3 LES TRAVAUX SCIENTIFIQUES DE CHARLES DE FOUCAULD, ET LEUR PRESENCE DANS LA RE
3 LES TRAVAUX SCIENTIFIQUES DE CHARLES DE FOUCAULD, ET LEUR PRESENCE DANS LA RECHERCHE ACTUELLE La troisième conférence du cycle annuel 2012-2013 organisé par les Amitiés Charles de Foucauld, le 19 février dernier, a permis de prendre la mesure de l’œuvre scientifique de Charles de Foucauld et de sa place dans les travaux de la communauté scientifique. Nous remercions Dominique Casajus d’avoir préparé et donné cette conférence. Il était difficile de trouver parmi nos amis un expert plus qualifié pour évoquer ce sujet. Ancien élève de l’école polytechnique, Dominique Casajus est en effet un anthropologue spécialisé dans les cultures d’Afrique du Nord. Directeur de recherche au CNRS, membre du Centre d’étude des mondes africains, et directeur du Centre d’histoire sociale de l’Islam méditerranéen, ses travaux ont porté sur les Touaregs sahéliens. Il a étudié leur vie familiale et sociale, leur poésie amoureuse et leur poésie guerrière. Il s’est par la suite consacré à l’histoire des premiers contacts entre les Touaregs et les Français, ce qui l’a amené à se pencher sur les œuvres et le destin de Henri Duveyrier et Charles de Foucauld (voir, à la fin de cet article, la liste non exhaustive des œuvres de notre conférencier). Dominique Casajus a accepté de nous confier la publication du texte qu’il avait préparé pour l’occasion, ce dont nous le remercions de la part de tous nos lecteurs (les sous-titres sont de notre rédaction). Dominique Casajus L’œuvre scientifique de Charles de Foucauld a suscité elle-même des travaux, qu’ils soient dus à des universitaires patentés ou à des chercheurs s’imposant les normes de rigueur qu’on est en droit d’attendre d’un universitaire. 4 Une œuvre scientifique en deux volets Chronologiquement vient en premier le récit de son voyage au Maroc, publié en 1888 sous le titre de Reconnaissance au Maroc. Ce travail a été salué en son temps comme une contribution importante à la science géographique puisqu’il améliorait notoirement la connaissance de cette région de l’Afrique du Nord. Pour la période récente, ce récit a retenu l’attention de deux historiens, Daniel Nordman et Jacques Frémeaux, qui lui ont consacré une étude substantielle sous la forme d’un chapitre de l’ouvrage collectif Sciences de l’Homme et conquête coloniale. Constitution et usages des sciences humaines en Afrique (XIXe-XXe siècles) paru en 1980 aux Presses de l’École normale supérieure. Encore plus récemment, Bénédicte Durand a publié en octobre 2011 un livre (édité par Glénat/La Société de Géographie) dont il a été rendu compte dans le présent bulletin, Charles de Foucauld explorateur malgré lui (cf. Bulletin Trimestriel des Amitiés Charles de Foucauld n° 185 de janvier 2012, pages 16-19). Ces deux publications font bien apparaître ce qu’on peut retenir aujourd’hui de la Reconnaissance au Maroc : l’ouvrage marque un moment, non négligeable, de l’histoire de la géographie au XIXe siècle. Le deuxième volet est constitué par l’œuvre linguistique de Charles de Foucauld, qui fait autorité encore aujourd’hui, et cela tout à fait indépendamment de la personnalité de l’auteur par ailleurs. On ne peut pas travailler sérieusement sur la langue des Touaregs, et même d’une façon générale sur leur culture, si l’on n’a pas dans sa bibliothèque, toujours à portée de la main, le Dictionnaire Touareg-Français et les Poésies Touarègues. Ce qui fait que, d’emblée, l’œuvre linguistique de Charles de Foucauld est présente dans le monde de la recherche, même là où les publications n’en font pas explicitement état. Les travaux sur l’élaboration du volet linguistique Cette œuvre linguistique a suscité trois types de travaux. Tout d’abord, certains chercheurs se sont intéressés à son élaboration, produisant ainsi une contribution à l’histoire des sciences. 5 Page 82 de Reconnaissance au Maroc 6 La publication qu’il convient de mentionner ici en premier lieu est l’article intitulé « Charles de Foucauld linguiste ou le savant malgré lui », qu’Antoine Chatelard a publié en 1995 dans la revue Études et documents berbères, mais qui avait fait l’objet d’une communication orale quelques années plus tôt (1). Cet article est la première étude rigoureuse qui ait été consacrée à l’œuvre linguistique de Charles de Foucauld, et il a influencé nombre d’auteurs ultérieurs, qui lui ont rendu hommage ne serait-ce que par le titre qu’ils ont donné à leurs propres publications. Le titre du livre de Bénédicte Durand cité plus haut est un souvenir de celui d’Antoine Chatelard, tout comme l’est le titre du Charles de Foucauld moine ou savant que j’ai publié en 2009, ainsi que le titre du chapitre « Charles de Foucauld, moine ou savant ? » que l’ethnologue André Bourgeot a fait figurer dans un livre paru en 1995, Les sociétés touarègues. Nomadisme, identité, résistances. Maurice Serpette s’est lui aussi souvenu du travail d’Antoine Chatelard dans son Foucauld au désert (Desclée de Brouwer, 1997). L’intérêt du travail d’Antoine Chatelard tient à ce que sa parfaite connaissance de la langue des Touaregs lui a permis de retracer dans tous ses détails la lente élaboration de l’œuvre linguistique de Foucauld. Il a, par exemple, repéré grâce aux lettres envoyées à René Basset par Charles de Foucauld, le moment où celui-ci a pris conscience de l’existence en touareg d’un trait grammatical qu’on appelle « l’état d’annexion ». Certains mots touaregs prennent une forme particulière lorsqu’ils occupent la fonction de complément de nom ou lorsque, quoique occupant la fonction de sujet, ils sont placés après le verbe. On dit alors qu’ils sont à l’état d’annexion – un état qui s’oppose à l’état dit « libre » qui est le leur lorsqu’ils occupent la fonction de sujet et sont placés avant le verbe. Le phénomène rappelle un peu les déclinaisons, sans toutefois se confondre avec elles puisque, en latin par exemple, un sujet garde la même forme qu’il soit placé avant ou après le verbe. Il s’agit là d’un détail bien ténu, mais c’est la ténuité même des détails sur lesquels Antoine Chatelard a porté son attention qui rend son article passionnant et en fait une contribution (1) L’article est accessible en ligne à l’adresse suivante : http://www.berberemultimedia.fr/bibliotheque/auteurs/Chatelard1_EDB13_1995.pdf 7 importante à l’histoire de Foucauld savant. L’œuvre d’un savant est faite de détails de ce genre, et on ne peut prétendre écrire l’histoire de son élaboration si l’on manque à y être attentif. Je me suis inspiré du travail d’Antoine Chatelard dans un article que j’ai consacré en 1997 au recueil des Poésies Touarègues et où, là aussi, je me suis concentré sur ce qui pouvait apparaître comme un détail. Les deux volumes de ce recueil, publiés à titre posthume en 1925 et 1930, suivent jusque dans leur présentation typographique le manuscrit final que Charles de Foucauld avait achevé trois jours avant sa mort. Ce manuscrit est conservé au Centre André Basset de la bibliothèque de l’Institut des langues et civilisations orientales, laquelle, à l’époque de ma consultation, se trouvait rue de Lille. Il se présente sous la forme de fiches en papier bristol, d’un format qui doit être à peu près de 12 x 18 cm. Elles sont recouvertes d’une écriture menue et appliquée, toujours parfaitement lisible. Les corrections éventuelles sont reportées entre les lignes, dans des caractères encore plus minuscules, après que la partie corrigée a été raturée avec soin ou grattée, sans doute à l’aide d’un rasoir. En m’attachant aux ratures, je me suis aperçu que, à une date tardive (fin 1915 ou début 1916), alors qu’il était engagé depuis plusieurs mois dans la mise au net de ses notes de travail, l’auteur avait pris conscience d’un problème de prosodie et avait dû revenir en arrière pour reprendre tout ce qu’il avait déjà écrit. Le problème dont Charles de Foucauld venait soudainement de prendre conscience est le suivant. La langue touarègue n’aimant guère l’hiatus, plusieurs phénomènes peuvent se produire lorsque deux voyelles se succèdent. L’une des deux peut tout simplement être élidée ; ou bien elle peut être, comme dit Foucauld, « très peu prononcée » de façon à former avec l’autre une diphtongue ; s’il s’agit d’un i ou d’un u, elle peut se transformer en la semi-consonne correspondante, y ou w, ou en une syllabe contenant cette semi- consonne. Ces faits ne sont pas propres à la poésie, mais ils y prennent une importance particulière car ils affectent le décompte des syllabes ; l’observateur minutieux qu’était Foucauld ne pouvait manquer d’en prendre conscience dès lors qu’il avait perçu que, dans un mètre donné, un vers est composé d’un nombre fixe de syllabes. Cette affaire est aussi infime que celle de l’état d’annexion, mais elle a son importance, et, au moment où j’ai soudain pris conscience du 8 problème qui avait obligé Charles de Foucauld à revenir en arrière, j’ai eu l’émouvante impression de lire par-dessus son épaule. J’imagine qu’Antoine Chatelard a dû plus d’une fois éprouver le même sentiment dans son propre travail. Mentionnons également les articles de Maria-Letizia Cravetto, une essayiste dont les centres d’intérêt sont nombreux puisqu’on lui doit aussi des ouvrages consacrés à Michel de Certeau et à Primo Levi. Ces articles sont : « Histoire du Dictionnaire français-touareg de Charles de Foucauld », Revue des études islamiques 47 (2), uploads/Litterature/ les-travaux-scientifiques-de-charles-de-foucauld-et-leur-presence-dans-la-recherche-actuelle.pdf
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- Publié le Fev 18, 2021
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