Pierre Corneille http://www.espacefrancais.com/pierre-corneille/ Médée et l’ima

Pierre Corneille http://www.espacefrancais.com/pierre-corneille/ Médée et l’imaginaire, analyse de quelques aspects de la Médéede Pierre Corneille (1635) par Mireille Habert F. Sandys, Medea, Birmingham Museum and Art Gallery (Wikicommons) La vengeance de Médée à Corinthe, sujet de la pièce grecque d’Euripide, fait l’objet dans sa version romaine d’une analyse détaillée de Florence Dupont dans l’ouvrage intitulé Les Monstres de Sénèque. Le processus tragique qui fait passer le personnage du dolorau furor puis au scelus nefas s’y trouve mis en évidence. Cette dynamique essentielle à toute mise en scène du séjour de Médée à Corinthe constitue également l’élément clé de la première tragédie de Corneille. Déjà auteur de comédies à succès au théâtre du Marais (Mélite 1629), Corneille fait jouer Médée au début de l’année 1635 sur la scène du même théâtre, en même temps qu’il signe au côté de quatre autres auteurs la Comédie des Tuileries, écrite à la demande du Cardinal de Richelieu. Nous nous proposons de montrer comment, dans ces années charnières où s’élabore une nouvelle conception du théâtre en accord avec le désir des doctes d’imposer les règles de bienséance et de vraisemblance, la pièce de Corneille interroge et approfondit les données initiales du mythe de Médée, pour conjuguer au goût du spectaculaire, encore caractéristique de la période, l’amorce d’une réflexion typiquement cornélienne sur la fermeté des grands cœurs comme ressort principal de la tragédie. La dramaturgie des passions Parmi les données héritées des Anciens se trouve la situation tragique de la femme abandonnée par l’homme qu’elle aime. Le double affrontement de Médée au roi de Corinthe, qui la condamne à l’exil, et à Jason, son époux, venu en personne lui dire adieu avant son mariage avec la fille du roi, éveillent en elle le désir de vengeance et déclenchent un double meurtre, avant l’envol final de l’héroïne sur le char ailé de son aïeul le Soleil. L’apport de Corneille réside principalement dans l’amplification des moyens propres à susciter le pathétique, « premier but de la tragédie » depuis Aristote[1] : non seulement Corneille, imitant Sénèque, n’hésite pas à amplifier la figure de Médée en magicienne, dotant par exemple le personnage d’une baguette magique et d’un discours en accord avec ses pouvoirs surnaturels, mais il amplifie la représentation de la violence en offrant directement aux yeux et à l’imagination du spectateur le spectacle de la combustion atroce des victimes de Médée, usuellement rapportée par l’intermédiaire des récits. La complexification de l’intrigue amoureuse grâce à l’introduction sur la scène du personnage de la jeune Créüse, demandée en mariage par le vieil Egée, permet de faire périr dans une scène pathétique la rivale de Médée. Comme ses prédécesseurs, Corneille construit d’abord l’image de Médée comme un personnage qui subit : plongée dans une situation extrême, Médée est la victime de la trahison de Jason, de son ingratitude, du mépris arrogant des Grecs auxquels elle inspire tour à tour envie et répulsion. Epouse non légitime de Jason, en Grèce elle n’est plus rien, malgré les deux enfants qu’elle lui a donnés, son statut est celui d’une simple concubine. Coupable de plusieurs crimes commis par amour, elle n’est qu’une femme orientale, une « barbare » dangereuse aux yeux d’une société d’hommes qui fait noblement du « logos » sa pierre de touche. Au milieu de sa solitude, l’effort de Médée consiste à rappeler à tous qui elle est : son origine, sa puissance, son ancien statut de fille de roi et de petite-fille du Soleil, relèvent d’un autre espace, la terre orientale et fabuleuse de Colchide, ancien lieu des prouesses de Jason venu conquérir la Toison d’or. La richesse des images que cherche à susciter Médée face à ses ennemis relève du « ressouviens t’en » : il s’agit de faire revenir à la mémoire des Grecs la représentation du passé oublié, le souvenir de ce qui n’est plus, de faire reprendre aux images figées leur statut de scènes vivantes. La « passion » de Médée La représentation théâtrale permet d’opposer différentes manières d’évoquer le passé. Lorsque Jason parle de Médée, avec l’arrogance toute masculine qui caractérise son personnage dès la première scène de l’acte I, le souvenir n’est plus chez lui qu’une somme d’images détachées et « mortes », qu’il évoque sans émotion et contemple à la façon dont on contemple une vieille peinture aux couleurs ternies. Cette sorte d’évocation correspond à la « banalisation » du mythe. Il en va de même lorsque Créon affronte Médée, acte II, scène 2 : « Va te plaindre à Colchos », ainsi que dans la scène 4 de l’acte II, lorsque Créüse évoque avec convoitise le fabuleux voile de Médée, ou encore, dans la même scène, lorsque Jason promet à Créüse de faire son possible auprès de « [sa] jalouse ». De même, Jason se livre au récit complaisant des forfaits imputables à Médée, tel le meurtre de Pélias, car lui-même n’en a retenu que l’effet, son propre salut. Pourtant, l’effet de son récit retentit avec horreur dans l’âme de Pollux (I, 1, 69-96) et fournit au spectateur une image très vive de Médée en monstre. Justement, la force du personnage de Médée vient de la façon différente dont son propre discours parvient à faire revivre le passé mythique. Les souvenirs du passé chéri sont l’objet d’un véritable culte de sa part, dû à l’aveuglement de la logique amoureuse. Non seulement la passion de Médée pour Jason se nourrit du ressassement des épisodes qui ont vu naître leur amour, mais le souvenir des crimes commis est pour elle une suite d’épreuves affrontées pour l’amour de Jason et encore mieux un ensemble d’événements traumatiques subis plutôt que voulus, dont le souvenir ne cesse de la torturer. Le premier récit que Médée fait à Créon des principaux événements survenus en Colchide est destiné à redresser l’injustice du jugement de Créon et des Grecs en général (v. 388). Le sentiment de n’être pas comprise conduit Médée à un rappel précis des faits, introduit, selon la technique de l’enargeia, par la formule : « Apprenez » aux vers 409 et suivants. Paradoxalement, chacun des exploits accomplis par Jason, de même que chacun des crimes commis pour lui par Médée, se trouve renversé par Médée comme une occasion de dette contractée par les Grecs envers elle-même. Utilisant à son profit la topique amoureuse, elle s’applique à réduire la distance entre crimes et exploits : « Il est mon crime seul, si je suis criminelle[2] ». La gloire de Jason, donc de la Grèce, repose sur l’action salvatrice de Médée. Le second récit de Médée, adressé directement à Jason, a pour point de départ l’impératif « Ressouviens t’en, ingrat », v. 785, ou « Revois », nécessité par le désir de faire revivre à Jason les périls d’autrefois, dans l’espoir de faire renaître en lui le sentiment de reconnaissance, et, par- delà, le sentiment amoureux. Même si l’idée du « Tendre sur reconnaissance » n’est pas à dédaigner, on peut remarquer la chute que constitue cette représentation affaiblie de l’amour par rapport à l’incandescence originelle de la passion partagée avec Jason. La domination des forces naturelles et surnaturelles, la trahison du père, le sacrifice du frère, l’oubli du devoir font l’objet d’une énumération véhémente qui aboutit au bilan des vers 814-815, dans lesquels les participes passés permettent l’inscription ironique des événements accomplis au bénéfice du héros. L’attachement de Médée aux images du passé fait ressortir le sentiment déchirant de son impuissance présente. L’aveuglement étrange dont Médée persiste à faire preuve par rapport à Jason contredit sa lucidité cruelle envers elle-même : « Jason m’a trop coûté pour le vouloir détruire », v. 358 ; « Je crois qu’il m’aime encore », v. 361. A la fois pathétique et tragique, Médée n’a d’autre refuge que l’appel à la reconnaissance de l’homme qu’elle aime, comme le prouve l’exclamation pathétique : « Et garde au moins ta foi, si tu n’as plus d’amour » (v. 891). Son impuissance est à son comble dans la scène 3 de l’acte III, v. 907 et suivants : « Misérable ! […] ». La passion telle que la subit Médée explique qu’elle refuse de tout son être l’idée que Jason puisse, pour sa part, préférer oublier les détails de ce passé tumultueux. La résolution qu’elle affirme dans la scène 4 de l’acte III : « Je la saurai graver en tes esprits glacés » correspond à un véritable défi : arrêter, ou renverser le cours du temps, « réchauffer » le souvenir, lui faire quitter la gangue de glace où il est emprisonné, est sa seule riposte, sa ligne de défense et d’attaque. L’impuissance du personnage à faire renaître l’amour en Jason par le rappel des circonstances de leur rencontre produit en elle un autre effet. De par l’étymologie de son nom, « Médée » est une calculatrice, capable de soumettre sa volonté à l’effort de sa raison. Pour rappeler à tous qui elle est, pour renouer avec sa nature profonde, il lui faut abandonner aux hommes ingrats l’histoire de son passé amoureux, et rechercher en uploads/Litterature/ p-corneille-le-cid-et-medee-analyse.pdf

  • 49
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager