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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « Résister au secret » par Michel Lisse Spirale : arts • lettres • sciences humaines, n° 214, 2007, p. 42-43. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : http://id.erudit.org/iderudit/10404ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 20 October 2016 03:24 Ouvrage recensé : Tenir au secret (Derrida, Blanchot), de Ginette Michaud. Galilée, « Incises », 129 p. ESSAI Résister au secret TENIR AU SECRET (DERRIDA, BLANCHOT) de Ginette Michaud Galilée, « Incises », 129 p. Cl .c o LU en to LU o z tu C e serait une variation peut- être pas trop inopportune sur le titre du livre de Ginette Michaud, Tenir au secret (Derrida, Blanchot). Il s'agit bien du secret, de sa résistance dans et par la littérature, d'une résistance du secret au secret, à savoir d'une résistance du secret en tant que placé au secret, d'un secret dont on ne voudrait plus entendre parler, auquel on voudrait résister en le plaçant au secret, mais aussi d'une résistance d'un secret à l'autre, d'une modalité du secret, encore inouïe, au secret déjà pensé par une double tradition gréco-latine et par la psychanalyse depuis Freud. Le livre de Ginette Michaud comporte deux enjeux majeurs qui correspon- dent aux deux parties du livre. Dans un premier temps, elle retrace l'ap- proche faite par Jacques Derrida du motif du secret en s'appuyant sur des séances inédites de son Séminaire de 1991. Des renvois à d'autres ouvra- ges du penseur soutiennent et relan- cent les logiques dégagées de l'étude du Séminaire. Le premier enjeu est là : montrer comment utiliser judi- cieusement l'enseignement de Jacques Derrida en le mettant en résonance avec son œuvre. Forte de cette démarche qui lui a per- mis de toucher à un « // est impossi- ble de dire » du secret, Ginette Michaud entame, dans un second temps, une « entrelecture » de L'instant de ma mort de Maurice Blanchot et de Demeure — Maurice Blanchot de Jacques Derrida en inter- rogeant, entre autres, la place d'une lettre du premier au second. Comment le témoignage et la fiction s'articulent-ils? Et pourquoi, parce qu'une telle articulation peut autant concerner une lettre qu'un récit, rend- elle tout partage entre le réel et le fic- tionnel impertinentl Tel est le deuxième enjeu du livre de Ginette Michaud : enjeu théorique qui déplace les clivages que l'on croit bien établis entre la vie et l'œuvre, la non-fiction et la fiction, le vrai et le littéraire... Traitons du secret, si du moins un tel geste est possible, puisque le secret, dans une de ses modalités, est aussi ce qui ne relève plus de l'ordre du dire ou du langage. Le grec (kryptô...) et le latin fsecretum, se cernere...) ont donné une double orientation au concept de secret : le secret grec est crypté, chiffré et donc illisible tandis que le latin est ôté de la vue, caché, invisible, mystérieux. Cette double orientation a constitué une première logique occidentale du secret, à laquelle est venue s'adjoindre une deuxième logique, due à Freud qui a repensé le secret du point de vue psy- chanalytique. Cette deuxième logique comporte également deux volets ; d'une part, le secret est associé au refoulement qui garde et déplace un contenu de sens qui devient un « secret transcendantal », un sens ultime et dernier caché dans l'incons- cient; d'autre part, le secret associé à la compulsion de répétition et à la pulsion de mort qui est sans contenu et qui n'est plus sous la coupe de la logique de la vérité unifiée. Comme le résume très bien Ginette Michaud, il y a en somme dans la psychanalyse freudienne « deux secrets étrangers l'un à l'autre — le secret qui dérobe son objet au sujet conscient, le sujet sans contenu propre qui échappe au sujet de l'inconscient [...] ». Pour penser un secret inappropriable, inconnu même pour celui qui le porte en lui, irréductible à un discours..., Jacques Derrida en appelle à des tex- tes littéraires qui mettent en scène le secret, mais aussi le relient à une « figure de la mort » : «[...] l'effet de secret y [dans des structures littérai- res] était produit par la machination ou par le dispositif d'écriture ou de mise en scène : que le secret ait ou non un contenu, un sens, qu 'il y ait ou non finalement un secret derrière les discours, les têtes, les consciences ou les inconscients de personnages, sans même parler des auteurs, l'effet de secret n'en opère pas moins, mais il ne peut opérer que dans la mesure où la mort, une figure de la mort[...] rend le secret à la fois possible, pos- sible et horriblement indescellable, impossible à présenter [...] ». Ainsi Bartleby, le personnage de Melville, est-il à la fois l'esclave qui ne se révolte jamais et le maître absolu qui garde le secret, son secret, jusque dans la mort et n'en est responsable devant personne, ne répond de rien. L'impuissance et la plus haute souve- raineté de la littérature tiennent dans cette réponse sans réponse, cette « responsabilité irresponsable, ou hyper-responsable ». pecte pas l'interdit d'identifier auteur réel, narrateur et personnage. Comme Derrida a lui-même formulé cet interdit, l'hypothèse d'une étour- derie se voit au moins contrebalan- cée par celle d'une transgression délibérée, d'un franchissement volon- Au centre de son livre, Ginette Michaud fait surgir lefictuel, que je serais tenté de qualifier d'autre nom du secret. Au centre de son livre, Ginette Michaud fait surgir le fictuel, que je serais tenté de qualifier d'autre nom du secret. Entre fait et fiction, le fic- tuel, tel est le sous-titre qui ouvre, à la page 60, la partie charnière de Tenir au secret Les deux noms pro- pres (Derrida, Blanchot), les deux tex- tes (Demeure, L'instant de ma mort), le fait et la fiction, la réalité et le lit- téraire, l'attestation et le faux témoi- gnage... vont tenir ensemble au lieu du fictuel. Certes, Ginette Michaud avait déjà insisté, après Jacques Derrida, sur l'irréductibilité du texte de Blanchot à toute classification générique ou institutionnelle en le déclarant à la fois « indécidable fic- tion littéraire, invérifiable témoi- gnage autobiographique » et en pré- cisant qu'il s'agit d'un récit qui « déstabilise » les « rapports entre fic- tion et vérité autobiographique », mais elle forgera au milieu de son livre le concept de fictuel pour dire le lieu sans lieu où se tient le texte de Blanchot, le * point stigmatique », celui d'un « équilibre vertigineux » entre les oppositions tenues pour fondatrices : réel / irréel, actuel /vir- tuel, effectif / fictif. Toute la difficulté pour le lecteur d'un tel récit consiste donc à maintenir cet équilibre et à éviter de privilégier un aspect plutôt que l'autre. C'est pourquoi Ginette Michaud va mesurer comment le texte de Jacques Derrida joue de cet équilibre et à quel(s) endroit(s) il infléchit sa lecture. Elle remarque tout d'abord que Derrida, à plusieurs reprises, ne res- taire du « seuil interdit ». Mais cette première inflexion en annonce une seconde, plus redoutable encore. Malgré toute la finesse de la lecture de Derrida, malgré toute son habileté à se maintenir « sur le fil », à la char- nière entre fiction et témoignage, « // est un moment, écrit Ginette Michaud, où il s'emmêle aussi dans les mailles du filet qu'il est si habile à entre-tisser et à désenchevêtrer». Le moment où Derrida cite un extrait d'une lettre reçue de Blanchot et où il la tient pour un « témoignage non lit- téraire, non fictif», donc comme n'ap- partenant pas à « ce qu'on appelle la littérature », serait donc l'instant de rupture d'équilibre. « Instant » est bien le mot retenu par Ginette Michaud : « [il] semble alors relâcher un instant sa vigilance à l'endroit des échanges entre témoignage et fic- tion, et opposer l'une à l'autre la vraie lettre de Blanchot et le texte "publié au titre de la fiction litté- raire", cédant à la tentation de se servir de la lettre comme document, comme archive, comme preuve maté- rielle. Cette lettre viendrait d'une part, attester de l'extérieur la réalité de l'événement survenu, d'autre part, confirmer le statut de fiction de L'Instant de ma mort, en la mettant à sa place, en lieu sûr [...] ». Et plus loin, le même mot d'instant est de nouveau convoqué pour dire le relâ- chement : « Derrida paraît bien céder, au sujet de cette lettre, uploads/Litterature/ lisse-resister-au-secret.pdf

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