SÉQUENCE II : PRÉVOST, Manon Lescaut, 1731. DISSERTATION SUJET : Manon Lescaut

SÉQUENCE II : PRÉVOST, Manon Lescaut, 1731. DISSERTATION SUJET : Manon Lescaut appartient-il selon vous au genre comique ou tragique ? ANALYSE DU SUJET - A priori une question non pertinente : l’œuvre de PRÉVOST est un ROMAN et non une pièce de théâtre, genre auquel les mots « genre comique » et « genre tragique ». - Cependant, le roman, genre récent dans l’histoire du théâtre, est poreux aux autres genres. Il hérite de la poésie (l’épopée antique ou médiévale), il est influencé aussi par le théâtre, que ce soit la comédie ou la tragédie, le genre « noble » au XVIIIème siècle. - De même, les genres évoluent en ce début de XVIIIème siècle : le théâtre va vers le drame larmoyant ou sérieux, les frontières absolument imperméables entre comédie et tragédie au XVIIème siècle commencent à s’assouplir. Quant au roman, genre encore neuf, le roman sentimental comme celui de PRÉVOST est en vogue à cette époque. « Sentimental », « Larmoyant », « drame »… On voit que les deux genres s’influencent l’un l’autre, en tant qu’expression du goût, de la sensibilité d’une époque. - Autre élément à relever et qui brouille aussi les repères, la question envisage que le roman emprunterait à la fois à la comédie et à son opposée, la tragédie. Non seulement les frontières entre genres se brouillent, mais aussi entre deux univers qu’a priori tout oppose, la comédie et la tragédie ! - Rappeler quelles sont les caractéristiques d’une tragédie, d’une comédie classiques. - Il s’agit donc d’observer la construction de l’intrigue (temps, action), les personnages, le ton de l’œuvre, le langage, le point de vue porté par le narrateur sur ce qu’il raconte, et ne pas oublier les réactions du lecteur que nous sommes (puisque le narrataire n’expose pas son point de vue, si ce n’est au départ, lorsqu’il rencontre le couple des deux amants). - La question est aussi de savoir si les deux plateaux de la balance sont équilibrés, si les deux genres sont présents de façon équilibrée… Quel est celui qui prédomine, lors d’une première lecture ? A priori, c’est le tragique qui semble s’imposer : descente aux enfers des deux amants, mort de l’héroïne, décadence morale… Le héros annonce dès le départ l’issue tragique de sa passion amoureuse. Il se sait conscient du caractère fatal de sa relation, sans pouvoir y résister… Toutefois, certains passages du roman relèvent bel et bien du genre comique ; nos deux héros, en quête de plaisir, aiment rire aussi !... Mais le comique se limite-t-il à de simples parenthèses dans un roman tragique ? Le comique entre-t-il en opposition avec le tragique ? Quels liens se créent entre ces deux genres ? En quoi se renouvellent-ils l’un l’autre ? En tout cas, la conjonction de coordination « ou » dans la question n’est pas sans poser problème : « ou » exclut, l’alternative invite à opérer un choix, alors que les deux genres semblent COEXISTER dans l’œuvre. - Formulation d’une problématique : En quoi le roman Manon Lescaut est-il une œuvre COMPLEXE, qui fait appel à la fois au tragique et au comique ? INTRODUCTION PLAN (comparatif et dialectique!) I. Le roman est construit selon un dispositif tragique. 1. DG ne cesse de se dire le jouet du sort, de la fatalité, de Dieu. Son amour est maudit, le ciel se joue de ses efforts pour être heureux et frappe lorsqu’il s’y attend le moins. « L’ascendant de (sa) destinée » est invoqué lors de la rencontre d’Amiens. Trahi et poussé au vice, « par quelle fatalité, suis-je devenu criminel ! » s’écrie DG. En Amérique, il reconnaît « la colère du ciel », dans les obstacles survenus à leur mariage. Il n’est pas un seul propos de DG lorsque sa fortune se retourne qui ne fasse appel au ciel ou à la fatalité. Des personnages lui annoncent aussi un destin funeste : la vieille dame, lors de la rencontre avec Manon, Tiberge : « Il me menaça des châtiments du Ciel, et il me prédit une partie des malheurs qui ne tardèrent guère à m’arriver. » ; son père, figure du Dieu vengeur : « Va, cours à ta perte. Adieu, fils ingrat et rebelle. » (lors de leur dernière entrevue, au jardin du Luxembourg à Paris). 2. DG se dit impuissant face à une passion qui le dépasse et le dévore. Voir tous les revirements de DG quand il retrouve Manon après une de ses trahisons : la rancœur et le dépit cèdent très vite à une nouvelle déclaration d’amour. Voir après la trahison de Manon avec M. de B ou lors de leurs retrouvailles à l’hôtel du jeune G.M. DG se sait coupable, mais ne peut résister, ne peut lutter. Ce roman porte l’empreinte du jansénisme, courant extrêmement sombre du catholicisme (d’ailleurs combattu par le pouvoir royal au XVIIIème siècle) : c’est l’idée que l’homme naît pécheur, ne peut racheter cette faute originelle, quoi qu’il fasse dans sa vie. 3. DG ne cesse de vouloir mourir pour échapper à son destin tragique ou d’évoquer une mort inévitable: lors de l’enfermement dans la maison de son père (« Je résolus de mourir »), puis à l’Hôpital quand il apprend la décision de déporter Manon (« Je me suis délivré de la vie pour toujours »), après la trahison de Manon avec le jeune G.M. (« l’envie de se donner la mort »), en route auprès du chariot (« sur le point de tomber plusieurs fois dangereusement »), en Amérique, avant l’ultime entretien avec le Gouverneur (« Vous allez à la mort. Ils vont vous tuer. Je ne vous reverrai plus » lui dit Manon), sur le corps de sa maîtresse : « mon dessein était d’y mourir. » ; « J’attendis la mort avec impatience. » 198 Même le récit que DG fait à Renoncour est funeste (un mot qui revient beaucoup dans le roman) : « un récit qui me tue. » Manon elle-même aspire à la mort, que ce soit pendant la déportation ou à leur arrivée au Havre : « Mourons au Havre, mon cher Chevalier » 182 Finalement, c’est la vie même qui devient châtiment pour DG, condamné à vivre sans pouvoir rejoindre sa bien-aimée dans la mort. 4. L’issue du roman est celle d’une tragédie. Comme dans les tragédies de RACINE, un événement pathétique vient clore, « résoudre » la tragédie : la mort de l’héroïne Manon. II. Mais il comporte cependant une dimension comique. 1. Certaines « scènes » du roman sont de petites comédies à part entière ! - Le passage où la domestique fait attendre DG à la porte, alors que Manon reçoit son amant : une scène de farce ! - La scène où DG agresse physiquement M. de G… M… ne relèverait-elle pas du comique ou de la parodie ? Violence outrancière de DG, M. de G… M… rajustant ensuite sa perruque et sa cravate. Scène très visuelle ! - Manon à nouveau rit de la scène de séduction du fils de M. de G… M… : « Aussitôt qu’il fut monté en carrosse avec M. de T…, Manon accourut à moi les bras ouvertes, et m’embrasse en éclatant de rire. » 135 - Le fameux souper au cours duquel DG et Manon, complices, trompent le vieux G.M. est un vrai moment de comédie. Avec la complicité de Lescaut, DG y joue le frère de Manon, le rôle d’un écolier. La mise en scène mise au point par Manon et DG pour abuser M. de G… M…, véritable scène théâtrale : « pour nous donner le plaisir d’une scène agréable, en me faisant passer pour un écolier, frère de Manon. » 85 ; « pour empêcher ce vieux libertin de s’émanciper trop avec ma maîtresse. » ; Manon doit lui faire penser qu’il passerait la nuit avec elle, puis, au lieu de le suivre, sortir pour s’enfuir avec DG (après avoir reçu tous les présents de l’amant). Narrateur très ironique : « il assaisonna son présent de quantité de douceurs, dans le goût de la vieille Cour. » ; Mise en scène du repas, entrée de DG, qui fait deux ou trois profondes révérences à leur hôte. Il joue ainsi le bêta : « il est bien éloigné, comme vous le voyez, d’avoir les airs de Paris. » 85 ; comique de situation : le vieil amant donne des conseils de vertu à DG : « en me disant que j’étais joli garçon, mais qu’il fallait être sur mes gardes à Paris, où les jeunes gens se laissent aller facilement à la débauche. » 87 ; jubilation de Manon : « Manon, qui était badine, fut sur le point, plusieurs fois, de gâter tout par ses éclats de rire. » ; distance du narrateur sur cette « ridicule scène » 87 ; moment où l’amant apprend toute la vérité. - Une même complicité est à l’œuvre, lorsqu’il s’agira de duper le jeune G. M. dans la deuxième partie du uploads/Litterature/ manon-lescaut-dissertation-comique-tragique.pdf

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