LE RÉFÉRÉ FAKE NEWS, NÉCESSITÉ OU GADGET ? ISBN : 978-2-8143- © 2019 PUN – Édit

LE RÉFÉRÉ FAKE NEWS, NÉCESSITÉ OU GADGET ? ISBN : 978-2-8143- © 2019 PUN – Éditions Universitaires de Lorraine 42-44, avenue de la Libération – BP 50858 – 54011 NANCY CEDEX En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l'éditeur ou du Centre Français d'exploitation du droit de Copie ( CFC ), 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. LE RÉFÉRÉ FAKE NEWS, NÉCESSITÉ OU GADGET ? Études pluridisciplinaires sous la coordination de Sylvie Pierre-Maurice Presses Universitaires de Nancy – Éditions Universitaires de Lorraine 5 Préface Yves Strickler Professeur à l’Université Côte d’Azur, CERDP – EA n° 1201 [1] C’est avec un grand plaisir que j’écris ces quelques lignes en ouverture de l’ouvrage, fruit de la manifestation scientifique organisée par Sylvie Pierre-Maurice alors en poste à l’Université de Lorraine et désormais à l’Université de Strasbourg dans le but d’y assurer une relève que l’on augure porteuse en ce lieu qui a laissé émerger tant de spécialistes de procédure civile. [2] Le thème retenu est l’article L. 163-2 du Code électoral tel qu’issu de la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information. Ce dispositif vient s’attaquer à toute allégation qui serait inexacte ou trompeuse, diffusée massivement, artificielle et délibérée, qui risque d’altérer la sincérité d’un scrutin. Ces infox, ou fake news ( qui vont bien au-delà des hoax ), ne cessent d’inquiéter en termes de respect de la démocratie. Partant de ce constat, le Président Macron a annoncé au début de l’année 2018 qu’une loi interviendrait sur ce sujet. La chose est faite. Elle s’en est suivie d’une manifestation scientifique s’étant donnée pour visée d’étudier cette nouveauté législative et pour ambition de savoir si le dispositif nouveau était une réelle « nécessité » ou s’apparentait en réalité à un « gadget » ? [3] Pour répondre à cette audacieuse mais légitime interrogation, les contributions ici réunies permettent de croiser utilement les regards, 6 Le référé fake news, nécessité ou gadget ? avec l’apport de la science politique ( manifestation de l’ère post-vérité ), du droit de la communication ( pouvoirs de rumeur et de nuisance des réseaux sociaux ), du droit de l’Union ( lutte contre la désinformation au sein de l’UE ), du droit substantiel interne ( comparaison avec l’article L. 97 du Code électoral ) dont la thématique de la diffamation qui conduit forcément vers des interrogations de nature procédurale et, en écho civiliste, l’article 809 du Code de procédure civile. L’objet d’études retenu pour le colloque fait écho au Discours préliminaire sur le projet de Code civil et cette fameuse phrase de Portalis – que tout juriste a en mémoire : « Il ne faut pas de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires ». Mais on connaît moins cet autre extrait de ce texte admirable, particulièrement adapté à la question posée en exorde des échanges nancéens : « L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit ; d’établir des principes féconds en conséquence, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. C’est au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l’esprit général des lois, à en diriger l’application. » Partant, c’est par une analyse de droit comparé interne qu’est abordée l’apparition de cette nouvelle procédure, dans le but de vérifier l’intérêt réel outre sa dimension symbolique, de créer une voie de droit qui par sa nouveauté interroge sur l’unicité de la procédure de référé et l’effectivité de la création opérée, qui en est la condition de sa réussite. [4] Une autre condition de l’ancrage d’un mécanisme, qu’on le veuille ou que l’on puisse le regretter, réside dans sa dénomination. On sait combien « Les mots du droit sont des outils qui façonnent l’équilibre social et préservent les libertés »1 ; ils sont aussi, par leur caractère propre un moyen d’installer un dispositif… ou de le couler. Le souvenir d’un « Projet de loi d’orientation et d’urbanisme foncier » qui en son acronyme et sa courte existence, a fait PLOUF, émerge à nouveau… Le référé nouvellement né s’est rapidement vu proposer, pour appellation, celle de 1. M. Foulon et Y. Strickler, « Du danger de l’usage de l’expression “jugement définitif”, ( à propos de Cons. constit. 2 juin 2014, décis. n° 2014-398 QPC ) », Gaz. Pal. 21-23 déc. 2014, p. 11. 7 Préface « référé fake news ». En francisant et en allant vers le résultat recherché tout en réaffirmant un objectif affiché des procédures juridictionnelles, un premier réflexe aurait pu être de le baptiser « référé-vérité » puisque c’est elle que le mécanisme vise à rétablir ; mais le mot eut été excessif, car l’ambition plus modeste : il ne s’agit pas pour ce juge de proclamer une vérité en vérifiant scrupuleusement l’information qui circule, mais de faire cesser une diffusion d’allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir. « Référé-cessation » aurait alors pu convenir ; cela aurait été moins évocateur de l’objet de la procédure, mais aurait eu le mérite de rap- procher ce référé du référé de l’article 809 et son concept de dommage imminent qui soutient le tout. [5] Malgré la multiplicité des cas de référé, il est une constante qui se noue autour de deux idées : celle d’un droit évident méconnu d’un côté qu’il convient rapidement de rétablir ; celle d’ordonner sans délai une mesure d’attente, afin d’éviter un dommage, de l’autre. [6] Conservons néanmoins l’expression de « référé fake news » puisque c’est elle qui a été retenue. Ce référé est envisagé de manière plus restric- tive que le référé de l’article 809, ce qui finit de justifier une appellation particulière : il faut que « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir » aient été diffusées, et ceci « de manière délibérée, artificielle ou automa- tisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne ». L’intervention du juge est calée sur des périodes précises : celle de la diffusion de ces infox : « les trois mois précédant le premier jour du mois d’élections générales et jusqu’à la date du tour de scrutin où celles-ci sont acquises » autrement dit, le législateur a limité l’application de cette procédure à la période de campagne électorale ainsi définie2 ; celle du temps de réaction judiciaire : le juge doit se prononcer « dans un délai de quarante-huit heures à compter de la saisine » et, en appel de l’ordonnance qui sera rendue, la cour aura elle aussi à statuer « dans un délai de quarante-huit heures à compter de la saisine. » ( II du texte ). 2. V. aussi Cons. constit., Décision n° 2018-773 DC du 20 déc. 2018, Loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, § 19. 8 Le référé fake news, nécessité ou gadget ? Ce délai de 48 heures, a été estimé à la fois « très court pour opérer les vérifications nécessaires, mais très long, eu égard à la viralité des fausses informations »3, d’autant que durant ce temps, la vitesse du web aura pu relayer de manière important l’infox, car « l’action du juge, aussi rapide soit-elle, ne peut permettre de supprimer tous les contenus nocifs »4. En outre, s’il n’y a pas de souci pour un juge qui statue vite de se décider « sur les cas les plus flagrants », c’est là que « son intervention est la moins nécessaire »5. En revanche, si le juge estime que les conditions d’une mesure de cessation en vertu du texte ne sont pas remplies – et il peut s’agir d’un manque d’évidence quant au caractère inexact ou trompeur de l’information –, et qu’il déclare « n’y avoir lieu à référé », qu’en déduira le public ? L’information douteuse en sortira renforcée. Ce référé spécialisé présente un risque politique… qui sera manipulé avec la plus grande prudence… [7] Parmi les autres conditions du texte, il faut relever que tous ceux qui ont intérêt à agir ont qualité pour le faire, ainsi que le « ministère public », « tout candidat » et « tout parti ou groupement politique ». Il ne faut toutefois pas omettre le fait que la même loi a créé un article 33-1-1 dans la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication pour accorder un pouvoir comparable au CSA en indiquant que « Pendant les trois mois précédant le premier jour du mois de l’élection du Président de la République, des élections générales des députés, de l’élection des sénateurs, de l’élection des représentants au Parlement européen et des opérations référendaires, et jusqu’à la date du tour de scrutin où ces élections sont acquises, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, s’il constate que le service ayant fait l’objet d’une convention uploads/Litterature/ mep-refere-fake-news-v1 1 .pdf

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