1850-1870 : la bataille réaliste À mi-course du siècle, la révolution de 184
1850-1870 : la bataille réaliste À mi-course du siècle, la révolution de 1848 introduit une double rupture, politique et littéraire. C’est la fin de la monarchie et des exaltations romantiques. C’est l’heure des rébellions. Place désormais au concret, aux faits, au réel ! 1- Au nom de la vérité, du progrès et de la démocratie. Sous l’étendard de la révolte. Au Salon de 1850-1851, le peintre Gustave Courbet (1819-1877) expose l’un de ses tableaux : Un enterrement à Ornans, qui transgresse tous les codes académiques en vigueur. Le scandale est immédiat : on l'accuse de vulgarité, de laideur, bref d'immoralisme ; lui réplique qu'il s'agit de «réalisme ». Esprit anticonformiste se targuant de vouloir «encanailler l'art», Courbet récidive en 1855 par une grande exposition de quarante de ses toiles, qu'il intitule «Le Réalisme ». Le mot est définitivement lancé et avec lui la «bataille ». https://www.youtube.com/watch?v=Y8yWHgPguQo Le mot de ralliement des nouvelles générations. Courbet attire bientôt autour de lui tous les artistes et écrivains qui rejettent les fadaises idéalistes des romantiques. Leurs aspirations démocratiques, qui se sont exprimées durant la révolution de 1848, les poussent à s'intéresser aux classes populaires, jusque-là absentes de l'univers littéraire. En outre, l'urbanisation et les progrès techniques justifient à leurs yeux le traitement de nouveaux sujets. Bref, ils entendent faire entrer le «réel» dans la littérature. Celle-ci sera donc «réaliste », en franche rupture avec le passé. Deux propagandistes du « laid ». Deux hommes, quoique secondaires par le talent, vont jouer un rôle de premier plan dans la vulgarisation et la définition du concept : Jules Champ-fleury (1821-1889), ami de Courbet, et Louis Duranty (1833-1880), fils naturel de Mérimée. Le premier publie en 1857 un recueil d articles sous le titre Le Réalisme. Le second fonde une éphémère revue également intitulée Réalisme, dont les seuls six numéros paraissent de novembre 1856 à mai 1857. Tous deux entretiennent, nourrissent et approfondissent le débat. Partisans et adversaires du «réalisme » s'opposeront ainsi durant des années, sur des positions bien tranchées : au nom de la «vérité »- terme aussi souvent employé que le «réel »- les uns défendent le réalisme ; au nom des bienséances et de l’élégance, les autres le combattent. 2- Le réalisme n’existe pas ? Des idées-forces plutôt qu’une doctrine. Le mot incite à des empoignades d'autant plus vives que son contenu reste flou. Il n’y aura jamais de doctrine réaliste, comme il y aura quelques années plus tard une doctrine naturaliste. Quelques idées-forces toutefois se dégagent. L'observation et la description du réel doivent l'emporter sur l'imagination et le romanesque. Le document devient la matière même du roman, le gage de l’objectivité et de la vérité. Sans condamner ni juger, le romancier expose les faits. L'étude de mœurs se mue ainsi en enquête sociale et le bureau de l'écrivain devient un laboratoire où celui-ci peut et doit analyser l'interaction du milieu et des faits avec la même rigueur que le savant. Même s'ils dépasseront ces principes, Zola et les naturalistes ne les récuseront jamais. « Le réalisme conclut à la reproduction exacte, complète, sincère, du milieu social, de l’époque où on vit parce qu’une telle direction d’études est justifiée par la raison, les besoins de l’intelligence et de l’intérêt du public. » Louis Duranty, « Esquisse de la méthode des travaux », Réalisme, 15 novembre 1856. Les paradoxes du réalisme. Nombre d'écrivains, classés de nos jours ou en leur temps comme «réalistes», ont pourtant rejeté ou contesté cette étiquette. Flaubert en est l'exemple le plus spectaculaire. Lui qui s'est tant documenté pour écrire Madame Bovary, qui fut traîné devant les tribunaux pour l'indécence de son roman, a toujours déclaré «exécrer ce qu'on est convenu d'appeler le réalisme ». Baudelaire, qui se veut le chantre de la modernité, considère qu'il s'agit d'une «injure». Quant à Balzac, qui entremêle le visible et l'invisible, et Stendhal, qui intervient sans cesse dans ses oeuvres, ils auraient bien été étonnés d'être qualifiés de «réalistes », tant ils réinterprètent et donc réinventent le réel ! L’illusion réaliste. C'est que malgré ses proclamations, le réalisme ne peut donner que l'illusion du vrai. Le réel - le vrai réel - est fourmillement et incohérence. Le reproduire tel quel, à supposer que cela soit possible, c'est n'avoir pas d'autre ambition que d'établir un catalogue d'évènements, par définition sans fin, sans ordre et sans clarté. L'écrivain doit donc trier, choisir et surtout donner une forme à la matière brute qu'est le document, c'est-à-dire faire oeuvre d'art. De là, l'importance que Balzac accorde à la création de «types », Flaubert au «style » et, peu après, Zola au «tempérament ». Les meilleurs écrivains «réalistes » ont toujours su qu'avant d'être des documentalistes ou des archivistes, ils étaient des artistes. Reste que s'il est une illusion, le réalisme est une illusion magnifique dans la mesure où il a durablement orienté le roman vers de nouvelles voies. « Le mot réalisme, un mot de transition qui ne durera guère plus de trente ans, est un de ces termes équivoques qui se prêtent à toutes sortes d’emplois et peuvent servir à la fois de couronne de lauriers ou de couronne de choux. » Jules Champfleury, préface au Réalisme, 1857. Flaubert et le réalisme subjectif. Le souci de la perfection formelle est premier chez l’auteur de Madame Bovary. Pour invisible qu’il soit, il reste présent dans tous ses romans : par l’ironie dont il use envers ses personnages; par sa manière de dépeindre le réel, dont il charge et parfois surcharge le moindre fait de significations ; par la multiplication des points de vue. S’il est observation, son réalisme n’est pas simple notation ou transcription. Il est toujours une reconstruction, une réinterprétation. De la ce « réalisme subjectif» dont on parle souvent à son propos. Les cafés et dîners du réalisme. Quand ils ne fréquentent pas les très mondains salons de la princesse Mathilde, cousine de Napoléon III, ou de la comtesse d’Agoult, les tenants du réalisme se retrouvent entre eux dans des cafés parisiens. La brasserie Andler, le café de Bade boulevard des Italiens ou le café Guerbois (dépeint par Zola dans L’Œuvre) sont leurs lieux de rencontre préférés. S’y ajoutent des «dîners» comme les «dîners Magny», du nom d’un restaurant alors rue de la Contrescarpe-Dauphine. Ici et là, se croisent Flaubert, Renan, Duranty, les frères Goncourt, Maupassant, Taine, Zola, parfois Manet, Cézanne. C’est là que s’échangent les idées, artistiques et politiques, que s’élaborent de nouvelles façons de voir et d’écrire. L’écriture artistique des frères Goncourt. Les frères Edmond (1822-1896) et Jules (1830-1870) Goncourt sont littérairement des frères siamois. Ils écrivent ensemble leurs romans. Peindre la société de leur époque, créer du «vrai humain » à partir d’une documentation minutieuse, étudier des cas pathologiques avec toute la rigueur scientifique requise, pratiquer enfin une «écriture artiste»: telle est leur esthétique. Sœur Philomèle (1861), Renée Mauperin (1864), Germinie Lacerteux (1865) sont leurs romans les plus connus. Par testament, Edmond crée l’Académie Goncourt, qui décerne son premier prix en 1903, alors doté de cinq mille francs or. Les frères Goncourt offrent dans leur écriture, la particularité de privilégier le « document », de vouloir peindre le réel, tout en l’ayant en horreur. D’où leur plai- doyer en faveur de l’«écriture artiste », reposant sur une langue recherchée et sur des notations picturales, proches de l’Impressionnisme : « Le Réalisme [...] n’a pas en effet l’unique mission de décrire ce qui est bas, ce qui est répugnant, ce qui pue ; Il est venu au monde aussi, lui, pour définir, dans de l’écriture artiste, ce qui es télevé, ce qui est joli, ce qui sent bon.» Edmond de Concourt, préface aux Frères Zenriganno, 1879. Lui et son frère sont l’illustration vivante des paradoxes du réalisme. uploads/Litterature/ le-rei-alisme.pdf
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- Publié le Jan 18, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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