préconisait-on la sodomie pour préserver la vir- ginité des jeunes flles, un ta
préconisait-on la sodomie pour préserver la vir- ginité des jeunes flles, un tabou que l’auteure évoque à travers les cauchemars d’Alma). Le premier crime de ce régime fut le slogan “Au plus près du peuple”, qui signifait en fait qu’il fallait surveiller et épier les individus, les traquer jusqu’à la tombe pour en faire des propriétés du Parti. Le deuxième fut la mutilation de la langue albanaise, amputée pendant le communisme d’un de ses deux principaux dialectes, le guègue, parlé au Nord, au proft du seul tosque, parlé au Sud. Le personnage de Fran représente ce Nord exclu corps et âme pour rendre le pays plus malléable. Enfn, le troisième crime fut l’anéantissement du pouvoir de l’art, confsqué aux véritables artistes pour être donné aux masses endoctrinées par le socialisme réel. C’est encore un personnage originaire du Nord, Luiza Kodra, enceinte elle aussi, qui fnit à la morgue, assassinée pour qu’Alma, issue d’une famille de la nomenklatura communiste, puisse endosser son identité. L’avortement étant stric- tement interdit en Albanie, il fallait bien un sub- terfuge, fût-il criminel. D’autres personnages, comme le gardien de la morgue, incarnent la per- version d’un régime cherchant à construire un homme nouveau garant d’un honneur et d’une vertu de façade. Cet homme qui rôde parmi les cadavres et recoud les hymens est le gardien sym- bolique de ce régime. Alma et ses amis courent à leur perte non pas pour avoir commis un quelconque crime, mais pour l’avoir côtoyé. Peut-être leur seule faute est- elle d’avoir aspiré à plus de liberté et d’intimité dans ce panoptique où Big Brother scrute les faits et gestes de chacun. “La maternité est la seule réa- lité qui échappe à la dictature”, expliquent à Alma deux femmes tsiganes, citoyennes de seconde zone. Alma, elle, a cette formule pour décrire la dictature albanaise : “Une société régie par une théorie particulière de la relativité, comme un train avançant à vitesse négative”. Halil Matoshi * Ed. Dudaj, Tirana, 2009. Pas encore traduit en français. ITALIE ■Créations vénitiennes N ous sommes en 1950. A Venise s’ouvre une exposition consacrée à Vittore Car- paccio (1460-1526), peintre de la Renais- sance qui illustra les gloires de la Sérénissime. Au même moment, toujours à Venise, Giuseppe Cipriani, fondateur du Harry’s Bar, qui est alors une référence pour la jet-set internationale, a un problème avec une amie, la comtesse Ama- lia Nani Mocenigo, à qui un médecin a décon- seillé de manger de la viande cuite. S’inspirant de la palette du peintre, Cipriani invente le car- paccio, un plat de fnes tranches de viande crue, du contre-flet de bœuf, qu’il assaisonne d’une sauce spéciale. On mangeait déjà de fnes tranches de bœuf cru de la race fassone, à Alba, dans le Piémont, mais à l’époque la région n’attirait pas de personnalités comme Ernest Hemingway, grâce à qui l’invention de Cipriani deviendra célèbre dans le monde entier. Au point qu’elle désigne aujourd’hui non seulement un plat, mais aussi une façon de préparer les ali- ments crus, qu’il s’agisse de poissons comme le bar ou de fruits comme l’ananas. Et c’est ainsi que le carpaccio est devenu un symbole de la nouvelle cuisine italienne. Tout aussi génial que Cipriani, un autre Véni- tien, l’artiste Maurizio Cattelan, invente en 1994 pour une exposition au musée d’Art contemporain du château de Rivoli, près de Turin, une installation (un tapis) copiant l’em- ballage du Bel Paese, célèbre fromage de la marque Galbani, représentant la carte de l’Ita- lie et le visage de Christophe Colomb. Une façon ironique de revisiter l’identité de notre pays en partant d’un aliment. Cela fonction- nera tellement bien que Cattelan et son ins- tallation deviendront dans le monde entier un symbole de l’art contemporain italien. Rocco Moliterni, La Stampa, Turin Carpaccio de bœuf ■Ingrédients (pour 4 personnes) 400 g de tranches très fines de filet de bœuf, 2 poignées de roquette, 4 artichauts poivrade, 60 g de copeaux de parmesan, le jus d’un citron, 1 filet d’huile d’olive, sel fin et poivre du moulin. ■Préparation Disposer les tranches de bœuf directement sur un plat de service en les décalant un peu. Assaisonner de sel et de poivre, d’un peu de jus de citron et d’un filet d’huile. Réserver. Retirer les premières feuilles des artichauts poivrade, couper les pointes des feuilles aux deux tiers et ôter, au besoin, le foin à l’intérieur. Les émincer, les citronner et les faire revenir dans une poêle avec un peu d’huile pendant dix minutes à feu doux. Lorsqu’ils sont tendres, mélanger dans un saladier avec la roquette, les copeaux de par- mesan et une cuillerée à soupe d’huile d’olive, saler et poivrer, bien mélanger. Servir en dépo- sant la salade de roquette et les artichauts au centre du plat sur le carpaccio de bœuf. (Recette d’Anne-Sophie Destemberg) é p i c e s e t s a v e u r s KOHA DITORE (extraits) Pristina L e premier roman de Klara Buda, Kloroform* [Chloroforme], aide à comprendre comment la narcose de la dictature pénètre l’esprit des citoyens et les endort pour toujours. L’au- teure dépeint dans ce livre une dictature brutale, qui broie successivement l’intimité, la pensée, la culture, les opinions divergentes et fnit par anéantir jusqu’à la chair humaine – un système machiste qui supprime les femmes pour pré- server sa propre immoralité. Le tout est écrit dans un style souvent proche de celui de Herta Mul- ler ou du percutant J.M. Coetzee. L’histoire met en scène un groupe d’étu- diants qui, pour ne pas se laisser happer, trouve refuge dans une société secrète. On pourrait pen- ser qu’ils fomentent quelque chose, mais non : ils se contentent de s’enfermer dans leur monde pour tenter de s’isoler du système. Ces jeunes écoutent du rock en refaisant gentiment le monde, barricadés derrière des fenêtres obs- truées par des couvertures, comme pour atté- nuer la violence barbare de la voix officielle dif- fusée par les haut-parleurs. “LA MATERNITÉ EST LA SEULE RÉALITÉ QUI ÉCHAPPE À LA DICTATURE” La narration oscille entre le journal intime d’Adrian – l’un des personnages principaux, miroir fdèle de la mentalité de ses concitoyens – et les monologues intérieurs d’autres personnages, souvent laissés en suspens. L’autocensure stoppe la parole, suspend les phrases, interrompt le courant de conscience qui apparaît en italique dans le livre. Comme si ces gens vivaient dans une sorte de brouillard ou de vapeur étouffante. C’est ainsi que la dictature étourdit les indi- vidus avant de les endormir. Le personnage d’Alma l’éprouve dans sa chair. Contrainte d’avorter, elle se retrouve entre rêve et réalité, délirant et fustigeant la morale dominante empreinte de fausseté et d’hypocrisie (ainsi Sous anesthésie UNE GÉNÉRATION PERDUE Dans l’Albanie des années 1980, un groupe d’étudiants cherche en vain à se préserver des méfaits du régime communiste d’Enver Hoxha. Le premier roman de Klara Buda. ■Biographie Née en 1964 à Elbasan, dans le centre de l’Albanie, Klara Buda a fait des études de lettres modernes à la Sorbonne et d’histoire de l’art à l’Ecole pratique des hautes études de Paris. En 1998, elle entre à la division de la communication de l’UNESCO, puis rejoint, l’année suivante, Radio France Internationale (RFI), dont elle dirigera le service en langue albanaise jusqu’à sa suppression, début 2010. Kloroform est son premier roman. le livre ● COURRIER INTERNATIONAL N° 1023 54 DU 10 AU 16 JUIN 2010 Et tout s’éclaire Les retours du dimanche avec Caroline Broué et Hervé Gardette dimanche 18h-19h avec la chronique de Courrier International franceculture.com Photo : C. Abramowitz Adrian Parfené uploads/Litterature/ une-ge-ne-ration-perdue-sous-anesthe-sie-chloroforme-kloroform-klara-buda-courrier-international-1023.pdf
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- Publié le Fev 09, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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