Chapitre premier La modalité formulaire du chant grégorien 1. Les tons de lectu
Chapitre premier La modalité formulaire du chant grégorien 1. Les tons de lecture La lecture publique des textes sacrés constitue un élément essentiel de l’office religieux chrétien. Le chant y joue un rôle important, mais secondaire : il est le moyen d'obtenir une diction claire et intelligible du texte et de rendre celui-ci audible dans une salle qui peut être de grandes dimensions. Le principe général est la lecture recto tono, sur une seule note appelée tenor (que l’on traduit parfois en « teneur » 1), complétée par des inflexions mélodiques qui marquent la ponctuation. Ce système peut s’adapter à n’importe quel texte. Le Graduel, le livre qui contient les chants de la messe, propose divers exemples de tons de lecture. L’exemple 1 montre un ton pour la lecture de l’Épître : Exemple 1 : Ton de lecture pour l’Épître, d’après le Graduale, Abbaye de Solesmes, 1974, p. 804-805. Il s’agit ici de l’exemple fourni à l’intention des prêtres, qui l’adapteront aux différentes Épîtres qu’ils peuvent être amenés à chanter. Le texte n’est qu’un fragment, établi de telle sorte qu’il présente toutes les formules mélodiques nécessaires. La note de récitation est le do. Les formules mélodiques de ponctuation sont au nombre de quatre : — le point final est la formule de fin de phrase (point dans le texte, barre de mesure normale). Elle est utilisée d’abord pour la lecture du titre de l’Épître : deux variantes sont proposées, l’une pour ad Hebraeos (« aux Hébreux »), l’autre pour ad Galatos (« aux Galatéens »), qui diffèrent en fonction du nombre de syllabes et de la position des accents latins (ce point ne sera pas examiné ici) ; — le metrum, pour les césures internes des phrases (point-virgule dans le texte, petite barre de mesure dans la notation musicale) ; 1 On donne parfois à la note de récitation le nom de « dominante », qui sera évité ici en raison des confusions qu’il peut produire. 8 THÉORIE MODALE — la flexa, pour des césures de moindre importance (virgule ou deux-points dans le texte, petit trait dans la notation) ; il n’y a pas à proprement parler de formule mélodique dans ce cas-ci, mais la ponctuation doit se marquer par un ralentissement ; — l’interrogatio pour les phrases interrogatives (point d’interrogation dans le texte, barre de mesure normale) ; — la Terminatio pour la fin de l’Épître ; Le Graduel propose de nombreux autres tons pour divers types de lectures : pour les oraisons, les lectures des Prophètes, les Épîtres, les Évangiles, etc. Dans tous les cas, il appartient au prêtre d’adapter les formules proposées aux textes particuliers qu’il doit réciter. 2. Les tons psalmodiques Les tons utilisés pour le chant des psaumes ne diffèrent pas dans leur principe des autres tons de lecture. Ils possèdent néanmoins quelques particularités remarquables et, surtout, paraissent avoir joué un rôle essentiel dans l'élaboration des modes. Les psaumes de David, au nombre de 150, sont des poèmes formés de versets constitués chacun de deux membres de phrase sémantiquement apparentés 2. Souvent, le premier membre comporte une césure interne. Cette structure détermine a priori quatre formules mélodiques de ponctuation : — l’initium ou intonatio, pour le début des versets ; — la flexa, pour la césure interne du premier membre de phrase ; — la mediatio, pour la fin du premier membre ; — la terminatio, pour la fin du second membre. Les tons psalmodiques sont au nombre de huit 3. Ils sont décrits dans l’Antiphonaire, le livre des Offices monastiques. L’exemple 2 ci-dessous montre la description du premier ton. La note de récitation est la. Le texte est mnémotechnique ; il se traduit comme suit : « Le premier ton commence ainsi, fait sa flexa ainsi, sa médiation ainsi, et se termine ainsi ». La formule d’intonatio est donnée sur le mot Primus, la flexa sur flectitur 4, la médiation sur mediatur. Dix terminaisons sont proposées, sur les mots atque sic finitur ; une lettre au-dessus de la portée indique chaque fois la dernière note ; elles sont appelées differentiae. Les deux premières ne sont que des variantes l’une de l’autre, se terminant sur D (ré) ; la deuxième variante est marquée alio modo ad libitum, « autre manière au choix ». Les autres terminaisons sont introduites par la rubrique Aliae Differentiae, « autres différences », et marquées D2 (2 e terminaison sur ré), f (sur fa), g, g2 et g3 (trois terminaisons sur sol), a, a2 et a3 (trois terminaisons sur la). Un commentaire ajoute : « Au lieu de la différence g2, on peut utiliser ad libitum la diff. g et au lieu de la différence a3 la diff. a2 ». L’exemple 3 rassemble les formules des huit tons psalmodiques. Pour chacun, une seule terminatio (differentia) est donnée, mais un chiffre entre parenthèses indique combien il y en a au total. 2 Dans les cas les plus simples, le lien entre les deux membres est un lien de synonymie (le même contenu est exposé de deux manières différentes) ou d’antithèse (le second membre contredit le premier). Dans des cas plus complexes, le second membre complète le premier ou établit une gradation ascendante par rapport à lui. 3 Outre la psalmodie antiphonale des Offices monastiques, il faudrait discuter aussi d’autres groupes psalmodiques, notamment ceux des cantiques des Offices et ceux de la Messe, en particulier l’introït et les communions, ainsi que les grands répons et les psaumes invitatoires chantés à Matines. La plupart de ces groupes connaissent aujourd’hui encore ou ont connu huit tons. Mais une discussion détaillée de ces cas appartiendrait plutôt à une histoire du chant liturgique qui n’est pas nécessaire ici. On trouvera une description des tons des cantiques et de ceux des introït à l’article « Psalm » du New Grove, qui donne en outre, pour les psaumes et les cantiques, la description la plus ancienne des tons, celle de la Commemoratio brevis de tonis et psalmis modulandis (vers 900, GS I, p. 213). Voir aussi plus loin, le paragraphe 5 consacré à la modalité des autres mélodies. 4 Une note de bas de page précise que « la flexa se fait normalement comme noté ici, en abaissant simplement la voix. Cependant, si l’on préfère, elle peut se faire sur la note de récitation, avec un petit arrêt » ; plus loin, dans un texte non reproduit, il est précisé que la flexa se fait sur la note de récitation lorsqu’elle se chante sur une seule syllabe. LA MODALITÉ FORMULAIRE DU CHANT GRÉGORIEN 9 Exemple 2 : Premier ton psalmodique, d’après le Liber antiphonarius, Rome, 1912, p. 4*-5* (notation moderne du chant grégorien, sur une portée à quatre lignes ; la clé est une clé d’ut 4 e ligne ; les points liés indiquent des notes qui se chantent sur la même syllabe). Exemple 3 : Les huit tons psalmodiques. 10 THÉORIE MODALE 3. Le chant des psaumes Diverses dispositions antiphonales ont été pratiquées, réglant la participation alternative du ou des solistes et de l’assistance. Dans certains cas, chacun des versets du psaume était chanté d’abord en solo, puis repris par tous. Dans d’autres cas, le premier membre de chaque verset était chanté en solo, le second par l’assistance. Ou encore, les solistes ne donnaient que le début de chaque verset, continué par tous. Souvent, après chaque verset chanté en solo, l’assistance reprenait un refrain qui pouvait être, suivant les cas, le premier verset du psaume, un alléluia ou une mélodie libre appelée antienne. C’est ce dernier usage qui a prévalu. A l'origine, l'antienne n'était souvent que l'un des versets du psaume, par exemple le premier, choisi comme refrain et chanté selon le même ton que les autres versets. L'antienne est devenue ensuite un texte indépendant, chanté sur une mélodie distincte de celle du ton psalmodi- que. Au haut Moyen Âge, l'antienne était chantée après chaque verset de psaume. Plus tard, on ne l'a plus chantée qu'au début et à la fin. Aujourd'hui, on ne chante généralement plus au début que le ou les premiers mots de l'antienne, qui n'est complète qu'à la fin du psaume. D'autre part, il est d'usage, probablement depuis l’origine hébraïque de la psalmodie, d'ajouter avant la dernière antienne deux versets de texte fixe, la doxologie, dont le texte latin est : Gloria Patri et filio : et spiritui sancto, Sicut erat in principio et nunc et semper : et in saecula saeculorum. Amen. (Gloire au Père, au Fils et à l'Esprit Saint, Comme il était au commencement, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.) L’exemple 4 montre comment l’Antiphonaire donne les indications nécessaires au chant des psau- mes. On y trouve d’abord l’antienne, ici Laudabo Deum meum, avec sa notation musicale précédée de quelques indications chiffrées : « 5. Ant. » indique qu’il s’agit de la cinquième antienne chantée à cet Office ; « IV. E » signifie que cette antienne demande que le psaume soit chanté selon le quatrième ton et avec une terminatio sur E (mi). La terminatio elle-même uploads/Litterature/ modalite-formulaire-du-chant-gregorien.pdf
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- Publié le Mai 16, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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