« Regards littéraires sur les Bohémiens » Note préliminaire Les contributions q

« Regards littéraires sur les Bohémiens » Note préliminaire Les contributions que nous offrons ici aux lecteurs sont issues d’un séminaire qui a eu lieu sous notre direction à l’Université de Zurich, au semestre d’hiver 2013, sous le titre « Regards littéraires sur les Bohémiens ». Le séminaire était consacré à l’étude de quelques textes clefs de la littérature française du XVIIe au XXIe siècle ayant comme sujet la représentation de figures tsiganes. En l’absence d’un ouvrage d’ensemble proposant des analyses précises de ces textes, nous avons jugé utile de soumettre nos réflexions à un public plus large, dans l’espoir qu’elles puissent stimuler l’intérêt pour ce sujet passionnant. On trouvera dans ces contributions les expressions de Bohémiens, Tsiganes, Egyptiens et Gitans selon l’emploi des textes eux-mêmes et, donc, sans aucune prise de position idéologique de notre part. Nous tenons à remercier très chaleureusement Inka Wissner et Marie Burkhardt de leurs relectures linguistiques, ainsi que Rebecca Anders-Wild de son travail de mise en page. Ursula Bähler Zürich, le 2 avril 2015 Regards littéraires sur les Bohémiens (avril 2015) 1 Sommaire La disqualification des Bohémiens dans l’histoire tragique « L’innocente Egyptienne » (1630) de Jean-Pierre Camus ....................................................................................................................... 2 « La belle Egyptienne » (1631) de Georges de Scudéry : l’émergence d’un nouvel idéal esthétique .......................................................................................................................................... 7 Liance, nouvelle muse : Urbain Chevreau, les « Madrigaux pour une belle Égyptienne » et les Chevraeana ............................................................................................................................. 9 Jean Ogier de Gombaud, la « Belle égyptienne » : source d’amour, source de poésie .................. 13 De la belle Liance et des plaisants tours de Bohémiens. Deux Historiettes de Tallemant des Réaux ...................................................................................................................... 16 Voltaire en proie aux préjugés : « De ceux qu’on appelait Bohèmes, ou Égyptiens » .................. 20 Charles-Joseph, prince de Ligne, « Mémoire sur les Égyptiens dits Bohémiens » (1801) ............ 23 « Les Bohémiens » de Pierre-Jean de Béranger : une stratégie de conversion ? ........................... 26 Les Bohémiens dans Notre-Dame de Paris: entre le sublime et le grotesque ............................... 29 Rétablir l’ordre. À propos de Carmen de Prosper Mérimée .......................................................... 34 L’aspiration à un idéal social dans La Filleule (1851) de George Sand ........................................ 38 Bohémiens voyants : Charles Baudelaire, « Bohémiens en voyage » ........................................... 41 Les Bohémiens comme figures du sujet poétique chez Albert Glatigny ....................................... 43 Bohémiens saturniens : « Grotesques » de Paul Verlaine .............................................................. 46 Le pouvoir prédictionnel de la « tzigane » chez Guillaume d’Apollinaire .................................... 48 Entre stéréotypes et réalité : Grâce et Dénuement d’Alice Ferney ................................................ 49 Regards littéraires sur les Bohémiens (avril 2015) 2 La disqualification des Bohémiens dans l’histoire tragique « L’innocente Egyptienne » (1630) de Jean-Pierre Camus Petra Meier (MA) Le XVIIe siècle peut être considéré comme un véritable « siècle d’or » pour les ‘Egyptiens’, tant sur le plan social que sur le plan littéraire1. Des auteurs comme Scudéry, Gombaud et Chevreau introduisent la figure de la « belle Egyptienne », qui séduit par son exotisme2. Des courants hostiles, cependant, persistent, en politique comme en littérature. Ainsi, le texte de Jean-Pierre Camus intitulé « L’innocente Egyptienne », loin de prendre la défense des Bohémiens, met en avant une image quasi entièrement négative de ce peuple. Jean-Pierre Camus (1584-1642) Jean-Pierre Camus était l’un des écrivains les plus prolifiques du XVIIe siècle. Cependant, son œuvre a été négligée par les critiques littéraires jusque dans les années 1970. S’il a été mentionné par les chroniqueurs et mémorialistes, c’était pour son zèle et sa vertu en tant qu’évêque plutôt que pour les qualités de son œuvre littéraire3. Camus, né en 1584, est issu d’une famille noble et pieuse. Après des études de droit, il travaille quelques années en tant qu’avocat au Parlement de Paris, pour ensuite abandonner le monde de la justice et entrer dans les ordres. En 1608, il est nommé évêque de Belley4. C’est sous ce titre qu’il sera connu par la postériorité. C’est également pendant ses années à Belley qu’il publie la plus grande partie de son œuvre, qui est considérable : « [Camus] est l’auteur de près de 250 ouvrages, parmi lesquels on compte, outre les œuvres oratoires et les douze tomes de Diversités, 36 romans et 21 recueils de nouvelles (soit quelques 900 nouvelles en tout !) »5 La force motrice de cette œuvre abondante est bien « l’intention […] d’édifier un chacun »6. Camus écrit donc dans une visée nettement moralisatrice, pour diffuser ses convictions religieuses. L’Amphithéâtre sanglant (1630) L’Amphithéâtre sanglant est un recueil d’histoires dites tragiques. L’ouvrage se compose de deux livres qui contiennent respectivement 17 et 18 nouvelles. L’histoire tragique est une forme narrative très répandue au XVIIe siècle. Il s’agit de récits brefs mettant en scène « [m]aris cruels, fourbes maîtresses, prêtres débauchés, gentilshommes déloyaux ; trahisons, tortures, séquestrations, vengeances horribles, 1 François Vaux de Foletier, « Les Tsiganes en France au XVII siècle », XVII siècle, 92, 1971, p. 147-153, ici p. 147. 2 Voir, ici même, les contributions de Juliane Roncoroni, de Livia Enzler, ainsi que d'Angela Calenda et d'Alessandro Carbone. 3 Voir Mary Elizabeth Storer, « Jean-Pierre Camus, Evêque de Belley », PMLA, 61/3, 1946, p. 711-738, ici p. 711. 4 Belley est une ville en Rhône-Alpes, dans l’est de la France. 5 Stéphan Ferrari, dans la préface de son édition de Pierre Camus, L’Amphithéâtre sanglant, 2001, Paris, Honoré Champion, p. 9. 6 Camus, cité dans Storer, art. cit., p. 711. Regards littéraires sur les Bohémiens (avril 2015) 3 homicides atroces, viols infâmes »7. Ces histoires sont, en l'occurrence, inspirées de faits divers issus de l’actualité, comme le précise le titre : L’Amphithéâtre sanglant où sont représentées plusieurs actions tragiques de notre temps. L’objectif des histoires tragiques est d’instruire le lecteur : « il s’agit […] de susciter chez le lecteur ‘effroi et pitié’ au spectacle d’atrocités et le conduire ainsi vers le bien »8. Afin d’assurer que le lecteur tire la bonne leçon morale des faits représentés, l’auteur intervient au début du récit, en annonçant le problème qui va être traité, et à la fin du récit, en en tirant les conclusions morales. Par ailleurs, le récit des faits est linéaire et très condensé. Par conséquent, les personnages restent des types, car Camus s’intéresse plus à leurs actes et à ce qui en résulte qu’à une analyse introspective9. « L’innocente Egyptienne » Le titre de cette histoire tragique, ainsi que le programme édifiant de Camus pourraient suggérer l'idée que ce texte dénonce les stéréotypes négatifs sur les Bohémiens répandus dans la société du XVIIe siècle. L’intrigue même se prêterait à conclure que l’auteur défend les « Egyptiens ». « L’innocente Egyptienne » met en scène Tamaris, une Tsigane qui est en train de mourir après avoir accouché. Avoie, la Dame du lieu, prise de pitié, se charge de la soigner, en vain. Avant de mourir, Tamaris lui raconte qu’étant petite, elle avait été enlevée à sa famille et que depuis elle vivait en compagnie des « Egyptiens » tout en détestant leur façon de vivre. Elle prie Avoie de prendre sa fille Olive, âgée entre seize et dix-huit ans, sous sa garde et de « ranger cette pauvre fille en quelque honnête maison » (p. 272)10 craignant que la compagnie des « Egyptiens » puisse la corrompre en l’absence de sa mère. Avoie promet à la mourante de s’occuper d’Olive et la met en son service. Cependant, elle ne peut pas se débarrasser d’une certaine méfiance envers la fille, bien que celle-ci montre toujours un comportement exemplaire. De plus, les autres servantes, jalouses d’Olive, font circuler de fausses histoires qui suscitent la méfiance des villageois. Un jour, le fils d’Avoie, Léon, tombe follement amoureux de la fille tsigane ; étant toutefois rejeté par elle, il produit de fausses preuves pour prouver qu’Olive est une sorcière. L’innocente Olive est tuée par les villageois avant même qu’elle n'ait eu un procès. Léon, pris de mauvaise conscience, se confie à sa mère. Avoie, ne pouvant supporter l'idée qu’elle aussi s'était tournée contre sa protégée, est atteinte d’une fièvre qui causera sa mort. Peu après, Léon se fera tuer par un mari jaloux. – Voilà bien une histoire qui pourrait illustrer le tort des gens qui croient aux stéréotypes contre les Bohémiens. Or le texte va dans une tout autre direction. Commençons par la structure. La clôture du texte est formée par les réflexions moralisatrices du narrateur omniscient au début et à la fin, qui entourent la narration proprement dite, c’est-à-dire, l’histoire mettant 7 Ferrari, L’Amphithéâtre sanglant, op. cit., quatrième de couverture. 8 Ibid., p. 59-60. 9 Cependant, il faut mettre en évidence que le long discours de Tamaris dans « L’innocente Egyptienne » est, justement, la seule exception à cette règle dans le recueil. 10 Les indications de pages se réfèrent à Jean-Pierre Camus, « L’innocente Egyptienne » (1630), dans Ferrari, L’Amphithéâtre sanglant, op. cit., p. 213-222. Regards littéraires sur les Bohémiens (avril 2015) 4 en scène Tamaris, Avoie et Olive, ainsi que les autres personnages. Le troisième niveau de l’énonciation est constitué par le récit enchâssé de Tamaris. Ainsi, la structure uploads/Litterature/ lnthry-t-l-dby-aan-lbohymyyn.pdf

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