Université de Novi Sad Faculté de Philosophie Département de langue et littérat
Université de Novi Sad Faculté de Philosophie Département de langue et littérature françaises Séminaire de littérature française: Mémoires d'Hadrien – un roman historique? Mentor: dr Tamara Valčić-Bulić Étudiant: Nataša Kerac 453/06 Novi Sad, mai 2010 Qu'est-ce qu'un roman historique? Les grands dictionnaires français nous offrent diverses définitions du roman historique. Selon le « Grand Robert », un roman historique est un roman dont l'intrigue est empruntée à l'Histoire. Pour le « Larousse », c'est un roman dont le sujet s'inspire, plus ou moins exactement, d'évènements historiques. Le roman historique apparait à la fin du XVIIe siècle avec « La Princesse de Clèves » (1678) de Madame de Lafayette et « Dom Carlos » (1672) de César Vichard de Saint-Réal1, mais il se développe surtout au XIXe siècle après « Ivanhoé » (1819) de Walter Scott. Cependant, beaucoup d'écrivains attaquent ce « nouveau genre » - Diderot le considère comme un mauvais genre parce que, selon lui, « [...] vous trompez l’ignorant, vous dégoûtez l’homme instruit, vous gâtez l’histoire par la fiction et la fiction par l’histoire.»2, Théophile Gautier l'appelle « la vérité fausse ou le mensonge vrai ». En ce qui concèrne la littérature française, elle commence à s'intéresser au roman historique au XIXe siècle avec les romantiques, le premier grand roman historique français étant « Cinq-Mars » (1826) d'Alfred de Vigny. Après Vigny, d'autres écrivains commencent eux aussi à en rédiger et parmi les grands classiques de la littérature française on peut trouver de bons exemples de romans historiques comme le sont « Notre-Dame de Paris » (1831) de Victor Hugo ou « Salammbô » (1862) de Gustave Flaubert. Malgré toutes les critiques, le roman historique devient peu à peu un genre très à la mode, et interesse les lecteurs autant que les écrivains, surtout à notre époque. 1 http://fr.wikipedia.org/wiki/Roman_(littérature) 2 Dénis Diderot, « Essai sur les règnes de Claude et de Néron », 1821, tome II, p. 81 Mémoires d'Hadrien Ce roman, publié en 1951 à Paris, représente le sommet de la carrière littéraire de Marguerite Yourcenar (1903 – 1987) et lui vaut une réputation mondiale et l'entrée à l'Académie française (en 1980) comme la première femme à y siéger. Les « Mémoires d'Hadrien » sont les mémoires qu'aurait pu écrire Hadrien (76 - 138), l'empereur romain. Ils sont divisés en six parties qui portent chacune un titre et décrivent une partie de sa vie: 1) Animula vagula blandula («Petite âme vagabonde et tendre») - La première partie est composée d'une lettre à Marc-Aurèle dans laquelle l'auteur se propose, pressentant sa mort (il souffre d'une hydropisie du cœur), de former « le projet de [te] raconter ma vie »3. C'est une ouverture qui évoque tous les thèmes principaux du livre. 2) Varius multiplex multiformis («Varié, multiple, changeant») - La deuxième partie couvre la longue période allant de son enfance à son inauguration en empereur. Y sont dépeints sa formation, les débuts de sa carrière militaire, ses premières pensées politiques. En bref, c'est un brouillon de sa vie future. 3) Tellus stabilita («La Terre ferme») - D'un côté, on voit Hadrien qui, devenu empereur, cherche à établir la paix dans son empire, à trouver un équilibre entre le centre (Rome) et la périphérie (les provinces). De l'autre côté, on voit son entrée dans la vie spirituelle, le déchiffrement des astres et les diverses étapes de l'ascension au mysticisme. 4) Saeculum Aureum («Siècle d'or») - Cette partie nous présente les fruits de la paix: le développement de l'empire et le développement de la vie intime d'Hadrien ne font plus qu'un – la politique de pacification réussie lui apporte une récompense intérieure sous forme d'un grand amour pédérastique avec Antinoüs, berger de Bythinie. Mais ce bonheur est brutalement détruit par la noyade dramatique d'Antinoüs (il s'est suicidé) à cause de laquelle Hadrien sombre dans une crise spirituelle. 5) Disciplina Augusta («Discipline auguste») - Après avoir épuisé les plaisirs et la douleur, il ne lui reste que la discipline qu'il applique à l'empire et à sa personne, continuant le parallélisme entre l'ordre du monde et l'ordre de la vie intime. Les seules choses qui l'interessent sont désormais sa succession et sa mort qu'il affronte stoïquement. 6) Patientia («Patience») - La seizième partie sert d'épilogue, dominée par l'attente de la mort et par les efforts de maintenir stable un monde achevé. 3 Marguerite Yourcenar, « Mémoires d'Hadrien » (Paris: Gallimard, 1951), p. 29 Mémoires d'Hadrien – un roman historique? Le titre nous dit que ce sont des « mémoires », mais c'est plus complexe que cela de déterminer le genre de ce livre. D'abord, le titre n'est pas conforme au début de l'oeuvre – les premiers mots du récit sont «Mon cher Marc»4, ce qui nous montre qu'il y a un destinaire, et que c'est plutôt une lettre. Mais comme le récit procède, on ne trouve pas si souvent des mentions de ce destinataire, elles sont rares et éparses, et le contenu devient autobiographique, écrit à la première personne du singulier, nous présentant la vie d'un grand personnage de l'Histoire, respectant la tradition des mémoires. Le problème est qu'Hadrien n'a pas écrit des mémoires, ceux-ci sont l'œuvre de Marguerite Yourcenar, créée par sa fiction, à cause de quoi on peut parler des mémoires imaginaires/mémoires apocryphes. Si l'on analyse ces « mémoires apocryphes » selon les définitions du roman historique qu'on a citées, on pourrait dire que c'est un roman historique: c'est une reconstruction du passé qui décrit les aventures d'un grand homme dans un moment unique de l'Histoire, antérieur à la vie de l'auteur, mais qui contient cependant une quantité significative de fiction. En vraie historienne, Marguerite Yourcenar crée une reconstitution minutieuse, grâce à sa connaissance des langues anciennes, à son grand intêret pour les civilisations grecques et latines, aux nombreuses recherches qu'elle a faites (voir dans le paragraphe suivant), et à une lente maturation de la matière à écrire – elle l'écrivait et la réécrivait pendant trente ans, (« Faire de son mieux. Refaire. Retoucher imperceptiblement encore cette retouche. »5) jusqu'à ce qu'elle-même n'avait atteint sa maturité, ce qu'elle avoue dans les « Carnets de notes » qui suivent le roman: « Il est des livres qu'on ne doit pas oser avant d'avoir dépassé quarante ans.»6 Dans la « Note », elle nous donne l'arrière-fond historique pour chacun des personnages présentés dans le roman, même pour ceux qui n'y jouent pas un rôle très important. Elle explique aussi pourquoi elle a choisi de les mentionner, de les inclure dans le récit, pourquoi ils sont importants pour Hadrien, à quelle manière ils ont influencé sa vie et son œuvre. Elle le fait même pour les évènements historiques qu'elle décrit – les guerres que Trajan avait faites, les révoltes en Israël, la guerre de Palestine etc. Et, ce qui est peut-être la plus grande importance de cette « Note », on y trouve toutes les sources que Marguerite Yourcenar a consultées pour pouvoir écrire ce roman. Comme elle le dit, « Le lecteur trouvera [...] une liste des principaux textes sur lesquels on s'est appuyé pour établir ce livre. »7, et c'est une longue liste qui 4 Marguerite Yourcenar, « Mémoires d'Hadrien » (Paris: Gallimard, 1951), p. 11 5 Ibid., p. 345 6 Ibid., p. 323 7 Ibid., p. 349 comprend une centaine de documents de toutes sortes - livres, articles, essais, publications, lettres, poèmes, inscriptions, revues... Ils sont écrits en diverses langues – française, anglaise, allemande, latine, grecque, italienne, et la plupart d'entre eux sont très difficiles à trouver, rares, antiques. Il est important de souligner que cette « bibliographie » massive a été indispensable pour pouvoir mieux connaître Hadrien et pour pouvoir reconstruire le plus fidèlement sa vie, sa pensée, pour comprendre ce qu'il aimait faire, quelles arts l'intéressaient, quels étaient ses musiciens, ses écrivains et ses poètes préférés, de quelle maladie il est mort. Seulement ainsi a-t- elle pu réaliser son projet. Cependant, entre l'Histoire officielle et la vie réelle, intime, existe souvent une grande différence. Si l'histoire est écrite par les vainqueurs, il n'y a presque pas de moyen de savoir la vérité, ne voyant qu'un côté de la médaille. Ce qui reste d'invisible, cet autre côté, on peut essayer de l'explorer, de trouver les faits peu connus, ou on peut utiliser notre imagination. Marguerite Yourcenar a choisi de faire tous les deux, d'agir à la fois en historienne et en écrivaine, d'expérimenter avec cette Histoire inconnue, secrète, afin de jeter de la lumière sur ce grand personnage qu'elle a choisi de décrire, sur cet « homme presque sage »8. Elle a voulu « refaire du dedans ce que les archéologues du XIX siècle ont fait du dehors »9. Comme on a déjà vu, les recherches que Marguerite Yourcenar a faites sont nombreuses et minutieuses, donc, l'historienne a fait un excellent travail. Mais la romancière est allée encore plus loin. Pour pouvoir entrer dans la tête d'Hadrien, elle a développé une technique presque télépathique, qu'elle a définie dans les « Carnets » : « Un pied dans l'érudition, l'autre dans uploads/Litterature/ memoires-d-x27-hadrien-un-roman-historique 1 .pdf
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- Publié le Nov 26, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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