UNIVERSITÉ PARIS IV-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE LITTÉRATURES FRANÇAISES ET COMPARÉ

UNIVERSITÉ PARIS IV-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE LITTÉRATURES FRANÇAISES ET COMPARÉE ׀_׀_׀_׀_׀_׀_׀_׀_׀_׀_׀ (N° d’enregistrement attribué par la bibliothèque) THÈSE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS IV Discipline : Littérature et civilisation françaises présentée et soutenue publiquement par Vesna ELEZ le 28 juin 2007 Titre : Le savoir et la connaissance dans « La Tentation de saint Antoine » et « Bouvard et Pécuchet » de Gustave Flaubert Directeur de thèse : M. Antoine COMPAGNON JURY Mme Anne HERSCHBERG PIERROT Mme Gisèle SÉGINGER M. André GUYAUX 2 Position de thèse Les deux œuvres tardives de Flaubert, La Tentation de saint Antoine et Bouvard et Pécuchet peuvent être considérées comme deux variations sur le thème du savoir. Les deux écrits portent sur le désir humain de l’absolu intellectuel ainsi que sur l’effort d’atteindre la certitude. Nous nous consacrerons à la version définitive de la Tentation publiée en 1874 et à Bouvard et Pécuchet, premier volume du projet inachevé de Flaubert. Les références aux versions antérieures de la Tentation ainsi qu’aux parties envisagées du « second volume » de son dernier ouvrage, notamment au Dictionnaires des idées reçues, se montrent nécessaires. Les deux ouvrages, Flaubert le signale dans sa lettre du 1er juillet 1872 à George Sand, peuvent être perçus comme partie (la Tentation) et contrepartie (Bouvard et Pécuchet) : « Je me mettrai à un roman moderne faisant la contrepartie de Saint Antoine et qui aura la prétention d’être comique. »1 Mais ce projet n’est qu’une mise au point des deux idées importantes et simultanées auxquelles Flaubert songeait longtemps auparavant. Au début de son voyage en Orient en 1850, Flaubert ne s’est pas encore remis du jugement de ses amis sur la première version de La Tentation de saint Antoine : ils considérèrent qu’il fallait livrer le drame au feu. Il écrit à Louis Bouilhet en parlant de la Tentation et du Dictionnaire des idées reçues, projet initial qui engendra Bouvard et Pécuchet2 : Je suis pourtant revenu (non sans mal) du coup affreux que m’a porté Saint Antoine. Je ne me vante point de n’en être pas encore un peu étourdi, mais je n’en suis pas malade comme je l’ai été pendant les quatre premiers mois de mon voyage. − Je voyais tout à travers le voile d’ennui dont cette déception m’avait enveloppé, et je me répétais l’inepte parole que tu m’envoies : « À quoi bon ? » […] Tu fais bien de songer au Dictionnaire des Idées Reçues. Ce livre complètement fait et précédé d’une bonne préface où l’on indiquerait comme quoi l’ouvrage a été fait dans le but de rattacher le public à la tradition, à l’ordre, à la convention générale, et arrangée de telle manière que le lecteur ne sache pas si on se fout de lui, oui ou non, ce serait peut-être une œuvre étrange, et capable de réussir, car elle serait toute d’actualité.3 Flaubert reprend l’idée du Dictionnaire et écrit à Louise Colet le 16 décembre 1852 : 1 Correspondance, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1997, p. 543. 2 Pour la genèse du manuscrit voir Don Demorest, À travers les plans, manuscrits et dossiers de « Bouvard et Pécuchet », Paris, Les Presses Modernes, 1931 ; Jeanne-Marie Durry, Flaubert et ses projets inédits, Paris, Nizet, 1950 ; Le Second volume de « Bouvard et Pécuchet », documents présentés et choisis par Geneviève Bollème, Paris, Denoël, 1966 ; Alberto Cento, Commentaire de « Bouvard et Pécuchet », Naples, Liguori, 1973 ; Claude Mouchard et Jacques Neefs, « Vers le second volume : Bouvard et Pécuchet » in Flaubert à l’œuvre, Paris, Flammarion, « Textes et manuscrits », 1980, pp. 169-217. 3 Lettre à Louis Bouilhet du 4 septembre 1850, Correspondance, t. I, pp. 678-679. 3 J’ai quelquefois des prurits atroces d’engueuler les humains et je le ferai à quelque jour, dans dix ans d’ici, dans quelque long roman à cadre large ; en attendant, une vieille idée m’est revenue, à savoir celle de mon Dictionnaire des idées reçues (sais-tu ce que c’est ?). La préface surtout m’excite fort, et de la manière dont je la conçois (ce serait tout un livre), aucune loi ne pourrait me mordre quoique j’y attaquerais tout. Ce serait la glorification historique de tout ce qu’on approuve. J’y démontrerais que les majorités ont toujours eu raison, les minorités toujours tort. J’immolerais les grands hommes à tous les imbéciles, les martyrs à tous les bourreaux, et cela dans un style poussé à outrance, à fusées.1 Au début de la même année pourtant, il se tourne vers Louise Colet pour la lecture de la Tentation. Il lui envoie son manuscrit le 25 janvier: « Épouse de Mahomet ! Je t’envoie Saint Antoine, un presse-papier et un petit flacon d’huile de santal ; il y en a les deux tiers de ma provision. […] J’ai peur que le Saint Antoine ne se perde en route. Ce serait un jugement de la Providence définitif. »2 Comme elle l’a bien réceptionné, Flaubert y voit un signe ; il dit à sa maîtresse que la Tentation n’est pas abandonnée : « S’il y avait pour moi une façon quelconque de corriger ce livre, je serais bien content, car j’ai mis là beaucoup, beaucoup de temps et beaucoup d’amour. »3 Après sa réponse qui l’a encouragé, Flaubert relativise la critique de ses amis : « Quoique je n’accepte pas tout ce que tu m’en dis, je pense que les amis n’ont pas voulu voir tout ce qu’il y avait. Cela a été légèrement jugé ; je ne dis pas injustement, mais légèrement. »4 Il écrivait à George Sand le 4 décembre 1872 où il envisage faire un diptyque : Dans dix ans, on ne saura peut-être plus faire une paire de souliers. − Tant on devient effroyablement stupide ! Tout cela est pour vous dire que jusqu’à des temps meilleurs (auxquels je ne crois pas) je garde Saint Antoine dans un bas d’armoire. Si je le fais paraître, j’aime mieux que ce soit en même temps qu’un autre livre tout différent. J’en travaille un, maintenant, qui pourra lui faire pendant.5 L’idée du diptyque peut étonner au premier abord, sachant que les deux œuvres en question exhibent des caractéristiques très différentes. Elles appartiennent à des genres littéraires distincts: la Tentation est un drame et Bouvard et Pécuchet un roman encyclopédique satirique. Cependant, c’est la pertinence de leur différence formelle qui nous dirige vers le véritable projet de Flaubert. C’est précisément par le contraste qui existe entre deux ouvrages si différents que l’on peut remarquer quelque chose de très important. Ce « quelque chose d’important » n’est pas le résultat d’une juxtaposition purement esthétique, 1 Correspondance, t. II, p. 208. Nous soulignons. Ce « roman à cadre large » deviendra Bouvard et Pécuchet. 2 Correspondance, t. II, pp. 35-36. 3 Lettre à Louise Colet du 31 janvier 1852, Correspondance, t. II, pp. 40-41. 4 À la même, le 8 février 1852, Correspondance, t. II, p. 42. 5 Correspondance, t. IV, p. 619. 4 comme c’est le cas avec le diptyque en peinture où un tableau est complémentaire avec un autre; il s’agit d’un effet du sens qui découle de ce contraste. Afin de comprendre en quoi cet effet de sens consiste, nous devons identifier le sujet ou le motif qui est représenté d’une manière contrastée. Ces sujets sont le savoir et la croyance. Qu’entendons-nous par la notion de savoir ? Il est important de voir que le savoir est pour nous tout « système », soit véritablement scientifique (comme la science positive), religieux, philosophique (comme celui d’Auguste Comte, par exemple), pseudo-scientifique, pseudo-philosophique (Louis Fourier) qui prétend être « une vision organisée et globale du monde ».1 Tout ses systèmes, tout ces savoirs invitent les gens (au moins d’une manière implicite) à se fier absolument à eux et à en faire une sorte de recette selon laquelle ils organiseront leur vie. Flaubert se montre sceptique à l’égard de ces principes accouplés, c’est-à-dire à l’égard de l’interaction du savoir et de la croyance. Pour lui, cette combinaison est vouée à l’échec. Le « binôme » qui est au cœur de ce diptyque de Flaubert consiste en une position inversée du savoir et de la croyance : Bouvard et Pécuchet recherchent un savoir auquel ils peuvent se « cramponner », auquel ils peuvent croire2 tandis qu’Antoine en revanche tâche de maintenir son unique croyance et de résister à toutes les tentations qui visent à attaquer son orthodoxie chrétienne. Flaubert croyait, et ceci fut sa véritable croyance, que « le style est la manière absolue de voir les choses. »3 Étant une manière absolue, le style relève ainsi du domaine d’une connaissance spécifique. Cette connaissance particulière est certes différente du savoir et elle se manifeste par le biais du style. La notion de connaissance comprend pour notre propos deux moments importants : elle est d’abord une reconnaissance des limites de l’entendement humain et de son imperfection ; deuxièmement, elle est une manière de connaître qui ne relève pas uniquement uploads/Litterature/ le-these-pdf.pdf

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