Cahiers de praxématique 28 | 1997 La contextualisation de l'oral Guy Hazaël-Ma
Cahiers de praxématique 28 | 1997 La contextualisation de l'oral Guy Hazaël-Massieux, Les créoles, problèmes de genèse et de description Catherine Détrie Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/praxematique/3074 DOI : 10.4000/praxematique.3074 ISSN : 2111-5044 Éditeur Presses universitaires de la Méditerranée Édition imprimée Date de publication : 1 janvier 1997 Pagination : 220-223 ISSN : 0765-4944 Référence électronique Catherine Détrie, « Guy Hazaël-Massieux, Les créoles, problèmes de genèse et de description », Cahiers de praxématique [En ligne], 28 | 1997, document 15, mis en ligne le 01 janvier 2015, consulté le 25 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/praxematique/3074 ; DOI : https://doi.org/ 10.4000/praxematique.3074 Tous droits réservés 220 Cahiers de praxématique 28, 1997 Guy HAZAËL-MASSIEUX Les créoles, problèmes de genèse et de description, Publications de l'Université de Provence 1996, (374 p.) Cet ouvrage, pensé par Marie-Christine Hazaël-Massieux, s'offre comme un hommage au chercheur et au fin lettré qu'était G. H.-M., et réunit un nombre conséquent de ses articles, tous rédigés entre 1980 et 1993. Le recueil s'organise autour de trois pôles : le premier s'attache à étudier la définition et le classement des créoles, le suivant se développe autour de la genèse et l'histoire des créoles, le dernier tente de construire une morphosyntaxe des créoles français. On sait que G. H.-M. travaillait à une thèse d'État, que la maladie ne lui a pas permis d'achever, et que tous ces travaux aujourd'hui réunis en un même volume auraient été réutilisés, ce qui laisse deviner l'ampleur de la recherche entreprise et son grand intérêt scientifique. En effet, à la lecture de ces articles, on est constamment frappé non seulement par l'extrême érudition de leur auteur, spécialiste de grammaire comparée des langues romanes, qui manie langues anciennes et modernes (il était aussi agrégé d'espagnol) avec un égal brio, mais aussi par la précision inégalée de ses recherches, l'étendue de ses sources : G. Lectures et points de vue 221 H.-M. a non seulement lu mais analysé tous les écrits de la colonisation des Antilles, qu'il s'agisse des textes liés à leur évangélisation, des récits de voyages de l'époque, des textes administratifs : les représentations du (des) créole(s) que les discours ont construites, les commentaires directement épilinguistiques, les écrits référant aux pratiques linguistiques des esclaves et de la société coloniale ont été sollicités, les pièces versées au dossier figurant en fin d'article : l'analyse que G. H.-M. effectue de tous ces témoignages anciens montre excellemment comment le créole est né d'une situation où la diversité des langues africaines, empêchant l'évangélisation des esclaves dans leur langue maternelle, va per- mettre le surgissement de variétés de langue qui ne sont peut-être pas encore du créole, mais qui révèlent du moins des processus de créolisation. On ne peut évoquer tous les articles (le recueil en regroupe 21), et il est difficile d'en sélectionner un plutôt qu'un autre, ce qu'on fera pourtant pour tenter de montrer l'originalité de la méthode de G. H.-M. Par exemple, pour ce qui est de la genèse de l'expression de la détermina- tion dans le créole de la Caraïbe (pp. 185-205), G. H.-M., à partir d'un écrit du Père Jacques Bouton datant de 1640 (Relation de l'establissement des françois depuis l'an de 1635 en l'isle de Martinique), dans lequel le missionnaire constate que les Antillais « disent quelques mots sans les articles », va tenter de dégager comment s'est progressivement manifestée la détermination dans les créoles caraïbes entre le XVIIème s. et aujourd'hui, en sollicitant comme corpus des témoignages écrits qui tentent de reproduire des phrases attribuées à des Caraïbes, ou des textes des enseignements dispensés par les missionnaires aux candidats au baptême. Ce sondage d'écrits anciens, en parallèle avec l'observa- tion des exigences du français populaire de l'époque, lui permet de constater que la ruine du système des marques de détermination du français a été très rapide, alors que l'émergence de marqueurs proprement créoles a lieu au XVIIIe siècle. Un actualisateur défini postposé -la apparaît avant 1760, tout en gardant une valeur encore déictique (c'est au départ une forme sans doute issue de ce…- là) et qui ne porte pas de distinction de genre. L'ancien article est alors absent, ou défonctionnalisé ou encore réduit, pour le pluriel, à une consonne de liaison /z/ qui généralement s'agglutine au mot qui suit. Progressivement la va s'impo- ser comme article au détriment de sa valeur initiale de déictique. Dès lors le système créole est acquis. La démarche de G. H.-M. est la même pour toutes les contributions. S'ap- puyant simultanément sur la diachronie et la synchronie, elle vise chaque fois l'explication de phénomènes, leur description étant toujours sous-tendue par une volonté de compréhension des processus : la description ne fait sens que par rapport à cette genèse reconstituée, permettant ainsi de mettre en perspective le fonctionnement actuel du créole. Cette mise en perspective montre ex- 222 Cahiers de praxématique 28, 1997 cellemment comment la langue créole s'autonomise à partir du français, de la langue donc romane qui est à son origine. Dès lors est essentiel le classement des créoles par rapport aux langues romanes (enjeu politique et idéologique de taille puisqu'il s'agit ni plus ni moins de se trouver des ancêtres : Afrique ou Europe). Deux classements sont en général avancés en linguistique historique : l'un génétique (on compare le créole et les langues dont il partage le lexique), l'autre typologique (on compare les créoles entre eux pour en dégager un type). Or on se rend compte que les critères et les méthodes d'affiliation génétique des langues doivent être révisés dès qu'on s'intéresse aux créoles, un classement fondé sur la continuité génétique postulant l'homogénéité de la langue concer- née, ce qui n'est pas le cas : héritiers des langues romanes sur le plan lexical, mais non des normes phoniques et discursives, ils ne peuvent donc pas être considérés comme apparentés génétiquement aux langues romanes dans la mesure où la parenté génétique est déterminée par une transmission sans rup- tures aux niveaux lexical (transmission du matériau linguistique), typologique et normatif. Si tous les créoles français révèlent la cohérence du lexique (africanismes lexicaux quasi-inexistants : environ 95% d'étymons français), on ne peut pas retrouver cette homogénéité sur le plan phonique ou structurel, où nombre de formes sont des calques d'expressions africaines. Les créoles ont une dyna- mique interne qui conduit à une réorganisation du matériau roman : voilà pour- quoi on peut parler de langues afro-romanes, ou plus généralement de langues néo-romanes, appellation que propose G. H.-M., et qu'il faut interpréter — car la terminologie choisie dans un domaine aussi sensible que celui de la filiation d'une langue (et donc de sa définition et de la problématique identitaire dont elle s'alourdit) peut toujours être sollicitée pour des enjeux qui débordent le proprement linguistique — à la lumière du titre de l'article qui ouvre le recueil : « Une légitimité du troisième type ; la légitimité créole », article qui manifeste l'importance de la notion émergente de créolité, dont l'originalité réside non dans le rejet mais dans la réappropriation à la fois des démarches de rupture — telle qu'a pu l'être la négritude césairienne — et de l'héritage occidental nécessairement repensé à la lumière de la mise en relation des cultures, le Tout- Monde selon l'expression de Glissant. De ce point de vue la notion de créolité se contente de conceptualiser ce que l'élaboration du créole a déjà mis en pra- tique, le créole résultant d'une praxis linguistique dont le fondement est la « diversalité » : il est l'héritier légitime de langues plurielles. Inversement, l'analyse du matériau linguistique, de sa genèse, de sa catégorisation est ainsi éclairée, sous-tendue (discrètement) par le point de vue anthropologique et historique que cet article d'ouverture construit autour de la notion de créolité. Lectures et points de vue 223 Non seulement les praxématiciens, qui considèrent les langues comme l'ex- pression linguistique de praxis humaines diverses, mais aussi tous ceux qui exercent leur curiosité dans les domaines de la linguistique historique, des cultures créoles… ou du français « ordinaire » ne peuvent qu'être intéressés par les recherches têtues de G. H.-M. sur les créoles, langues qui rejouent dans leur matérialité même et plus visiblement que d'autres la dialectique du Même et de l'Autre, en s'appropriant les mots, en trouvant une syntaxe, une prononciation, à partir de matrices autres, les reculturalisant, travaillant les représentations anté- rieures, les déplaçant : toute la dynamique précisément de la production de sens. Catherine DÉTRIE Praxiling) uploads/Litterature/ les-cre-oles-proble-mes-de-gene-s.pdf
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- Publié le Mai 02, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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