RECHERCHES SUR LES SOURCES DU DISCOURS DE UINÉGALITÉ [oTRE but est d'expliquer

RECHERCHES SUR LES SOURCES DU DISCOURS DE UINÉGALITÉ [oTRE but est d'expliquer la formation du Discours de l'Inégalité. Cette étude com- prend deux parties. D'abord, nous repla- çons Rousseau dans le milieu intellectuel vivant où il pensait et réagissait. On peut dire que Condillac et Diderot sont, à ce moment, les deux écri- vains avec lesquels Rousseau est le plus lié et dont il subit le plus l'influence ^ Les influences vivantes pous- sent Rousseau à certaines lectures de livres déjà an- ciens. C'est la question des sources «livresques», qui formera la deuxième partie de cette étude -. * Nous constaterons des sources « livresques»; des influences ; des états d'esprit identiques; des développements imprévus de germes très pe- tits; nous parcourrons la gamme des déformations volontaires ou invo- lontaires que subissent les idées en passant d'un esprit dans un autre ; la parole exprime plus d'idées que le livre. Diderot discourant sur Vln- terprétation de la nature dut dépasser son ouvrage, remplaçant les hypothèses par des affirmations et surtout mêlant au livre actuel les préoccupations du livre prochain, et peut-être ses conclusions. 11 serait cependant d'une mauvaise méthode de substituer au livre réel, que nous tenons, un livre parlé hypothétique. Pour nous, le bilan d'idées de Condillac est constitué uniquement par tout ce qu'il a écrit avant cette date. Les ouvrages postérieurs ne servent qu'à éclairer et non à aug- menter ce système d'idées. 2 Ici les rapports d'expressions, de vocabulaire, sont les seules preu- ves d'une lecture. Nous ne prétendons pas faire ici un dénombrement I20 ANNALES DE LA SOCIETE .1. J. ROUSSEAU Diderot et le Discours de l'Inégalité. Y eut-il insertion de morceaux composés par Diderot dans le Discours de Rousseau? Y eut-il seulement des indications générales^ données par Diderot à Rousseau ? Nous tenons pour la seconde hypothèse. Première hypothèse : Sa critique. Tout est dit sur la conversation de Diderot. Il était dans un perpétuel état «d'incandescence^»; s'emportant sur n'importe quel sujet, il construisait en une heure le plan d'un livre. En 1754, devant le président De Brosses, il discourt pendant quatre heures, avec « quel- ques digressions. » Ses bavardages sont la cause de son emprisonnement : le mouchard Perrault l'a en- tendu chez son logeur (kiillot parler avec « mépris des saints mistaires (sic) de notre religion^». Le Curé de St-Médard, Hardy, fournit sur lui une dénonciation en règle, mais reconnaît a que sa conversation est des plus amusantes.» Il a une sorte de manie pédagogique. C( C'est un philosophe qui instruit la jeunesse*.» Dans l'Encyclopédie, il professe. Aussi est-il un furieux don- complet. Nous connaissons les lacunes de ce travail. L'influence de Montesquieu est laissée de côté, celle de Hobbes indiquée, celle de Montaigne dispersée. Nous avons seulement voulu donner les premiers éléments d'une étude explicative. ' Schérer, Diderot, p. 45 et sq. * Bibl. Nat. ms. l'iii n. a. fr. * M"« de L'Espinasse, citée par Schcrcr, p. 4.5. SOURCES DU DISCOURS DE L INEGALITE 121 neur de conseils, mais il s'en tient à des indications générales, à des plans que d'autres, qui ont le temps, rempliront: il a le prospectus facile. Personne, mieux que lui, n'indique le but. et les chemins; nul n'est moins apte à les suivre d'un pied patienta Diderot a •dû prodiguer à Rousseau de tels coiiseils. Mais on accuse Diderot de collaboratioyi précise. Pour d'autres cas, Diderot lui-même a fait des aveux : « Il y a dans les Observations de l'abbé Desfontaines plusieurs morceaux de ma façon-.» Voilà une présomp- tion pour croire à l'insertion de quelques pages de Diderot. M. Assézat n'hésite pas à introduire dans les (euvres de Diderot plusieurs passages du Discours^ et la part faite à Diderot est belle. ^ Une critique du texte du Discours permet de rendre à Rousseau huit lignes de ce passage : « Semblable au sanguinaire Sylla quae Lier ymas dédit», qui n'apparaissent dans le texte qu'en 1782. Cette addition doit se rapporter à la période où Rous- seau préparait la Lettre sur les spectacles. Car on y re- trouve le fragment textuel, sauf la citation*. De plus l'anecdote relative à Alexandre de Phères est dans Montaigne^, que Rousseau lisait beaucoup. Mais voici des aveux du seul Rousseau. Car Diderot (et Marmontel) si bavards sur le premier Discours, ' Cf. surtout les Pensées siii- lInterprétation de la Sature et l'article Art de VEncyclopédie. * Lettre de Diderot, 10 août 1749. Mss. cités de la B. N. Ce sont les Observations sur les Ecrits modernes, 1742-43. 'Les pages 99-100 de l'édit. Hachette: «Tel est le pur mouvement de la nature. . . Il est donc bien certain. » * Edit. de Du Peyrou. Lettre sur les spectacles I, p. 193. * Essais III, XXVII. Début. « Alexandre, tyran de Phères, ne pouvoit souffrir d'ouyr au Théâtre le ieu des tragédies de peur que ses citoyens 122 ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU sont muets sur le second. C'est d'abord une note du Livre VIII des Co7ifessions : ...De ces méditations résulta le Discours de l'Inégalité, ouvrage qui fut plus du goût de Diderot que tous mes autres écrits, et pour lequel ses conseils me furent le plus utiles....* ' Dans le tems où j'écrivois ceci, je n'avois encore aucun soup- çon du grand complot de Diderot et de Grimm: sans quoi j'aurois aisément reconnu combien le premier abusoit de ma confiance, pour donner à mes écrits ce ton dur et cet air noir qu'ils n'eurent plus quand il cessa de me diriger. Le morceau du philosophe qui s'argumente en se bouchant les oreilles pour s'endurcir aux plain- tes d'un malheureux est de sa façon ; et il m'en avoit fourni d'au- tres plus forts encore, que je ne pus me résoudre à employer. Mais attribuant uniquement cette humeur noire à celle que lui avoit donnée le Donjon de Vincennes, et dont on retrouve dans son Clairval une assez forte dose, il ne me vint jamais à l'esprit d'y soupçonner la moindre méchanceté. Dans le texte^ il s'agit de conseils, dans la note de l'insertion d'un morceau de la façon de Diderot. Or il ne paraît pas douteux que la note est postérieure à la rédaction de ce livre des Confessions. La formule qui l'introduit le prouve: «Dans le temps que j'écrivais ceci...», et cet argument a suffi à M, Jansen^ L'examen du manuscrit de Paris, que l'on s'accorde à considérer comme la première rédaction des Confes- sions, achève la démonstration. La note est placée lon- gitudinalement dans la marine, quand d'autres notes sont placées naturellement au bas des pages". Ainsi ne le veissent gémir aux malheurs d'Hecuba et dAndromache, lui qui, sans pitié, faisoit cruellement meurtrir tant de gents touts les jours». ' Fragments inédits de ./. J . Rousseau, p. 77. 2 Cf. p. 77, 86, 102, 125 du nis. de Paris. La note n'est point écrite de- là même encre que le texte (J. B. Morin, Essai sur la rie et le carac- tère de Rousseau, p. ^<)3.) Nous n'affirmons pas avec cet auteur que le texte est à l'encre de Chine et la note à l'encre ordinaire. La note pa- raît écrite avec de l'encre de Chine beaucoup plus diluée que celle du texte : le texte est resté d'un noir brillant, la note est grise : l'encre ordi- naire passée tire plutôt sur le roux que sur le gris. SOURCES DU DISCOURS DE l'iNÉGALITÉ 123 le souvenir d'une collaboration précise de Diderot ne s'est point d'abord présenté à Rousseau. La note des Confessions — dont on fait argument — est surajoutée. Quel mobile poussa Rousseau à l'écrire? La mention du grand complot de Diderot et de Grimm fait soupçon- ner l'imagination d'un malade. Entre le texte des Confessions et l'addition de cette note, on doit sans doute placer une lettre à M. de S^ Ger- main ^ Du moins y a-t-il entre la lettre et la note des rapports d'expression si étroits que l'une et l'autre appartiennent, chez Rousseau, au même état d'esprit. Trois notes de la lettre contiennent la note unique des Confessions : « On sent dans les ouvrages que j'écrivais à Paris, la bile d'un homme importuné du tracas de cette grande ville...*» Et en note : «Ajoutez les impulsions continuelles de Diderot qui, soit qu'il ne pût oublier le Donjon de Vincennes, soit avec le projet déjà formé de me rendre odieux, m'allait sans cesse excitant et stimu- lant aux sarcasmes. « Puis ^, pour prouver sa vertu à ses calomniateurs, il leur présente son Discours de l'Inégalité, et en note : « En retranchant quelques morceaux de la façon de Diderot, qu'il m'y fit insérer malgré moi. // en avait ajouté de plus durs* encore; mais je ne pus me résoudre à les employer. > Enfin, montrant comme il était aisé à Diderot de fabriquer de fausses pièces pour les lui attribuer, il 26 1 T. XII, p. 180 sq., du 17 — 70 (26 fév. 1770.) 'T. XII, p. 187. Je souligne les passages qui sont uploads/Litterature/ morel-jean-recherches-sur-les-sources-du-discours-sur-l-x27-inegalite-pdf.pdf

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