Vie de la recherche – Research news L’histoire environnementale, hier, aujourd’
Vie de la recherche – Research news L’histoire environnementale, hier, aujourd’hui... et demain ! Stéphane Frioux* Histoire contemporaine, Université Lumière Lyon 2, UMR5190 Larhra, Lyon, France Résumé – L’étude diachronique des rapports entre les sociétés et leurs environnements est un des champs qui se sont affirmés avec le plus de dynamisme ces dernières années au sein des sciences humaines et sociales. Cet essor est désormais particulièrement visible dans la communauté des historiens. Un colloque organisé par le Réseau universitaire de chercheurs en histoire environnementale (RUCHE) à Lyon en juin 2018 a permis de dresser un panorama des recherches et des problématiques actuelles, ainsi que de discuter des méthodes interdisciplinaires. Après avoir retracé le récent développement de l’histoire environnementale des mondes modernes et contemporains qui a emboîté le pas des chercheurs spécialistes de périodes plus anciennes – et rendu compte de la manifestation, on proposera quelques perspectives porteuses d’enjeux scientifiques et sociaux émergents, et potentiellement innovantes. Mots-clés : histoire environnementale / interdisciplinarité / France / recherche historique / réseau RUCHE Abstract – Environmental history in France, from yesterday to tomorrow! The diachronic study of the relationships between societies and their environments is one of the fields that have asserted themselves with the utmost dynamism in recent years within the French social sciences and humanities’ community. Founded in 2008, the RUCHE, francophone network of environmental historians, has organized an international conference held in Lyon, in June 2018, with the title “Writing environmental history in the 21st century: sources, methods and practices”. Among its main objectives, four guidelines had been identified: assess and discuss the main scientific innovations and projects that have recently advanced the case for multidisciplinarity in the study of environmental history; explore new research directions and unexplored topics in environmental history; reflect on how we use sources (oral, written, or extracted from the Earth) and how different kinds of data can yield different kind of knowledge and how best to combine them; finally, evaluate and question the social utility of environmental history. Starting by a brief account of the RUCHE’s history, the article continues with a summary of the main trends presented in Lyon, and ends in suggesting which are the main and emerging scientific challenges for the near future. Keywords: environmental history / multidisciplinarity / France / historical research / RUCHE network L’étude diachronique des rapports entre les sociétés et leurs environnements, des pas de temps les plus courts aux plus amples, est un des champs qui se sont affirmés avec le plus de dynamisme ces dernières années au sein des sciences humaines et sociales (SHS), ce dont témoignent avec éloquence les sommaires de la revue Natures Sciences Sociétés1. Cet essor est désormais particulièrement visible dans la communauté des historiens. Un colloque organisé par le Réseau universi- taire de chercheurs en histoire environnementale (RUCHE) à Lyon en juin 2018 a permis de dresser un panorama des recherches et des problématiques actuel- les, tout en laissant une large place à la présentation de travaux étrangers, tant il est vrai que les renouvellements récents, surtout du côté de l’histoire contemporaine, se sont faits par connexions entre le monde académique francophone et ses homologues anglo-saxons, germani- ques, ou même plus éloignés. Un peu d’histoire de l’histoire environnementale francophone Voilà plus de dix ans que s’est constitué un réseau original, le RUCHE, dont la particularité est de fédérer, * Auteur correspondant : stephane.frioux@univ-lyon2.fr 1 Je rappellerai également les différents programmes inter- disciplinaires du CNRS, dont l’historique a déjà fait l’objet de plusieurs articles de retour sur expérience. Natures Sciences Sociétés 28, 1, 51-57 (2020) © S. Frioux, Hosted by EDP Sciences, 2020 https://doi.org/10.1051/nss/2020025 N a t u r e s Sciences Sociétés Disponible en ligne : www.nss-journal.org This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, excepted for commercial purposes, provided the original work is properly cited. au-delà des objets et des périodes, des chercheurs investis dans une approche commune : l’étude dans le temps des relations entre les sociétés et leurs environnements2. Fréquemment, les sociétés académiques se constituent autour d’une approche par discipline, sous-discipline ou objet d’étude ainsi, une telle regroupera les historiens de l’époque contemporaine, une autre ceux du monde rural, etc. Dans notre cas, l’association a rassemblé, dès les débuts, non seulement des historiennes et historiens de différentes périodes mais également des archéologues, écologues, géographes ou encore sociologues. Autant de professions qui avaient déjà largement nourri les expériences pluridisciplinaires autour des temporalités des rapports sociétés/environnement (Burnouf et al., 2003 ; Beck et al., 2006). Cette association a également d’emblée mêlé chercheurs confirmés et doctorants ou jeunes docteurs, dans la dynamique d’un champ en pleine émergence en Europe occidentale. À la charnière entre master et entrée en cursus doctoral, plusieurs jeunes chercheurs ont fait leur apprentissage de la vie de la recherche en prenant rapidement des responsabilités dans le RUCHE, participant à diffuser les informations au- delà des canaux académiques traditionnels. La nouveauté principale du réseau venait de l’importance de l’enga- gement des historiens de l’écrit, et en particulier des villes du XVIIIe siècle à nos jours, peu présents dans les initiatives pluridisciplinaires pionnières des années 1980 : Groupe d’histoire des forêts françaises (GHFF3), soutien du CNRS à des rencontres sur l’« histoire de l’environnement4 » (Beck et Delort, 1993 ; Massard- Guilbaud, 2014). La constitution du RUCHE se fit au moment d’un colloque international d’histoire sociale, qui mit en contact de nombreux chercheurs francophones et anglophones dont les objets et les approches se prêtaient à des comparaisons et à la poursuite de discussions (partiellement publié dans Massard-Guil- baud et Mosley, 2011). L’enthousiasme des débuts a stimulé l’organisation d’un séminaire historiographique, durant trois années. Les séances eurent lieu au sein de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) grâce à Geneviève Massard- Guilbaud, directrice d’études et fondatrice du RUCHE, rejointe par plusieurs chercheurs au sein du GRHEN (Groupe de recherche en histoire environnementale) du laboratoire CRH (Centre de recherches historiques5). S’il n’y a pas eu les forces suffisantes, à l’époque, pour publier ce séminaire, il servit néanmoins à décloisonner les champs de recherche, et fonctionna comme une formation continue pour les (apprentis) enseignants-chercheurs et chercheurs. Le RUCHE, petit frère de l’ESEH : un réseau au contact de la recherche internationale Les invités du séminaire originel n’étaient ni tous historiens, ni tous francophones. Cette ouverture inter- nationale fut consubstantielle à l’essor de l’histoire environnementale, tant les travaux anglo-saxons ou de l’Europe du Nord-Ouest pouvaient servir de point de comparaison pour les chantiers de recherche des membres du RUCHE. Plusieurs de ses membres ont également participé aux manifestations internationales de diffusion des travaux de recherche, telles les conférences organisées tous les deux ans par la Société européenne pour l’histoire environnementale(ESEH),fondéeen19996.LesFrançais, quoique peu nombreux à l’origine, furent impliqués dans l’animation de l’association. Cette activité internationale suppléait la faible visibilité de l’histoire environnementale dans l’Hexagone, et mettait en contact plusieurs cultures disciplinaires et traditions historiographiques. Un fossé linguistique a en effet largement séparé, pendant plus d’un quart de siècle, le monde anglo-saxon où une environ- mental history avait été fondée dans les années 1970 (Quénet, 2014), et l’histoire moderne et contemporaine française, où la formation en histoire économique et sociale,ou en histoire politique, reléguait l’environnement à un simple cadre de l’étude des phénomènes sociaux, souvent décrit comme un arrière-plan statique dans les chapitres liminaires des grandes thèses régionales de l’école labroussienne7. Les recensions d’ouvrages états- uniens dans les Annales furent extrêmement rares et, inversement, les promoteurs de l’histoire environnemen- tale américaine ignoraient presque tout des évolutions post-braudéliennes de l’école française. Tenants d’une vision systémique des relations environnement/sociétés, ils intégraient en revanche les concepts écologiques tel 2 Le blog du RUCHE diffuse avis de parution, appels à communications, avis de soutenances de thèse, et autres informations : https://leruche.hypotheses.org/. 3 Je renvoie au site du GHFF et notamment à la liste de ses publications : https://ghff.hypotheses.org/publications-2/ouv rages. 4 L’expression est utilisée non pas dans le champ disciplinaire historique stricto sensu mais comme inscription dans la longue durée, pour des travaux de géographes, d’écologues, etc. 5 Avant l’arrivée de Geneviève Massard-Guilbaud à l’EHESS, en 2005, un séminaire organisé au CERCEC (Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen) par Marie- Hélène Mandrillon avait proposé de travailler sur les problématiques environnementales dans les pays « de l’Est ». 6 Je renvoie au site de l’association, http://eseh.org/, qui archive notamment les programmes des conférences organi- sées depuis 2001. 7 Un exemple, l’ouvrage d’Alain Corbin (1975). 52 S. Frioux : Nat. Sci. Soc. 28, 1, 51-57 (2020) lemétabolismeurbain8 –etgéographiques.Encettefindes années 2000, la création du RUCHE a témoigné d’un rattrapage des historiens de l’écrit dans le domaine des sciences humaines et sociales actives sur l’étude de l’environnement. Une rapide reconnaissance scientifique Dans le même temps, l’histoire environnementale a acquis droit de cité dans le paysage de la recherche et de l’enseignement supérieur : recrutement de chargés de recherche au CNRS dans les sections de SHS en paléoenvironnement, en archéologie uploads/Litterature/ nss-200025.pdf
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- Publié le Dec 13, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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