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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Patrick Bergeron Nuit blanche, magazine littéraire, n° 98, 2005, p. 8-12. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : http://id.erudit.org/iderudit/19093ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 11 mars 2015 04:19 « Marcelle Sauvageot » E C R I V A I N S M É C O N N U S D U x x • S I È C L E Marcelle Sauvageot Par Patrick Bergeron Comme John Keats, Emily Brontë, Robert Louis Stevenson, Anton Tchékhov et Franz Kafka, Marcelle Sauvageot (1900-1934) a été emportée dans la force de l'âge par la « peste blanche », la tuberculose. Son œuvre unique, Laissez-moi (Commentaire), a connu l'épreuve du désert, faisant de brèves apparitions sur les rayonnages des librairies, sans parvenir à s'attacher l'attention du grand lectorat ni de la critique. ^ ^ ^ • • • • • ^ ^ M Des écrivains de premier ordre, tels Paul Valéry, Paul Claudel, Charles Du Bos, René Crevel, Clara Malraux et Heimito von Doderer, ont pourtant été éblouis par cette prose implacable, m , ^ . y '' s a n t l'expression d'une intelligence de haute volée. D e s A r d e n n e s a u x G r i s o n s Marcelle Sauvageot est née en 1900 dans le chef-lieu ardennais de Charleville (aujourd'hui Charleville-Mézières), le berceau d'Arthur Rimbaud. Issue d'une famille lorraine, elle partage la condition des « réfugiés de l'Est », expatriés lors des grands remous de la Première Guerre mondiale. Avec les siens, elle habite successivement Bar-le-Duc, Troyes, Paris et Chartres, avant de rentrer à Paris à la fin de 1918, après l'armistice, et d'y préparer l'agrégation de lettres. C'est à cette époque qu'elle fait la connaissance de René Crevel (1900-1935) et de Jean Mouton (1899-1995), tous deux sorbonnards, avec qui elle lie une amitié durable. Une fois agrégée, elle part pour Charleville afin d'enseigner la littérature au collège de garçons. Mais le malheur la frappe à la fleur de l'âge. Elle n'a que la mi-vingtaine lorsqu'elle tombe malade et qu'elle amorce une série de longs séjours annuels en sanatorium : d'abord Tenay-Hauteville, dans l'Ain, qui forme le cadre spatial de Laissez-moi ; plus tard Davos, en Suisse, où elle s'éteint quelques années plus tard. Malgré la présence lancinante de la maladie, Marcelle Sauvageot n'était pas encline à se tenir en retrait de la vie. Des photographies la montrent gracile et svelte, la peau tavelée de taches de rousseur et la tête pourvue d'une belle chevelure brune en crinière ou coiffée à la garçonne. Cette jeune femme aimant la musique, la danse et les menus plaisirs du temps, ne donne pas l'impression d'être cacochyme. « Brillante époque, se souvient à son propos Jean Mouton, celle qui suivit immédiatement la première guerre, où dominait une recherche de la liberté à tout prix. Il s'agissait alors de devenir soi-même, plutôt que de participer collectivement à des ruptures préfa- Marceiie sauvageot briquées, sans but précis et assez uniformes dans leur réalisation. Les uns découvraient cette liberté en dansant à toute heure du jour et de la nuit ; d'autres en s'initiant au freudisme et en inventant le surréalisme1. » René Crevel, qui fit justement découvrir à sa camarade d'études l'œuvre de ses amis surréalistes, corrobore cette vision de la jeune femme dans le goût des années folles : il la dépeint comme « une flamme très pure défiant la vie ». Toutefois, Marcelle ne rallia pas les rangs du mouvement présidé par André Breton, trop profondément occupée, estime Jean Mouton, par sa recherche de la vérité nue et par sa volonté d'adhérer à elle-même en face de la mort qui obscurcissait l'horizon, ce qui l'amena à « laiss[er] de côté tout ce qui lui paraissait artificiel, trop littéraire, en particulier le souhait de Nathanaël de 'mourir désespéré'2 ». Il lui seyait davantage de mourir sans illusion. N ° 9*3. . N U I T B L A N C H E E C R I V A I N S M É C O N N U S D U x x « S I È C L E P a p a Œ d i p e Une étrange complicité s'est formée entre l'enseignante carolomacérienne et l'auteur de La mort difficile (1926) et à'Etes-vous fou ? (1929). Plusieurs kilomètres les séparant, Marcelle et René entretenaient une relation épistolaire empreinte de désinvolture amicale. Dans les lettres qu'il lui envoyait de Paris, Crevel se présentait comme son « papa Œdipe », l'informant des dernières nouveautés de la vie estudiantine à la Sorbonne. II la surnommait affectueusement « la fille de [son] luxe ». Au nouvel an, il lui adressait ses vœux en lui souhaitant beaucoup de bonnes choses : « Un mari pour ma fifille, tenant commerce à l'Agora, beau garçon et sentimental ». Il lui souhaitait, de même, « beaucoup de succès dans les dancings », regrettait tantôt l'absence de Colette chez des amis communs, ou rapportait tantôt les détails d'une soirée « très réussie » : « Dancing, revue, souper, votre sœur a flirté sous mes yeux de manière intempestive avec un grand d'Espagne du nom de Marcel Abraham. Pour se consoler, votre père a caressé de la dive bouteille, seule femme qui ne l'ait encore point fait Cocu Magnifique ». Cette correspondance inédite, citée par François Buot, le biographe de Crevel, se conclut à un endroit sur une note comico-nostalgique : « On vieillit Sauvageotte, vous êtes devenue austère, moi très grave, gnouf, gnouf, gnouf, gnouf... // Notre jeunesse est morte / Sachons en garder le souvenir3 ». L a m o r t à D a v o s L'hiver 1929 fut rude pour Marcelle Sauvageot. Une pleurésie entraîna une brusque détérioration de son état. À cette aggravation de la maladie s'ajoutait, alors que Marcelle venait de regagner le sanatorium hautevillois, l'annonce impromptue de la rupture amoureuse, à laquelle Laissez-moi fait réponse. Au sujet de ce jeune homme qui l'a aimée mais ne l'aime plus, et qui lui annonce indélicatement son mariage avec une autre, on ne sait que ce que Marcelle en a écrit, c'est-à-dire fort peu de choses. Nul indice ne renseigne vraiment sur son identité ; il faut donc nous contenter du sobriquet de « Bébé » que lui accole la jeune femme, dans des passages du texte où elle le dépeint avec des attributs très personnels : ses petites maladresses, son égoïsme éhonté, ses faux-fuyants parfois amusants... En dehors de cela, comme l'observe Charles Du Bos, cet amant peu prévenant ne représente guère qu'« un personnage anonyme, l'homme même en son insuffisance amoureuse, en sa duplicité si instinctive, si organique qu'elle n'affleure même pas à la conscience4 ». Les pages de Laissez-moi, datées de novembre et de décembre 1930, forment le seul livre publié de Marcelle Sauvageot. La jeune femme a laissé, autrement, des notes éparses et des lettres, restées inédites. Parmi elles, sa correspondance avec René Crevel est conservée à la bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, à Paris, réputée pour son important fonds sur le surréalisme. Après un autre hiver à la montagne, alors que la guérison semble acquise, Marcelle retourne à Paris où une nouvelle crise la frappe. Il lui faut repartir. Elle se rend alors en Suisse, à Davos-Platz, un lieu rendu mythique par Thomas Mann dans La montagne magique (1924). C'est en effet dans les hautes montagnes grisonnes que le romancier avait transporté à l'été 1907 Hans Castorp, personnage de jeune bourgeois allemand, qui projetait d'y séjourner trois semaines pour visiter un cousin poitrinaire, mais qui, envoûté par l'esprit du lieu, y demeura sept ans. Au tournant du siècle, Davos, comme Leysin et Hyères, hébergeait des malades venus du monde entier et représentait ainsi une société cosmopolite vivant en vase clos. Différentes sommités de la vie littéraire y firent traiter leurs maux pulmonaires : Robert Louis Stevenson, Louise Hawkins Doyle (l'épouse d'Arthur Conan), Katharina Hedwig Mann (l'épouse de Thomas), l'écrivain expressionniste allemand Klabund, René Crevel, Paul Éluard... On lit dans La montagne magique, que dès son arrivée à Davos, Castorp délaisse l'existence fébrile et creuse qui avait été sienne jusqu'alors pour se soucier de culture et d'introspection. Jouissant de loisirs sans contrainte, il passe son temps à lire, contempler, méditer, à effectuer de longues promenades dans les sentiers enneigés des Grisons. Au centre de ses méditations se placent l'être humain et le plein engagement de sa vie intérieure, soit une trame de fond entièrement compatible avec l'opuscule uploads/Litterature/ marcelle-sauvageot.pdf
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- Publié le Jul 13, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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