Marylène Possamai-Pérez Université Lyon2-Lumière Vendredi 13 Novembre 2008 Conf
Marylène Possamai-Pérez Université Lyon2-Lumière Vendredi 13 Novembre 2008 Conférence à l’université de Rennes Ovide au Moyen Âge I/ L’aetas ovidiana Au XIIe siècle, Ovide exerce sur les clercs médiévaux une attraction telle qu’on peut parler de fascination. Ovide va pénétrer la matière des écoles, jusque là exclusivement constituée des écritures saintes et des écrits de Pères de l’Eglise. Avec Virgile, il sera l’auteur antique le plus lu et imité de tout le Moyen Âge. Il devient un modèle pour les techniques littéraires (alors que son écriture n’était pas forcément louée par tous les auteurs antiques : Sénèque par exemple reproche au poète sa manière allusive), mais aussi, et c’est plus surprenant, pour sa pensée : se développe alors le mythe d’un poète « pré-chrétien » (le fait que les Métamorphoses commencent par un récit de déluge a été senti comme une sorte de préscience de la Révélation chrétienne), et celui d’un Ovide philosophe, mythe qui aura la vie dure puisque Victor Hugo encore rêve d’être un nouvel Ovide, à la fois poète et philosophe. Une tradition médiévale faisait en effet d’Ovide un philosophe et lui attribuait des intentions morales, voire des aspirations chrétiennes. Les accessus aux transcriptions, traductions, adaptations et autres commentaires d’Ovide, font état de la valeur morale et philosophique du poète latin : ainsi Arnoul d’Orléans, en 1175, répond, dans son introduction aux Métamorphoses, « aux sept questions que doit traiter un accessus complet »1, et reprend l’étymologie traditionnelle du nom d’Ovide, ovum dividens»2, nom qui aurait été formé à cause d’une allégorie attribuée à Ovide entre l’œuf (dur) et l’univers (le jaune notant la terre, le blanc l’air, et la coque le ciel). Même l’auteur de l’Ovide moralisé dont nous allons reparler, qui ne fait guère état de cette tradition pour justifier son entreprise, ne garde que cette réminiscence du philosophe cher aux auteurs d’accessus : c’est lorsqu’il reprend, aux vers 203-204 du livre I, l’image de l’œuf cuit à la coque pour illustrer le récit de la Création du monde ; mais sa référence n’est pas très claire. Fait-il allusion au nom d’Ovide, ou à une démonstration qu’il croit tirée des écrits de l’auteur antique ? Relisons les vers 203-211 : A ce veoir nous avisa / Ovides, qui l’œuf devisa, / Si vault similitude faire / Tel, si com je cuit : / C’est par un œuf en coque cuit. / En l’œuf, ce me samble, a trois choses / Qui sont dedans la quoque encloses…. Et l’auteur de citer le milieu (c’est-à-dire le jaune), qui nous note la terre, le blanc, Par cui nous devons la mer prendre, la pelete qui figure l’air, et la coque, qui l’estendement / Dou ciel nous représente et note. Il conclut : Ensi est l’ordenance toute / Des elemens manifestee (213-227). A aucun moment cependant, il ne rattache explicitement ce lieu-commun de « l’œuf qui représente les quatre éléments », et « qui apparaît dans toute sa splendeur chez Giovanni del Virgilio »3 (en 1323 environ), au nom d’Ovide. 1 Cf. par exemple l’incipit de plusieurs manuscrits des Métamorphoses : Ad hujus auctoris evidentiam, divinum implorantes auxilium sine quo nullum rite fundatur, hec sunt conspicienda : auctoris vita, materia, intentio, utilitas, cui parti philisophie supponatur, titulus, tranctandi modus… »Pour mettre en évidence cet auteur, en implorant l’aide divine sans laquelle aucun rite n’est fondé, il faut examiner les points suivants : la vie de l’auteur, la matière, l’intention, l’utilisté, la partie de la philosophie à laquelle il se rattache, le titre, le traitement littéraire… » (MS Oxford, Bodleian Library, lat class. c. 2, saec. XIII, fols. 22-23, et Vat. lat. 1593, saec. XIIex., fol. IVr, in Frank. T. Coulson et Bruno Roy, Incipitarium ovidianum, a finding guide for texts related to the study of Ovid in the Middle ages and renaissance, Brepols, 2000. 2 P. Demats, Fabula. Trois études de mythographie antique et médiévale, Genève, 1973 (Publications romanes et françaises, 122), chapitre III, « L’Ovide médiéval. Du Philosophe au Mythographe », p. 107-109. 3 Id., ibid., note 8. halshs-00379427, version 1 - 28 Apr 2009 2 Mais, plus curieusement, les médiévaux avaient aussi à justifier l’attrait que la matière même des poèmes ovidiens, traités et lettres d’amour, fables mythologiques, exerçait sur eux, et c’est cette valeur morale et philosophique, cette prescience de la Révélation chrétienne qui leur a permis cette justification, qui a permis de sauver de l’oubli ou de la destruction les poèmes ovidiens. Dès le début du XIIe siècle (ou même la fin du XIe), le Lai de Narcisse ou celui de Pyrame et Thisbé témoignent de cet attrait4. Chrétien de Troyes lui-même, d’après le prologue de son Cligès, aurait commencé son activité d’écrivain en « translatant » (c’est-à-dire en traduisant au sens médiéval du terme, en adaptant) des fables ovidiennes : « Cil qui fist d’Erec et Enide, Et les comandemanz Ovide Et l’art d’amors en romanz mist Et le mors de l’espaule fist, Del roi Marc et d’Iseut la Blonde, Et de la hupe et de l’aronde Et del rossignol la muance, Un novel conte recomance. » (vers 1 à 8) Outre Erec et Enide donc, et le roman de Cligès qu’il commence, Chrétien est l’auteur de traductions d’Ovide (en romanz, en langue vulgaire, en français) - parfois appelées Ovidiana de Chrétien : - Les Commandements d’Ovide seraient peut-être Remedia amoris - L’Art d’amors est l’ Ars Amatoria, l’Art d’aimer. Ces deux textes sont perdus. - La muance (=métamorphose) de la huppe, de l’aronde (=hirondelle) et du rossignol était une adaptation des vers 412-674 du livre VI des Métamorphoses d’Ovide (Térée, Procné et Philomèle): cette œuvre de Chrétien a été reprise, sous une forme sans doute remaniée et rajeunie, dans l’Ovide Moralisé, poème anonyme du début du XIV° siècle. -le « mors de l’espaule »: la morsure de l’épaule (histoire de Pélops, évoquée rapidement dans Ovide mais peut-être glosée ou reprise dans fable d’Hygin n° 83 – racontée aussi dans l’Ovide moralisé, et l’on peut se demander s’il ne s’agit pas aussi d’une reprise de Chrétien de Troyes, puisque les Métamorphoses d’Ovide ne font qu’une rapide allusion à cette légende – juste pour dire que les dieux ont « reconstitué » Pélops, tué et démembré par son père Tantale, qui désirait le donner à manger aux dieux – pour les rendre mortels, en vertu du principe que l’on devient ce que l’on mange. Mais seule Cérès – peut-être distraite par sa douleur de ne pas retrouver sa fille Perséphone, avait mangé son « morceau » de Pélops, l’épaule, que les dieux remplacèrent par un morceau d’ivoire) On le voit donc dans ce prologue de Chrétien de Troyes, toutes les œuvres d’Ovide étaient lues et connues, non seulement les Métamorphoses, dont je vais reparler principalement, mais aussi 4 Voir Pyrame et Thisbé, Narcisse, Philomena. Trois contes du XIIe siècle français imités d’Ovide, éd. et trad. d’E. Baumgartner, Gallimard, collection "Folio classique" n° 3448, Paris, 2000. Ch. Ferlampin-Acher, « Piramus et Tisbé au Moyen-Âge : le vert paradis des amours enfantines et la mort des amants », dans Lectures d’Ovide, publiées à la mémoire de Jean-Pierre Néraudau, Les Belles Lettres, Paris, 2003, p. 115-147. halshs-00379427, version 1 - 28 Apr 2009 3 les ouvrages concernant l’amour, les Remèdes à l’amour et l’Art d’aimer. Il faut aussi citer les Héroïdes, traduites en langue vernaculaire dès ce XIIe siècle. Mais les Fastes étaient connus aussi. II/ Art d’aimer et Héroïdes 1/ L’art d’aimer Comme le montre Marilynn DESMOND dans son ouvrage Ovid’s Art and the Wife of Bath, The ethics of erotic violence5, le Moyen Âge a lu l’Ars d’Ovide comme un traité sérieux sur l’amour. L’ironie d’Ovide, qui rédige l’Ars amatoria pour se moquer des lois matrimoniales d’Auguste, n’a pas été perçue au Moyen Âge : à partir du XIIe siècle, l’Ars a été lu comme une exploration philosophique de l’éthique de la violence érotique, comme le révèle par exemple le De natura et dignitate amoris de Guillaume de Saint Thierry. L’Art d’aimer a été considéré comme le livre de poche de la performance hétéro érotique, un éloge du sadisme amoureux et de la domination sexuelle masculine. Outre l’adaptation perdue de Chrétien de Troyes, on en connaît cinq translations en langue vernaculaire : Bruno Roy, qui a édité l’une d’entre elles, l’Ars d’amours6, pense que le prologue du Cligès ne fait référence qu’à une seule et même œuvre, l’Ars amatoria, puisque la translation romane qu’il édite se désigne comme un répertoire de « comandemens », donc comandemens Ovide et Ars d’amors seraient une seule et même œuvre. Au XIIIe siècle, on dénombre quatre translations : celle d’un nommé « Maistre Elie », qui reprend les livres I et II de l’Ars amatoria celle de Jake d’Amiens, l’ Ars d’Amors, qui ajoute à l’ ’Ars amatoria 1384 vers de modèles de dialogues amoureux, mais respecte par ailleurs la structure du poème latin (en commençant par les conseils aux hommes – livres 1 et 2 du texte latin, puis en enchaînant sur les conseils aux femmes – uploads/Litterature/ ovide-au-moyen-age.pdf
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- Publié le Aoû 31, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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