IV. Le théâtre symboliste Presque tous les symbolistes rêvaient de théâtre. Pou
IV. Le théâtre symboliste Presque tous les symbolistes rêvaient de théâtre. Pourtant, rien ne se prête moins à une représentation théâtrale que la poétique symboliste. Aussi, surtout au début, l’histoire du drame symboliste n’est qu’une suite ininterrompue d’échecs éclatants. Pourquoi le symbolisme s’intéresse-t-il au théâtre? Qu’est-ce qui, dans cette poétique individualiste, élitiste, centrée sur une vision intérieure, subjectivisée, difficilement communiquable, entraîne les poètes à envisager une mise en scène et une communication «multipliée»? On sait que Mallarmé n’a cessé de songer au théâtre. En 1886, il écrit une longue étude dans La Revue Wagnérienne à propos du drame musical de Wagner. Et même ailleurs, sa réflexion sur la littérature ne perd jamais de vue une orchestration dramatique. À preuve Un coup de dés jamais n’abolira le hasard - un poème-livre, mais aussi un drame, puisque, dans la préface, Mallarmé déclare avoir recherché «une mise en scène spirituelle exacte». Pour Mallarmé, tout livre implique en un sens le théâtre, toute lecture évoque un théâtre imaginaire - celui de l’esprit: «Un théâtre inhérent à l’esprit, quiconque d’un oeil certain regarda la nature le porte avec soi, résumé de types et d’accords; ainsi que les confronte le volume ouvrant les pages parallèles.» Mais ce théâtre, on le voit, n’a guère de rapports avec le théâtre réel. La dramatisation intérieure n’implique pas forcément la dramatisation en public. Et Mallarmé lui-même de le confirmer. L’attention accordée au drame wagnérien ne l’empêche pas de prendre ses distances - non seulement parce que le drame wagnérien demande à la musique ce qui est du ressort de la poésie, mais parce qu’il fait appel à des mythes impurs. Le spectacle futur, dont Mallarmé rêve, refuse la personnalité de l’auteur, la pluralité des personnages, et même la réalité du personnage, l’action et le temps. Il devra manifester «le fait spirituel» à l’état pur, être «un acte scénique vide et abstrait en soi, impersonnel» qui s’incarnera en un «Type sans dénomination préalable». Le seul argument, que l’on trouve chez Mallarmée, en faveur de l’extériorisation, devant un public, c’est que le théâtre établit une communion: «L’art dramatique de notre temps, vaste, sublime, presque religieux, est à trouver.» Un feuillet manuscrit de Mallarmée porte ces mots: «Pièce, Office». Tout doit se passer dans l’esprit, mais il faut que ce soit dans un esprit commun, selon un cérémonial religieux, c’est-à-dire théâtral. Mallarmé veut donc retrouver, par delà le problème de la communication, la dimension sacrée, religieuse de l’acte poétique. Mallarmé témoigne à la fois du rêve symboliste d’un théâtre de création poétique, et de l’impossibilité de sa réalisation. Ses vues théoriques n’en contiennent pas moins, en germe, et les traits caractéristiques du théâtre symboliste, et les éléments novateurs qui resteront l’acquis durable du théâtre moderne. Quant à la caractéristique du théâtre symboliste, il faut souligner notamment, chez Mallarmé: l’absence du conflit dramatique en tant que conflit entre personnages typés, l’absence du souci des unités dramatiques, le peu de souci du lieu, du temps et de l’action même. À cela s’ajoutent certains éléments novateurs: 1o Le symbolisme coupe les ponts avec la «réalité». Il ne veut pas représenter, refléter le réel, comme c’était le cas du théâtre romantique, réaliste et naturaliste. Il se veut avant tout une mise en scène (cf. le statut moderne de la poésie). Deux voies s’ouvrent alors. L’une qui, par la suite, concentrera toute attention sur le texte (le mot) en tant que porteur d’un message autre que ce qui est dit et montré. L’autre qui voit dans la représentation un spectacle avant tout. 2o Le symbolisme réinvente l’idée de communion et, par là redonne une autre dimension à la communication théâtrale, celle entre l’auteur, l’acteur, le metteur en scène et le spectateur, donc entre la scène et la salle. Ces aspects seront très souvent complémentaires et revêtiront, au 20e siècle, des formes aussi différentes que le théâtre brechtien (avec l’instauration d’une nouvelle communication), le théâtre de l’absurde (Ionesco, Beckett) ou le théâtre «actionnel» (sans paroles) et le théâtre du Soleil (Arianne Mnouchkine). Mallarmé n’a été qu’un théoricien occasionnel, quoique profond, du théâtre symboliste. Celui-ci a trouvé, sur le plan théorique, deux promoteurs de renom: Camille Mauclair (1872-1945) et Théodore de Wyzewa (1862- 191) et qui ont surtout permis au théâtre symboliste de s’adapter à la scène, de devenir «représentable» et accessible, au moins en partie, au spectateur. Théodore de Wyzewa (critique littéraire d’origine polonaise, spécialiste de Wagner qui a introduit le compositeur allemand en France) établit comme principes: - le théâtre doit détourner de la réalité, car son but, c’est de percer le mystère de l’âme; - le théâtre doit comporter des significations superposées au niveau de l’anecdote, de l’intrigue et du symbole, car un «théâtre à symboles» à lui tout seul reste «injouable», hermétique, inaccessible au grand public qu’il s’agit, au contraire, d’attirer; - le théâtre doit être multiple pour intégrer la musique, la peinture, la sculpture, le ballet; cette idée de l’Art Total - le «Gesammtkunstwerk» wagnérien a, en définitive, rendu les représentations symbolistes souvent onéreuses (cf. la souscription de la comtesse de Grefulhe pour lancer, en 1893, la représentation de Pelléas et Mélisande). Il est évident que le symbolisme, même sous cette forme, pouvait être difficilement accepté par les grands théâtres (l’Opéra, l’Opéra Comique, l’Odéon, la Comédie Française). Plusieurs scènes s’ouvrent à l’avant-garde de l’époque: Théâtre Libre d’Antoine (1887-1894) et Théâtre Antoine (1896-1914) - dirigés par André Antoine (1858-1943) sont surtout liés à l’introduction du naturalisme. Antoine, employé de l’usine de gaz et amateur, réagit avant tout contre le caractère déclamatoire du théâtre traditionnel (romantique, classique), contre la caractère artificiel des décors, contre les effets scéniques, etc. Son idée est de faire jouer les acteurs de manière «naturelle», dans un décor aussi réel que possible, sans qu’ils se rendent compte qu’un pan du réel (mur) les met à découvert - face à la salle et aux spectateurs. À part le naturalime, Antoine se fait porte-parole de la modernité internationale. C’est lui qui introduit en France Tolstoï, Tourguéniev, Ibsen, Strindberg, Hauptmann, Verga. La thématique de l’inquiétude, de l’angoisse, du mal d’être que l’on trouve par exemple chez certains de ces auteurs concorde avec la thématique du symbolisme. Théâtre d’Art (1890-1893), dirigé par Paul Fort, alors âgé de 18 ans (1872-1960; connu surtout comme auteur des Ballades Françaises, publiées à partir de 1897, en versets). L’ambition de Paul Fort est de monter des pièces jamais encore représentées: Faust de Marlow, Théâtre en liberté de Hugo, mais aussi Le Concile féerique de Jules Laforgue, des textes de Rémy de Gourmont, de Van Lerberghe, de Maeterlinck, etc. L’échec est royal, 12 pièces d’affilée sans aucun succès. Aussi se montre-t-il réticent devant Pelléas et Mélisande, en 1893, et c’est Lugné-Poe (1869-1940) qui, au Théâtre de l’Oeuvre (1893-1914) jouera la pièce. C’est à Lugné-Poe (Poë) que revient le mérite de la mise en oeuvre pratique des représentations symbolistes: demi-obscurité, éclairage atténué; acteurs quasi immobiles, s’exprimant avec des gestes lents; récitation monotone, sans éclat; décor dépouillé à l’extrême. Tout cela dans le souci de la mise en relief du texte et du mot. Lugné-Poe et le Théâtre de l’Oeuvre marquent l’apogée du théâtre symboliste: Gide (Le Roi Candaule, Saül), Verhaeren (Philippe II), Viélé-Griffin (Phocas le Jardinier), Édouard Dujardin (Antonia), etc. Deux auteurs assureront la célébrité et la continuation du théâtre symboliste au-delà de la période désignée: Maurice Maeterlinck (1862-1949; La Princesse Maleine, Pelléas et Mélisande, L’Oiseau bleu, Monna Vanna) et Paul Claudel (1868-1955; Tête d’Or, L’Annonce faite à Marie, L’Otage, Le Soulier de satin). Mais leur célébrité appartient déjà plutôt au post-symbolisme. uploads/Litterature/ mat-4.pdf
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- Publié le Mar 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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