Les facteurs de choix de l’auxiliaire en ancien français : étude quantitative e
Les facteurs de choix de l’auxiliaire en ancien français : étude quantitative et comparative Heather Burnett Patrick Caudal Université de Toulouse-Le Mirail CNRS & Université Paris-Diderot heather.susan.burnett@gmail.com pcaudal@linguist.univ-paris-diderot.fr Michelle Troberg Université de Toronto michelle.troberg@utoronto.ca Contexte : Programme de recherche 1. Quels facteurs (morpho-syntaxiques et sémantiques) déterminent le choix de l’auxiliaire en ancien français ? En quoi ces propriétés diffèrent-elles de celles en français contemporain ? 2. Quand et comment le système d’ancien français change-t-il ? Y-a-il une corrélation entre le changement dans le système d’auxiliaires en ancien français et d’autres changements dans la langue ? Ici focus sur 1. 1.1 Etat de l’art (Foulet 1963 : 100-101)1 Le participe passé se construit soit avec l’auxiliaire estre, soit avec l’auxiliaire avoir. Entre les deux cas on fait en général la même distinction qu’aujourd’hui. L’usage n’a guère varié que pour quelques verbes. Signalons particulièrement qu’on trouve aller tantôt avec estre, tantôt avec avoir, et cela dans les mêmes œuvres, parfois à quelques vers d’intervalle : Li palefrois qui engrés fu d’aller la ou il devoit a tant alee s’ambuleüre que venuz est grant aleüre au chief de cele forest grant (V.P., 1098-1103) Li vairs palefrois a droiture i est alez, qui le gué sot. (V.P., 1106-7) Trois facteurs linguistiques qui semblent être importants en ce qui concerne le choix de l’auxiliaire : 1) la classe verbale ; 2) la télicité ; 3) l’agentivité du sujet (voir notamment Sorace, 2000; Legendre and Sorace, 2003). 1 Anglade (1931), Moignet (1973), Togeby (1974) en font également mention, mais de façon très sommaire. Buridant (2000) est le premier de l’aborder en détail, suivi par Dupuis et Dufresne (sous presse) et nous nous y appuyons largement. Certaines parties de cette communication étaient présentées dans Burnett (2014). Diachro VII, U. Paris Sorbonne-Nouvelle, 5-7 février 2015 2 (1) a. Tant ont alé qu’il vinrent a la chit de Navers (Aiol, 8176) ‘Ils ont tant cheminé qu’ils atteignent la cité de Nevers.’ b. E Bertram est al governail alé. (ChGuill: 121) ‘Et Bertrand s’est précipité au gouvernail.’ (2) a.Tant a venu De la gent qu’ele a retenu (Rutebeuf, Grieches d’ été, 27-28) ‘Il est tellement venu de gens qu’elle a pris à son service.’ b. Et dedenz ces.VIII. jorz furent venu tuit li vaissel et li baron (Villehardouin1, p.128) ‘Et dans ces 8 jours, tous les navires et les barons sont venus’ (3) a.Tant a coru et porchacié (Renart 7: 10) b.Mais tot li chevalier ensamble i sont coru por lui rescorre. (Vengeance Raguidel, 33) (4) a. Et quant il avoit tant volé que toz li monz le tenoit a merveille (Queste: 131) b. a la terre est volés. (Roman d’Alexandre, br.3, 92) Notre propos : le système d’auxiliaire est sensiblement différent en ancien français qu’en français moderne et qu’il ne s’agit pas de « quelques verbes » - mais de propriétés générales/facteurs généraux gouvernant la distribution de être et avoir avec les V. Le présent travail vise à établir, par une étude de corpus, les conditions exactes de l’alternance entre les auxiliaires être et avoir, entre la fin du 12ème siècle et le début du 13ème siècle. Notre corpus, composé de textes tirés dans la Base du Français Médiéval (BFM, http://txm.bfm-corpus.org/), nous a permis d’extraire près de 1,200 occurrences de temps composés (PC, PA, PQP) en ancien français. Ces occurrences ont été classées selon les critères suivants : (a) valence (la réflexivité et transitivité sont les principaux critères retenus) ; (b) actionalité (le caractère agentif ou contrôleur de l’argument sujet, mais aussi et plus généralement les rôles sémantiques associables aux différents arguments du verbe) (c) classe flexionnelle du verbe et (d) interprétation aspectuelle de l’énoncé en contexte (y compris par ex. les effets de coercion aspectuelle). (d) tiendra non seulement compte de l’aspect en tant que type de procès (croisant des paramètres désormais classiques de l’Aktionsart, en particulier télicité, dynamicité, scalarité (au sens de Kennedy (2012)), atomicité (en gros la « ponctualité ») – ce qui nous donne une douzaine de classes aspectuelles distinctes), mais aussi des effets de sens aspectuels liés au temps verbal (par exemple, lectures inchoatives vs. duratives), aux adverbiaux aspectuo-temporels et au contexte (itération, habitualité…). 1.2 Le français moderne En français contemporain, la classe verbale détermine d’emblée le choix de l’auxiliaire ; les réfléchis et un ensemble restreint de verbes intransitifs sélectionnent l’auxiliaire être (aller, venir, etc.), tandis que le reste sélectionnent l’auxiliaire avoir. Suivant Grevisse (1969) : • être : tout verbe pronominal o Il s’est rasé. o Elle s’est évanouie. o La maison s’est vendue très vite. • être : un ensemble de verbes intransitifs exprimant un mouvement ou un changement d’état Burnett, Caudal & Troberg – Les facteurs de choix de l’auxiliaire en ancien français 3 o aller, arriver, décéder, devenir, échoir, éclore, entrer, mourir, naître, partir, repartir, rentrer, rester, retourner, sortir, tomber, venir, revenir, parvenir, survenir • avoir : le reste des verbes • Beaucoup de variation pour les verbes intransitifs qui prennent être comme auxiliaire.2 • Dans certains cas, on constate des facteurs (par exemple, la fréquence et l’analogie) qui conditionnent l’usage d’avoir à sa place (voir Burnett 2014 et les références qui y figurent). • Cependant, la variation dans le choix de l’auxiliaire en français moderne n’est pas catégorique.3 (5) Je suis revenu–j’ai revenu à seize ans, j’ai revenu à Ottawa. (055/153) Ottawa-Hull Corpus (Willis 2000) 1.3 L’ancien français (Buridant 2000) : trois propriétés déterminent le choix de l’auxiliaire en ancien français. 1) La valence du verbe : les réfléchis prennent être, et les transitifs favorisent avoir ; 2) l’interprétation aspectuelle du verbe : lorsque l’atteinte du terme du procès est mise en avant, être serait sélectionné, tandis que lorsque la durée du procès est mise en avant, avoir serait sélectionné ; 3) l’agentivité/sujet animé: le sujet inanimé favorise l’auxiliaire être. (Burnett 2014) suggère en effet que la télicité du verbe aurait joué le rôle le plus important Rapprocherait l’ancien français, par exemple, de l’italien moderne ; voir Sorace (1993), Legendre and Sorace (2003). (6) a. Tant ont alé qu’il vinrent a la chit de Navers (Aiol, 8176 ; B. 2000) ‘Ils ont tant cheminé qu’ils atteignent la cité de Nevers.’ b. E Bertram est al governail alé. (ChGuill: 121; TFA) ‘Et Bertrand s’est précipité au gouvernail.’ (7) a. Tant a venu De la gent qu’ele a retenu ‘Il est tellement venu de gens qu’elle a pris à son service.’ (Rutebeuf, Grieches d’ été, 27 ; B. 2000) b. Et dedenz ces.VIII. jorz furent venu tuit li vaissel et li baron ‘Et dans ces 8 jours, tous les navires et les barons sont venus’ (Villehardouin1, 128 ; BFM) 2 Voir Giancarli (2011) pour l’usage de avoir en acadien; Willis (2000) et Tailleur (2007) pour la variation dans la classe de verbes qui sélectionnent être depuis le français classique ; Canale et Bélanger (1978), Sankoff et Thibault (1977), Russo et Roberts (1999), Willis (2000), Renaud et Villeneuve (2008) pour la variation dans de différentes variétés du français. 3 Grevisse (1955) et Legendre et Sorace (2003) notent que la sélection d’auxiliaire de certains verbes, pour certains locuteurs, semble être gouvernée par les régularités sémantiques – pourtant subtiles : demeurer, descendre, échapper, monter, paraître. Diachro VII, U. Paris Sorbonne-Nouvelle, 5-7 février 2015 4 (8) a. Tant a coru et porchacié, (Renart 7: 10; TFA) ‘Il a tant couru et agi,’ b. Mais tot li chevalier ensamble i sont coru por lui rescorre. ‘Mais vite les chevaliers s’y sont précipités pour le secourir.’ (Vengeance Raguidel, 33 ; TFA) (9) a. Et quant il avoit tant volé que toz li monz le tenoit a merveille ‘Et une fois qu’il avait tant volé et que tout le monde le tenait à merveille’ (Queste: 131; TFA) b. Qu'elle est en un moment volée En l'air ou sa dame est montée, ‘que’elle est montée en un instant/mouvement en l’air ou sa dame est montée,’ (Machaut, Le Dit de l'Alerion: 328; DMF) Selon Buridant, ce n’est pas forcément le verbe en ancien français qui détermine le choix d’auxiliaire.4 Les verbes intransitifs emploient l’auxiliaire avoir ou l’auxiliaire estre selon le mode d’action des verbes : les verbes perfectifs, portant en eux-mêmes leur finalité et tendant vers un état, emploient normalement l’auxiliaire estre, marquant l’au-delà de la limite de tension, les verbes imperfectifs, pouvant exprimer un processus indéfini, emploient normalement l’auxiliaire avoir. Buridant (2000 : 372) 1.4 Questions de recherche I. Quels facteurs (morpho-syntaxiques et sémantiques) déterminent le choix de l’auxiliaire en ancien français ? En quoi ces propriétés diffèrent-elles de celles en français contemporain ? II. Quand et comment le système d’ancien français change-t-il ? Y-a-il une corrélation entre le changement dans le système d’auxiliaires en ancien français et d’autres changements dans la langue ? 1.5 Plan 2. L’intransitivité scindée 3. Etude pilote (I) : auxiliaires, télicité et verbes intransitifs dans le Roland 4. Etude pilote (II) : auxiliaires et paramètres aspectuo-temporels dans le Perceval 5. Conclusion 2 L’intransitivité scindée 2.1 Le choix de l’auxiliaire et la variation • l’ensemble de verbes qui sélectionnent l’auxiliaire ETRE • les verbes uploads/Litterature/ les-facteurs-de-choix-de-l-x27-auxiliaire-en-ancien-francais-etude-quantitative-et-comparative.pdf
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- Publié le Oct 21, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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