuelle. Ce n’est plus la confusion de l’incipit, mais, après les zones d’ombre, la marche vers la Vérité. LE FAUTEUIL MAGIQUE La Guerre des Sources Que pouvait lire Marcel Proust dans les contes ? Quand les a-t-il lus et relus, et dans quelle traduction ? Quelle est l’importance de cette lecture dans son métier d’écrivain ? Et comment le savoir ? Suivre la piste, les quelques traces, impose des détours parfois complexes. Les textes, la correspondance et les manuscrits de rédaction sont autant de terrains d’étude spécifiques qui ont généré des méthodes de recherche difficiles à concilier. Proust cite H.G. Wells dès 1907, dans “ Sentiments filiaux d’un parricide ” quand il rapproche du travail de mémoire la vacuité du regard et la machine à explorer le temps : “ Si au moment où sa pensée va chercher quelque chose du passé pour le fixer, le ramener un moment à la vie, vous regardez les yeux de celui qui fait effort pour se souvenir, vous verrez qu’ils se sont immédiatement des formes qui les entourent et qu’ils reflétaient il y a un instant […] Alors les plus beaux yeux du monde ne nous touchent plus par leur beauté, ils ne sont plus, pour détourner de sa signification une expression de Wells, que des “ machines à explorer le T emps ”, des télescopes de l’invisible, qui deviennent à plus longue portée à mesure qu’on vieillit ”(Proust, 1978, 152). Est-ce cette machine qu’il évoque dès l’ouverture d’À la recherche du temps perdu, comme le suggèrent les éditions annotées: “ le fauteuil magique le fera voyager à toute vitesse dans le temps et dans l’espace” (Proust, 1987, I, 5 et 1087) ?La relation entre les trois textes ne saurait être sous-estimée, et mérite d’être précisée à la lumière de l’intertextualité et de la génétique textuelle, deux tendances actuelles de la critique littéraire. D’autres auteurs avaient souligné de leur côté l’importance des Mille et Une Nuits dans cette même ouverture, et tout particulièrement du Dormeur éveillé (Brun 1982, Jullien 1989 et Schulte Nordholt 2002). D’un point de vue thématique et paradigmatique, ce dormeur annonce la lanterne magique. Mais d’où vient-il ? Ceseul exemple sur un simple détail pose déjà une question de méthode. La multiplicité des sources, qui définit le rapport complexe entre lecture et écriture dans ce que les Anciens appelaient la “ contamination ” et les Modernes “ l’intertextualité ” ne saurait suffire, aux yeux de la génétique textuelle, à résoudre le problème. La méthode demande de réunir toutes les traces écrites pour apporter une preuve. La correspondance montre que Proust avait lu les romans “ d’une sorte de Jules Verne anglais qui s’appelle Wells ” dès 1902 (Corr., III, 37). Une lettre à Lucien Daudet du 15 novembre 1904 montre l’écrivain allant chercher pour son ami quelques volumes chez l’éditeur lui-même (Corr., IV, 338). Le Mercure de France avait publié la traduction de Henry-D. Davray en 1899. L’article de 1907 et le premier volume du roman en 1914 font allusion aux deux premières pages du chapitre quatre (“ Le Voyage ”), quand Wells tente de mélanger les catégories du temps et de l’espace, de la nuit et du jour, de la durée et de l’instant, au moment du départ de la machine. Le Sommeil et le Rêve Le premier volume du roman comme le chapitre de Wells traite en effet d’un voyage dans le temps et d’une confusion nocturne. Proust ajoute la perte d’identité, le lien entre sommeil, rêve et mémoire. Le souvenir n’est pas la fin de cette recherche. Il s’agit de reconstituer un sujet déstabilisé, et cette démarche est analogue à celle de la psychanalyse. Le commencement du Côté de chez Swann met en scène les associations d’idées et l’Œdipe. Cette piste ne sera pas suivie. Proust ne pouvait connaître que les pré-freudiens, même si son cousin Henri Bergson avait eu connaissance des travaux de ce qu’il appelait dans les années vingt la “ psycho-analyse ” (Bergson, 1919, en note du chapitre sur “ Le Rêve ”). En matière de psychologie et de philosophie, Alfred Maury avait exposé de façon claire un état de la question en insistant sur des éléments qui ont pu frapper le futur romancier : la faiblesse de l’intelligence dans le sommeil et dans le rêve, la vivacité de la mémoire, la relation entre la sensation et le contenu du rêve, et sa méthode d’observation fait intervenir le fauteuil et l’insomnie définie comme “ de courts instants de sommeil ” (Maury, 1878, 3). Le réveil brusque dans une position inconfortable permet de se souvenir des rêves, mais aussi les rêves contiennent des souvenirs. T outefois, le savant est positiviste et la confusion de l’espace-temps est rapprochée de la démence. Voici l’exposé de cette méthode : “ Je m’observe tantôt dans mon lit, tantôt dans mon fauteuil, au moment où le sommeil me gagne ; je note exactement dans quelles dispositions je me trouvais avant de m’endormir, et je prie la personne qui est près de moi de m’éveiller, à des instants plus ou moins éloignés du moment où je me suis assoupi. Réveillé en sursaut, la mémoire du rêve auquel on m’a soudainement arraché est encore présente à mon esprit, dans la fraîcheur même de l’impression. Il m’est alors facile de rapprocher les détails de ce rêve des circonstances où je m’étais placé pour m’endormir. Je consigne sur un cahier ces observations, comme le fait un médecin dans son journal pour les cas qu’il observe. Et en relisant le répertoire que je me suis ainsi dressé, j’ai saisi, entre des rêves qui s’étaient produits à diverses époques de ma vie, des analogies dont la similitude des circonstances qui les avaient pour ainsi dire provoquées m’ont bien souvent donné la clef. ” (Maury, 1878, 2) En rapprochant les sensations du dormeur (position dans le fauteuil ou dans le lit) et le contenu des rêves, Maury plonge dans son passé. Mais le souvenir fait simplement partie de sa méthode d’observation (brusque réveil nocturne) et de vérification (notation dans des cahiers et comparaison). Les analogies concernent les sensations et l’histoire du sujet. Proust lui accorde la première place, et il désarticule les éléments de ce système. Il n’est pas inutile ici de rappeler la situation initiale du narrateur dans le roman : l’obscurité de la chambre nocturne provoque une confusion uploads/Litterature/ le-fauteuil-magique.pdf
Documents similaires










-
37
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 27, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.0722MB