LES VOYELLES FANTOMES EN AMAZIGHE MAROCAIN* El Mebdi lAZZI Faculté des Lettres-
LES VOYELLES FANTOMES EN AMAZIGHE MAROCAIN* El Mebdi lAZZI Faculté des Lettres-Agadir LANGUES ET LITTERATURES, VOL XIII, 1995, pp.45-63 Publications de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Rabat Les alternances consonnel 0 ou voyellel 0 relevées dans différentes langues sont généralement interprétées comme des cas d'épenthèse ou de syncope prédictibles dans des contextes précis'. Dans les analyses standard, comme celle de Ito (1989), entre autres, l'épenthèse (ou la syncope) intervient seulement quand elle est motivée par des contraintes prosodiques (e.g. la structure syllabique, ...) ou les conditions sur les agrégats segmentaux (cluster conditions, e.g. les géminées), comme le Principe du Contour Obligatoire (cf. Mc Carthy, 1986). L'alternance 01 voyelle que nous nous proposons d'étudier dans cet article est un cas différent de la syncope et de l'épenthèse dans la mesure où la voyelle que nous qualifions de voyelle fantôme est présente dès la structure lexicale. A ce niveau, cette voyelle, notée NI, n'a pas de profil phonique précis, sa seule identité est [ + vocalique]. L'attribution d'une matrice complète dépend, strico sensu, des règles morphologiques et non des règles prosodiques ou des règles qui régissent les agrégats consonantiques. Nous présentons en (1) les données que nous comptons analyser (où gn = "dormir";. ~r = "tomber"; kl = "passer la journée" ; ns = "passer la nuit" ; gnu = "coudre" ; nkr = "se lever") : (1) Aoriste: gn ~r kl ns gnu nkr Accompli positif: gn dr kla nsa gWna nki . Accompli négatif: gin dir kli nsi gWni nkir Inaccompli : ggan ttar klla nssa gnnu nkkrê * Ce texte est une version remaniée d'une section du chapitre II dans lazzi (1991). Je remercie les professeurs A. Boukous, E. Moujahid et J. Saïb et mon collègue et ami A. Jebour qui nous ont suggéré des améliorations importantes. Je remercie également tous les collègues du Groupe de recherches en Phonologie et Morphologie (Rabat), devant qui j'ai exposé en 1989 certains points ici abordés et qui m'ont aidé de leurs critiques et leurs suggestions. 45 L'examen de ces données nous permet de retenir les questions suivantes: (2) (i) - pourquoi des verbes comme ns et kl se conjuguent-ils à l'accompli positif avec une voyelle finale a (viz. nsa et kla), alors que des verbes comme gn et ~r restent invariables au même thème (viz. gn et ~r), bien qu'ils aient la même structure phonétique à l'aoriste viz. CC ? (ii) - pourquoi ns et kl admettent-ils à l'accompli négatifla voyelle i (marque de ce thème) en position finale (viz. nsi et kli), alors que gn et dr l'infixent plutôt entre les deux consonnes radicales (viz. gin et ~ir) ? • (iii) - pourquoi ns et kl géminent-ils la deuxième consonne à l'inaccompli (viz. nssa et klla), alors que gn et dr géminent plutôt la première (viz. ggan et !ta1') ? (iv) - pourquoi ns et kl présentent-ils les mêmes variations morphologiques que les verbes de structure CCU comme gnu, alors que gn et dr présentent un autre paradigme morphologique? • (v) - pourquoi un verbe qui admet une voyelle finale à l'accompli l'admet-il également à l'inaccompli (cp. nsl nsal nssa et gnul gWnal gnnu) ? (vi) - et de manière générale, la forme de l'aoriste peut-elle réellement servir de base à la dérivation ? sinon, comment la grammaire de l'amazighe peut-elle prévoir les formes correctes de l'accompli et de l'inaccompli. Si l'on considére que ns et gn ont la même structure, la distribution de la voyelle de l'accompli (positif et négatif) et la gémination de l'inaccompli seront imprédictibles et irrégulières, et rien n'interdirait de dériver *gna, au lieu de gn, et *ns au lieu de nsa, à l'accompli positif; *gni, au lieu de gin, et *nis, au lieu de nsi, à l'accompli négatif ; gnna, au lieu de ggan, et *nnas, au lieu de nssa, à l'inaccompli. Si l'on arrive à répondre aux questions ci-dessus, croyons-nous, plusieurs aspects problématiques des formes verbales et nominales trouveront une explication adéquate, et plus précisement l'alternance 01 voyelle qui nous intéresse dans cette étude. 1. Traitements classiques L'alternance 01 voyelle relevée a attiré l'attention des amazighisants (berbérisants) depuis les premières études. Pour eux, la forme qui sert de base à la dérivation des thèmes verbaux est la forme de l'aoriste et principalement la forme de la "deuxième personne de l'impératif', à l'exception de Abdelmassih (1968) et Dell & Elmedlaoui (1987) . Sur la base de la structure du verbe à l'accompli, la tradition grammaticale distingue deux grandes classes de verbes: 46 (3) (i) - verbes réguliers qui ne subissent aucune modification (à l'accompli), et (ii) - verbes irréguliers qui se modifient (toujours à l'accompli). Néanmoins, cette dichotomie à elle seule n'est pas suffisante dans la mesure où "l'irrégularité" peut prendre plusieurs formes et les verbes "irréguliers" ne présentent pas le même type de variations; ce qui explique le recours à des critères hétérogènes pour classer les verbes: le nombre de consonnes radicales (de une à cinq), la position des voyelles, l'alternance vocalique, alternance consonantique, etc. (cf. Laoust, 1918 : A. Basset, 1929 ; Aspinion, 1953 ; entre autres). La classification proposée ne permet pourtant pas de répondre aux questions ci-dessus et elle présuppose que le locuteur mémorise mécaniquement les différents thèmes sans établir de relations entre eux : ce qui ne fait pas l'unanimité des amazighisants. Quand ces grammairiens abordent l'alternance "zéro/voyelle" à l'accompli des verbes comme os et kl, les postulats théoriques et les techniques de leur approche ne disposent d'aucun moyen pour représenter un tel élément, i. e. "zéro". Rien ne permet de faire le départ entre verbes à alternance vocalique et les verbes sans alternance, et de justifier, à partir du thème de l'aoriste, l'apparition de la voyelle pour un type et son absence pour un autre. Bader (1984) a mené une étude prosodique du verbe kabyle dans le cadre de la morphologie non concatenative telle qu'elle est développée par McCarthy (1979, 1981). Parmi les postulats de base de cette étude, on peut citer: (4) (i) - la séparation entre les mélodies consonantiques et les mélodies vocaliques; (ii) - l'exploitation de la notion de "racine'P Quant à la différence entre le comportement de go et os, Bader (ibid : 296) déclare que "the reason why these verbs behave differently remains unexplained as far as 1know" (la raison pour laquelle ces verbe se comportent différemment reste, autant que je sache, inexpliquée). Cette difficulté s'explique par la nature de la base de dérivation qui est le thème de l'aoriste. Nous estimons que sans le recours à une structure sous-jacente, cette alternance ne peut pas recevoir d'explication sérieuse. Dans cette optique, Abdelmassih (1968) part de l'hypothèse que la stucture de base du verbe amazighe est //ABCD// où A, B, C, et D dénotent des segments radicaux qui peuvent être des consonnes ou des voyelles, simples ou géminées, pleines ou vides. Pour définir la structure sous-jacente d'un verbe, l'auteur se fonde principalement sur les variations de l'accompli (positif et négatif). Ainsi, deux grands types de verbes ont été 47 (i) - verbes à alternance vocalique où IICII = 0 (ii) - verbes sans alternance vocalique où IICII est maintenu et où B, C ou 0= voyelle. 4 dégagées suivant que ces verbes se soumettent ou non à l'alternance vocalique à l'accompli, viz. (5) En faisant usage de l'élément vide 11011,l'approche de Abdelmassih (ibid) répond ainsi en partie aux questions que nous avons soulevées, et permet de pallier les insuffisances des approches dialectologiques classiques. La différence entre les verbes ns et gn est située au niveau de structure sous-jacente, viz IIns011 pour ns et IIg0n/i pour gn. Néanmoins, cette approche présente quelques inconvénients concernant essentiellement la nature de l'élément vide 11011(consonne ou voyelle) et sa fonction (voyelle lai de l'accompli positif, voyelle Iii de l'accompli négatif ou les deux à la fois) : e. g. dans Ilns011, l'élément 11011 renvoie à la voyelle de l'accompli positif nsa et à celle de l'accompli négatif nsi, alors que dans Ilg0nll, il ne renvoie qu'à la voyelle de l'accompli négatif gin. L'approche de Dell & Elmedlaoui (1987) permet d'éviter ces problèmes. Les auteurs préfèrent directement le thème de l'accompli comme étant la représentation lexicale du verbe, e. g. Ignl pour gn et Insal pour ns. Ils distinguent deux types de voyelle finale lai: (6) (i) - la! variable, e. g. nsa- ns ; gCùna- gnu ; (ii) - la! invariable, e. g. rbba- rbba- (élever). Cette hypothèse, bien qu'elle paraisse plus naturelle ( dans le sens de Vennemann (1974)), pose beaucoup de problèmes: (7) (i) - cette grammaire ne peut dériver le thème de l'inaccompli qu'au prix d'une très grande complexité. Il faut d'abord dériver le thème aoriste puis appliquer les règles du thème inaccompli, e. g. (où agCù\ = "accrocher, suspendre"; m yur = "être grand" yzif= "être long"). 48 accompli positif: ugl mqqur yzzif aoriste: myur yzif inaccompli : ttmyur/ ttyzif (ii) - il est difficile d'expliquer, dans le cadre de cette grammaire, l'effacement de a des formes à finale géminée où seule la présence uploads/Litterature/ les-voyelles-fantomes-en-amazighe.pdf
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- Publié le Apv 27, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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