Les stoïciens Les « fragments » de l’ancien stoïcisme : une introduction Jean-B
Les stoïciens Les « fragments » de l’ancien stoïcisme : une introduction Jean-Baptiste Gourinat Philopsis : Revue numérique http://www.philopsis.fr Les articles publiés sur Philopsis sont protégés par le droit d’auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle doit faire l’objet d’une demande d’autorisation auprès des éditeurs et des auteurs. Vous pouvez citer librement cet article en en mentionnant l’auteur et la provenance. L’école stoïcienne est l’une des écoles de philosophie de l’Antiquité qui a la plus longue histoire : fondée par Zénon de Citium à Athènes vers 300 av. J.-C., elle s’éteint après 260 de notre ère. Mais, en tant qu’école institutionnelle, à Athènes, elle a une vie plus courte, qui s’identifie à la succession de ses sept « scolarques » ou chefs d’école : Zénon de Citium (334/3-262/1), Cléanthe d’Assos (331/0-230/229), Chrysippe de Soles (280/276-208/204), Zénon de Tarse, Diogène de Séleucie (env. 230- 150/140), Antipater de Tarse (env. 210-env. 129), Panétius (185/180- 110/109). Après Panétius il semble que l’école ait perduré en tant que courant philosophique, mais qu’elle n’ait pas perduré en tant qu’institution, du moins à Athènes : elle a peut-être été « décentralisée » à Rhodes par Posidonius1, mais de toute façon, toute trace de l’enseignement stoïcien à Athènes semble disparaître avec la conquête romaine (Athènes est prise par Sylla en 86 av. J.-C.). L’enseignement du stoïcisme va alors rapidement se répandre dans tout l’Empire romain : précepteurs, écoles, chaires publiques se multiplient dans les premiers siècles de l’Empire. Pour toutes les premières générations de stoïciens jusqu’à Posidonius, leurs écrits sont perdus. Nous n’avons conservé en tradition directe que les écrits de stoïciens plus tardifs, dont les œuvres les plus anciennes datent du Ier s. apr. J.-C., cinq auteurs en tout : Sénèque, Cornutus, Musonius Rufus, Epictète et Marc Aurèle. Pour tous les autres auteurs stoïciens, nous n’avons à notre disposition que les témoignages d’autres auteurs antiques, soit ce qu’on 1 D. Sedley, « Philodemus and the decentralisation of philosophy », Cronache Ercolanesi, 33 (2003), p. 31-41. www.philopsis.fr © Philopsis – Jean-Baptiste Gourinat 2 appelle des « doxographes » (c’est-à-dire des auteurs qui proposent des recueils d’opinions, classés par thème, et qui donnent sur chaque thème l’opinion des différentes écoles philosophiques), soit des historiens de la philosophie, comme Diogène Laërce, qui racontent la vie des principaux philosophes et résument leur doctrine en les présentant par écoles ou courants, soit d’autres philosophes ou auteurs, qui appartiendront soit eux- mêmes à l’école stoïcienne, soit à d’autres écoles philosophiques, ou seront des apologistes chrétiens. Si les deux premiers types d’auteurs peuvent faire preuve d’une certaine objectivité, les autres sont souvent polémiques et, pour les besoins de la polémique, peuvent déformer la pensée des auteurs qu’ils citent, analysent et, souvent, attaquent ou réfutent. À partir du XIXe s., on a pris l’habitude de réunir ces différents témoignages dans des recueils dits de « fragments » ou de « fragments et témoignages ». Le plus célèbre et le plus complet de ces ouvrages est constitué par les Stoicorum veterum fragmenta (Fragments des anciens stoïciens), publiés au début du XXe s. par l’érudit allemand Hans von Arnim [abrégés en SVF]. Ces « fragments » étaient publiés en grec et en latin, sans traduction en langue moderne. Ils ont été suivis par d’autres éditions, comme les éditions de Panétius2 et de Posidonius3, ou les fragments de la dialectique stoïcienne, les FDS4. Il existe désormais aussi des éditions qui comportent des traductions françaises de ces fragments, comme le t. II des Philosophes hellénistiques de Long et Sedley5, le petit volume de P. Maréchaux sur les fragments de l’éthique6, et enfin, les fragments de Chrysippe, récemment publiés aux Belles Lettres, curieusement sans les fragments éthiques7. Grâce à ces traductions françaises, les éditions de fragments de l’ancien stoïcisme ne sont plus réservées aux seuls spécialistes. Mais, à part l’anthologie commentée de Long et Sedley, ces traductions sont livrés brutes, pratiquement sans commentaire, et le lecteur est bien embarrassé de savoir à quel type de texte il a affaire. Il importe donc d’avoir quelques clés pour savoir comment utiliser ces collections de fragments. Ces clés consistent d’abord en quelques règles 2 Fr. Alesse, Panezio di Rodi, Testimonianze, Naples, Bibliopolis, 1997 (avec traduction italienne). 3 L. Edelstein & I.G. Kidd, Posidonius, The Fragments, vol. 1, Cambridge, Cambridge University Press, 1972 ; vol. 2, The Commentary, par I.G. Kidd, 1988 [2 tomes] ; vol. 3, The Translation of the Fragments, par I.G. Kidd, 1999. 4 K. Hülser, Die Fragmente zur Dialektik der Stoiker, Stuttgart, Frommann-Holzboog, 1987, 4 vols 5 A. Long & D. Sedley, The Hellenistic Philosophers, Cambridge, Cambridge University Press, 1987 ; vol. 1 : traduction et commentaire philosophique ; vol. 2 : textes grecs et latins, notes et bibliographie ; tr. fr. par J. Brunschwig & P. Pellegrin, Les philosophes hellénistiques, Paris, GF-Flammarion, 2001 (3 vols.). 6 Les Stoïciens. Passions et vertus. Fragments, par P. Maréchaux, Payot & Rivages, 2003. 7 Il s’agit donc en fait d’une refonte du seul tome II des SVF : Chrysippe, Œuvre philosophique, textes et trad. par R. Dufour, 2 tomes, Paris, Les Belles Lettres, 2004. Cette édition, incomplète, comprend malheureusement de très nombreuses erreurs. Voir l’excellent compte-rendu sur le site de la Bryn Mawr Classical Review, à l’adresse suivante : http://ccat.sas.upenn.edu/bmcr/2006/2006-01-29.html. Outre de nombreuses erreurs de traduction, les erreurs les plus grossières sont dans la bibliographie l’attribution à Cicéron des Lettres à Lucilius de Sénèque, l’invention d’un auteur nommé « Épimérisme » (en fait partie d’un titre dans les Anecdota Graeca de Cramer), et l’affirmation dans la préface qu’Athénée est le contemporain de Chrysippe (5 siècles de différence), ou que Cicéron est mort à Rome. www.philopsis.fr © Philopsis – Jean-Baptiste Gourinat 3 générales, et ensuite en quelques règles particulières, qui tiennent à l’origine de ces fragments ou témoignages. Ce qu’il faut savoir pour lire un fragment stoïcien Il est évident qu’il faut distinguer les témoignages sur les stoïciens en général, ou sur un auteur stoïcien particulier, des citations littérales. Je fais abstraction ici des rares témoignages papyrologiques qui sont les témoins directs de traités dont l’intégralité a disparu, et dont ces textes sont les seuls restes. Ces textes sont rares, et limités à Chrysippe8. Parmi les textes extraits des auteurs anciens, il y a surtout des témoignages, qui résument un point de doctrine, mais parfois aussi des citations littérales : les plus longues, en ce qui concerne Chrysippe, se trouvent dans le traité de Galien Sur les doctrines d’Hippocrate et de Platon9. De telles citations sont précieuses, mais le cas du traité de Galien, qui fournit en plus des indications précises sur la localisation des citations et sur la structure du traité, sont rares. En outre, une citation littérale est souvent accompagnée d’un commentaire par l’auteur qui le cite, et ce commentaire est souvent tendancieux. Il faut donc à la fois tenir compte de ce commentaire, souvent précieux pour le contexte, et le prendre avec précaution, en étant attentif à l’intention éventuellement polémique du commentaire. Parallèlement à ces citations, nous devons très souvent nous contenter de simples témoignages de la forme « les stoïciens disent que… » ou « Zénon dit que… », par exemple. Ces comptes-rendus ne prétendent pas à la littéralité mais présentent des exposés condensés, soit à fin d’exposé doctrinal, soit à fin d’exposé polémique. Il est donc important de savoir si l’on a affaire à un historien de la philosophie, plutôt objectif, ou à un adversaire, plutôt polémique. Bien entendu, la règle première est de recouper les témoignages. Cette règle élémentaire de la méthode historique doit être appliquée aussi dans le cas des témoignages sur une œuvre philosophique. Bien entendu, des témoignages qui se recoupent sont un bon garant de la fiabilité d’un point de doctrine. À condition que ces témoignages soient indépendants, ce qui n’est pas toujours le cas, car bon nombre de nos témoignages sont dépendants d’un autre, et ne sont pas de première main : et, dans ce cas, il peut arriver assez souvent que, de deux témoignages A et B dont nous disposons, soit B dépende de A, soit A et B dépendent du même témoignage C. Dans ce cas, malgré le nombre des témoins, nous n’avons en réalité qu’un seul témoignage. Enfin, l’école stoïcienne ayant une longue histoire, elle n’est pas uniforme. Dès qu’il y a une citation d’un auteur stoïcien, elle est généralement fiable en tant que citation de cet auteur. En revanche, beaucoup de témoignages concernent « les stoïciens », d’autres concernent un auteur en particulier, par exemple Zénon, Cléanthe ou Chrysippe. Il faut donc se méfier des fragments nominaux tout autant que des témoignages généraux, car certains auteurs ont tendance à présenter la doctrine de Chrysippe ou celle de Zénon comme celle des stoïciens en général. Inversement, certains ont tendance à attribuer à Zénon la doctrine de 8 Voir T. Dorandi, « La tradition papyrologique des stoïciens », dans G. Romeyer Dherbey (dir.), J.-B. Gourinat (éd.), Les stoïciens, Paris, Vrin, 2005, p. 29-52. 9 Voir ci-dessous, la notice sur Galien. www.philopsis.fr © Philopsis – Jean-Baptiste Gourinat 4 l’ensemble de l’école parce qu’il uploads/Litterature/ les-22fragments-22-de-l-ancien-stoicisme-une-introduction.pdf
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- Publié le Jul 19, 2021
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