Notes sur la traduction française de l’Avatamsakasūtra 華嚴經 經法譯 譯 Patrick Carré,

Notes sur la traduction française de l’Avatamsakasūtra 華嚴經 經法譯 譯 Patrick Carré, Plazac, le 17 octobre 2008 « Cette inconcevable végétation s’éclairait d’elle- même ; de tous côtés, des obsidianes et des pierres spéculaires incrustées dans les pilastres réfractaient, en les dispersant, les lueurs des pierreries qui, réverbérées en même temps par les dalles de porphyre, semaient le pavé d’une ondée d’étoiles. » Joris-Karl Huysmans, En rade, chapitre II Notes sur la traduction française de l’Avatamsakasūtra 華嚴經法譯 華嚴經法譯 Ce soûtra, dont on peut traduire le titre par « Soûtra des Ornements de Splendeur » (plutôt que « des Ornements fleuris »), est unique sous de nombreux aspects : par sa taille colossale, par sa langue hautement littéraire, par son originalité absolue, par la richesse de ses idées et des métaphores qu’il tisse à l’infini, mais surtout par le fait qu’il contient tous les enseignements du Bouddha relatifs aux causes de la bouddhéité et les décrit du point de vue de leur effet, la bouddhéité elle-même, comme si – et c’est là le génie littéraire de ce texte – il y avait un « point de vue » dans la sagesse des Eveillés, un point de vue à la limite du dicible et de l’indicible que nous autres, êtres humains, nous puissions comprendre. La complétude qui déborde du Soûtra des Ornements de Splendeur n’est pas sans évoquer la « grande complétude » ou « Grande Perfection » (tib. rdzogs pa chen po, ssk. Mahâsandhi ou Atiyoga) où culminent les tantras tels que les perçoivent les adeptes de l’école nyingmapa du bouddhisme tibétain. La « grande complétude » dont je veux parler ici désigne aussi bien la totalité du Dharma des Eveillés que, plus particulièrement, l’union des pratiques de la pureté primordiale (tib. ka dag) et de la perfection spontanée (lhun grub) qui fait la particularité de l’Atiyoga. Or ces deux facettes de la Grande Complétude correspondent parfaitement aux deux grands enseignements que véhicule le Soûtra des Ornements de Splendeur : l’Eveil subit, d’une part, et, d’autre part, toutes les manifestations de la claire lumière. Pour être bref, et un peu schématique, l’Eveil subit pourrait désigner les enseignements du Chan de l’Ecole du Sud (cf. Huineng et son Soûtra de l’Estrade), tout nourris de vacuité « pure et dure », et les manifestations de la claire lumière trouveraient leur meilleure expression dans les soûtras dits « de la nature de bouddha » tels que les expliquent Asanga et Vasubandhu, tels que les ont systématisés les penseurs mystiques de l’école Yogâcâra indienne et Faxiang en Chine, tels que les tantras en révêlent tous les secrets. On notera dès le départ une formule – simplificatrice certes mais fort éclairante – qui pourrait définir la pensée à l’œuvre dans tous les grands soûtras « complets » du Mahâyâna et tous les tantras sans exception : tout est esprit et l’esprit est vide. Cette vision sous-tend chaque phrase du Soûtra des Ornements de Splendeurs et je ne puis m’empêcher de penser que tout discours (du Bouddha), texte ou écrit dont l’auteur a réalisé cette vision ne peut qu’atteindre les sommets de la littérature et de l’art pour ce qui est de la beauté et, partant, de la force de persuasion. Ces considérations d’ordre général nous amènent naturellement à aborder le Soûtra des Ornements de Splendeur en tant que texte 2 matériellement écrit. Ce texte merveilleux ne se trouve plus en entier que dans trois versions : deux versions chinoises et une version tibétaine. Le mDo Phal po che (ou Phal chen) en tibétain Le soûtra a été traduit intégralement en tibétain sous le titre de Sangs rgyas phal po che zhes bya ba shin tu rgyas pa chen po'i mdo, à partir du sanskrit Buddhāvataṃsaka-mahāvaipulyasūtra ou Ārya- buddhāvataṃsaka-nāma-mahāvaipulyasūtra par les lotsâwas Yéshé Dé (ye shes sde) & Bérotsana (vairocana) conseillés par les panditas indiens Jinamitra & Surendrabodhi. Dans l’édition de Dergué (sde ge), il occupe les volumes 35 à 38 (ka, kha, ga et a, environ 1200 feuillets). Texte très lisible. Plus lisible encore est le manuscrit du palais de Tog, au Ladakh, réalisé au XVIIIe siècle. Mention spéciale doit être faite du dernier livre (plutôt que « chapitre », le 45e ch. de la version tibétaine) du soûtra, connu en sanskrit sous le nom de Gaṇḍavyūha, et en tibétain sous les noms de sDong po bkod pa (ou sDong pos brgyan pa). Le Kangyur de Narthang (snar thang bka’ ‘gyur) s’achève sur ce colophon : shin tu rgyas pa chen po'i mdo sangs rgyas phal po che zhes bya ba/ byang chub sems dpa'i sde snod kyi nang nas sdong pos brgyan pa zhes bya ba chos kyi rnam grangs chen po las/ nor bzangs kyis dge ba'i bshes gnyen bsnyen bkur ba'i spyod pa phyogs gcig pa ste ji snyed pa rdzogs so/ /lo ts+tsha ba bai ro tsa na rak+Shi tas zhus chen bgyis te gtan la phab pa'o, qui nous apprend que ce dernier livre, le soûtra « Arborescent », est consacré au pèlerinage du bodhisattva Sudhana auprès de [52] amis de bien, et qu’il a été traduit [plus particulièrement] par le grand traducteur Bérotsana (bai ro tsa na rakShi ta). On trouve les mêmes mentions dans les éditions du Kangyur de Lhasa et d’Urga. Les trois traductions de l’Avataṃsaka en chinois Il existe deux traductions complètes du soûtra, auxquelles s’ajoute une troisième traduction du Gaṇḍavyūha seulement. 1. T 278 (ou T désigne le canon bouddhiste chinois de 1931 et 278 son n° d’apparition dans la collection, sa côte), vol. IX, p. 395-788. Traduction en 60 rouleaux (chin. juan 卷) par Buddhabhadra, pendant le règne des Jin orientaux (317-420), dite « Version en 60 rouleaux », « Soûtra des Jin » ou « Ancien Soûtra ». En chinois : 東晉佛馱跋陀羅譯大方廣佛華嚴經 2. T. 279. Vol. X, p. 1-445. Traduction en 80 rouleaux par Śikṣānanda des Tang (vers l’an 700), dite « Version en 80 rouleaux », « Soûtra des Tang » ou « Nouveau Soûtra ». En chinois : 唐實叉難陀譯大方廣佛華嚴經 3. T. 293. Vol. X, p. 661-850. Traduction en 40 rouleaux du seul Gaṇḍavyūha par Prajña des Tang. 3 En chinois : 唐般若譯大方廣佛華嚴經 La première traduction chinoise, réalisée sous la direction de Buddhabhadra, est une merveille d’inspiration mais, en tant que travail de pionnier, elle ne manque pas de défauts. On y trouve certes l’esprit (tib. don, « sens ») du texte, mais la lettre (tshig, « mot ») y apparaît dans une moindre mesure que dans la version de Śikṣānanda, laquelle comporte 20 rouleaux de plus, restitue beaucoup plus de détails et, recourant à une terminologie plus stable et plus éprouvée, se rapproche plus de l’original sans pour autant succomber aux naïves trouvailles du littéralisme inconditionnel : c’est du moins ce qui apparaît lorsqu’on compare les différentes versions du Gaṇḍavyūha qui seul existe encore en sanskrit. La traduction tibétaine est certainement parfaite dans son genre dans la mesure où, parfois calquée sur l’original sanskrit, elle fait souvent preuve d’audaces que l’on n’oserait à peine concevoir aujourd’hui, mais il n’en existe (du moins n’en connais-je) aucun commentaire dans le Tengyur. Dans cette dernière collection on trouve un commentaire du Soûtra des Dix Terres (Sa bcu pa / Daśabhūmika – cf. Préface de ma traduction de ce soûtra) et plusieurs commentaires plus ou moins détaillés de la très célèbre prière appelée en tibétain Zangtcheu meunlam (bZang spyod smon lam, titre malencontreusement traduit par « Prière de bonne conduite »…), laquelle conclut le Soûtra des Ornements de Splendeur de manière générale, et plus particulièrement le Gaṇḍavyūha, lequel est parfois appelé « Chapitre des activités et des vœux de Samantabhadra ». Si les commentaires du Soûtra des Ornements de Splendeur manquent en tibétain, ce n’est pas le cas en chinois ! Il faut ici se rappeler que, à la différence du bouddhisme tibétain, qui est essentiellement axé sur les tantras, le bouddhisme chinois n’a pas manqué de se former autour de grands textes, essentiellement des soûtras, comme l’école Tiantai autour du Soûtra du Lotus ou, ce qui nous concerne, l’école Huayan autour du Soûtra des Ornements de Splendeur (dont le nom abrégé en chinois est Huayan 華嚴). On ne trouve pas moins d’une vingtaine de commentaires des deux grandes versions chinoises du texte dans le canon de 1931 (Dazangjing 大藏經en chin. et Daizôkyô en japonais). Ce qui est fort appréciable pour un texte d’une telle ampleur et d’une telle densité. Ma préférence va à la traduction chinoise de Śikṣānanda Toute réflexion faite, et après due comparaison de quelques passages du Gaṇḍavyūha en sanskrit, tibétain et chinois, je pense pouvoir affirmer que c’est sur la version de Śikṣānanda que je traduirai le Soûtra des Ornements de Splendeur en français, en commençant par le Gaṇḍavyūha, dont le titre chinois est précisément « Entrée dans la Dimension Absolue » – ru fajie pin 入法界品. Voici quelques raisons pour étayer ce choix : 4 • D’abord et avant tout, cette traduction en chinois hautement littéraire et profondément technique est abondamment commentée par trois grands auteurs de la tradition Huayan : uploads/Litterature/ notes-sur-la-trad-de-l-x27-avatamsaka-01.pdf

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