José Domingues de Almeida, “D’un discours l’autre. Mise en contexte littéraire

José Domingues de Almeida, “D’un discours l’autre. Mise en contexte littéraire et culturelle des discours de Stockholm de Cl. Simon et J-M.G. Le Clézio”, Carnets, D’un Nobel l’autre..., numéro spécial automne-hiver 2010- 2011, pp. 41-49. http://carnets.web.ua.pt/ ISSN 1646-7698 D’UN DISCOURS L’AUTRE. Mise en contexte littéraire et culturelle des discours de Stockholm de Cl. Simon et J-M G. Le Clézio1 JOSÉ DOMINGUES DE ALMEIDA Universidade do Porto – ILC Margarida Losa jalmeida@letras.up.pt Résumé Une (re)lecture comparative des deux discours prononcés à Stockholm par les deux lauréats français du Nobel de la Littérature, Cl. Simon et J-M. G. Le Clézio, fait apparaître des contextes littéraires et culturels diamétralement opposés dans l’approche même de la fiction narrative, qu’il y a tout lieu de creuser pour mieux mesurer la distance et les mutations en cours depuis quelque vingt ans dans le champ de la production littéraire en français. Nous convoquerons, pour ce faire, les considérations tenues dans ces deux discours ; lesquelles portent un éclairage implicite à la caractérisation des enjeux liés à l’écriture française et francophone depuis deux décennies, et qui signalent un point de bascule dans la représentation que la littérature française se fait d’elle-même ou dans l’image que l’on s’en fait ailleurs. Abstract Comparative re-reading of both Cl. Simon and J-M. G. Le Clézio’s speeches at Stockholm Nobel prize reward ceremony makes it clear that there is a diametrically opposed approach of narrative fiction between them which allows us to measure the distance and mutation in process within French and francophone literary field for about twenty years. It also shows a changing point as far as the way France sees itself or is seen elsewhere is concerned. Mots-clés: Simon, Le Clézio, Littératrure, prix Nobel, contemporain, France Keywords: Simon, Le Clézio, Literature, Nobel Prize, contemporary, France 1 Cette communication a été élaborée dans le cadre du projet “Interidentidades” de L’Institut de Literatura Comparada Margarida Losa de la Faculté des Lettres de l’Université de Porto, une I&D subventionnée par la Fundação para a Ciência e a Tecnologia, intégrée dans le “Programa Operacional Ciência, Tecnologia e Inovação (POCTI)“, Quadro de Apoio III (POCTI-SFA-18-500). José Domingues de Almeida http://carnets.web.ua.pt/ 42 D’un Prix Nobel de la Littérature décerné à un écrivain français l’autre, les discours prononcés lors des cérémonies officielles trahissent ou congédient des tendances esthétiques, et expriment des soucis culturels, voire politiques, changeants, et dès lors très révélateurs de l‘image que la France se fait de sa (la) littérature, et que l’on s’en fait partout ailleurs. Une (re)lecture comparative des deux discours prononcés à Stockholm par les deux lauréats français du Nobel de Littérature, Cl. Simon et J-M. G. Le Clézio fait apparaître des contextes littéraires et culturels diamétralement opposés dans l’approche même de la fiction narrative, qu’il y a tout lieu de creuser pour mieux mesurer la distance et les mutations en cours depuis quelque vingt ans dans le champ de la production littéraire en français. Elle signale également une évolution quant à la substance de l’argumentaire théorique appliqué à l’utilité ou fonction de l’activité littéraire; production, réception et système confondus, et cautionne l’idée d’une quête infinie, et cent fois réélaborée, des raisons de l’écriture. Le Prix Nobel de Littérature décerné en 1985 au nouveau romancier Claude Simon marquait une reconnaissance et symbolisait un retrait. Une reconnaissance, dans le sens où Laurent Demoulin a interprété cet hommage: à savoir l’affirmation, à un moment où la littérature française s’engageait sur d’autres voies, et où le lauréat lui-même infléchissait son écriture à la faveur d’une tentative autobiographique, de l’incontournable supériorité et victoire de la Modernité littéraire sur l’Académie et la Tradition: Les Modernes, finalement, sont sortis vainqueurs de la querelle que leur cherchaient les Anciens. Non seulement ils ont obtenu la reconnaissance publique (s’il est trop peu lu, Rimbaud est tout de même plus célèbre qu’Albert Samain et, en 1985, le prix Nobel a couronné Claude Simon et non Henri Troyat), mais surtout ils ont réussi à mener à terme leur projet (Demoulin, 1997: 8). D’une certaine façon, cette attribution du Prix Nobel de Littérature à l’auteur de L’Acacia représente une charnière dans les représentations et les discours de la littérature française sur elle-même et coïncide avec l’expression d’un renouveau pensé par le biais des figures de la rétractation, de l’infléchissement et du retour (régression), avant d’assumer le “dépli” du texte sur le monde après son “repli”, comme l’a souligné Sémir Badir (1993); un renouveau auquel les nouveaux romanciers ne sont guère étrangers. En effet, au moment même où Claude Simon fait l’éloge de la modernité, des auteurs ayant considérablement contribué au “travail de la langue” et à l’intransitivité de l’écriture, amorcent un mouvement évolutif, de “dépli” (auto)référentiel, d’ouverture sur la représentation, le monde et le sujet; ou bien renient carrément leurs assurances modernes D’un discours l’autre http://carnets.web.ua.pt/ 43 de naguère. Ainsi, la critique souligne les signes de tarissement d’une certaine conception intransitive et “déconstructive” de l’écriture romanesque ou, autrement dit, un point de non- retour dans l’aventure textuelle d’où les écrivains ne pourraient sortir que par un “dépli” et un compromis avec la représentation, au risque d’une moins-value esthétique et hermétique au moment de leur parution (Demoulin, 1997: 8). Demoulin constatera que “la logique du comble est arrivé à un point de non-retour” (ibidem), et Badir (1999: 254), avec Compagnon, que “le Bourgeois ne se laisse plus épater” (1990: 7) et qu’un seuil critique a été atteint où le jeu d’un improbable effet esthétique ne vaut plus la chandelle du travail de surinvestissement intransitif. Il s’agit d’Eden, Eden, Eden de Pierre Guyotat, Paysages de ruines avec personnages de Danièle Sallenave et Louve basse de Denis Roche, que Bruno Blanckeman qualifie de “derniers des grands ‘mécrits’ textuels” (Blanckeman, 2000: 13s.). De même, en 1975, les milieux littéraires parisiens s’étonnent de voir l’auteur de Le Degré zéro de l’écriture passer aux confidences, à l’autocritique et à l’anecdote, et s’adonner au “plaisir” du texte. L’heure est aux affirmations hypothétiques, aux tâtonnements théoriques comme en témoigne cette notion tardive du texte recevable, “texte ardent” que Roland Barthes place à côté du texte lisible et du texte scriptible (Barthes, 1976: 143). En 1983, c’est au tour de Philippe Sollers de se rétracter et de choisir le genre romanesque. Femmes, roman davantage “figuratif”, entérine le passage de Sollers de Tel Quel à L’Infini et confirme un tournant à 180 degrés vers le récit et “la vérité romanesque” (Hollier, 1993: 1021). Denis Hollier livre un commentaire métaphorique de ce roman par lequel, une fois franchies les limites, Sollers renouerait avec le plaisir de la fiction. Selon lui, Femmes mettrait en fiction l’”embarcation de la fiction même” (idem, 1022) vers une contrée improbable; “une percée hors de la finitude française” (ibidem); celle d’une période et d’une époque littéraires qu’il s’agit de congédier à présent. En 1984, Alain Robbe-Grillet publie un texte qui, au dire de son auteur, mûrissait depuis quelques années. L’heure, il est vrai, est aux rétractations, aux mises à jour et aux bilans. Le nouveau romancier n’y échappe pas, étant donné “la soumission moqueuse [de l’écriture] aux préoccupations du moment” (Robbe-Grillet, 1984: 9). Dans la foulée des “retours à”, Robbe-Grillet insinue ne prétendre qu’à une “relève” (ibidem), mais, venant de lui, le mot en dit long sur la mutation en cours. Puis vint cet aveu, que d’aucuns liront comme une trahison: “Je n’ai jamais parlé d’autre chose que de moi. Comme c’était de l’intérieur, on ne s’en est guère aperçu” (idem, 10). Cet aveu contrariait trois décennies hostiles au moi, à la psychologie du personnage et à la représentation. Le fait qu’Alain Robbe-Grillet et d’autres nouveaux romanciers passent à José Domingues de Almeida http://carnets.web.ua.pt/ 44 l’autobiographie de façon tout aussi surprenante atteste le bien fondé des propos de Jean- Pierre Salgas. La tentation autobiographique et confidentielle correspond bel et bien à “ce qui reste quand tout a été déconstruit: l’auteur et ses masques” (Salgas, 1997: 14). L’appropriation postmoderne de Le miroir qui revient ne manquera pas d’y lire une oscillation ironique entre le dire et le dédire; un travail, en défiance, des données autobiographiques, du vécu et du regard jeté en amont (cf. Van Montfrans, 1986: 81-89) qui fait inévitablement en sorte que, à son tour, le lecteur soit légitimement tenté de “relire” autrement la production littéraire du Nouveau Roman, et la voie dotée “d’un sujet”, en déstructuration (Varga, 1986: 11). On a affaire à un retrait, si l’on considère les métamorphoses et le ressourcement de l’écriture et de la modernité à partir des années quatre-vingt, et l’émergence d’autres catégories, bien que contiguës, vis-à-vis de l’héritage littéraire moderne, que ce soit le roman minimaliste, l’autofiction ou toutes les modalités postmodernes d’approche du récit. Dans ce contexte, Le discours de Stockholm de Cl. Simon (1986) entend non pas dresser le bilan de l’état des lieux en regard du passé, mais plutôt, profitant de la solennité de l’occasion, solder des comptes avec l’Académisme et l’Engagement. Implicitement, toutefois, le discours tient déjà compte de la nouvelle donne fictionnelle qui s’installe à ce moment. Le roman réaliste de type balzacien se voit directement visé par uploads/Litterature/ mise-en-contexte-litteraire-et-culturelle-des-discours-de-stockholm-de-cl-simon-et-j-m-g-le-clezio.pdf

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