Document généré le 15 mars 2018 16:22 Minorités linguistiques et société La lan

Document généré le 15 mars 2018 16:22 Minorités linguistiques et société La langue mondiale : traduction et domination, Pascale Casanova. Paris, Seuil, 2015, 129 p. Laurence Arrighi Numéro 8, 2017 URI : id.erudit.org/iderudit/1040316ar DOI : 10.7202/1040316ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques / Canadian Institute for Research on Linguistic Minorities Découvrir la revue Citer cet article Arrighi, L. (2017). La langue mondiale : traduction et domination, Pascale Casanova. Paris, Seuil, 2015, 129 p.. Minorités linguistiques et société, (8), 113–116. doi:10.7202/1040316ar Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques / Canadian Institute for Research on Linguistic Minorities, 2017 Minorités linguistiques et société Linguistic Minorities and Society Numéro 8 Number 8 2017 Compte rendu La langue mondiale : traduction et domination Pascale Casanova. Paris, Seuil, 2015, 129 p. Par Laurence Arrighi Université de Moncton Le pluralisme linguistique est désormais largement valorisé comme reflet de la diver- sité des cultures et gage de l’ouverture de ceux qui le pratiquent : bilingues et, plus encore, traducteurs. Peut-on dire alors de la traduction et du bilinguisme qu’ils reproduisent le rapport de force entre les langues plutôt qu’ils ne permettent d’échapper à la domination linguistique ? Voilà la question à laquelle Pascale Casanova s’attaque dans cet ouvrage. De cette auteure, nous connaissions déjà La République mondiale des lettres, qui mettait à bas la légende dorée de la littérature voulant que prestige et reconnaissance s’acquièrent essentiel- lement par la qualité de la plume. Ici, en s’appuyant sur la notion de marché linguistique (et plus largement sur un apparat théorique amplement emprunté à Bourdieu, « Exordium », p. 9-22), Casanova entend démontrer, par le biais du cas « exemplaire du français, de ses transformations, des formes de domination qu’il a exercées, de l’évolution de son statut, des commentaires que son rôle et sa place ont occasionnés » (4e de couverture), que le bilin- guisme collectif est une preuve de domination et que la traduction profite avant tout à la langue dominante. Construit en cinq chapitres, l’ouvrage propose moins une histoire du français qu’une ­ histoire de ses relations, de ses luttes avec le latin. Le premier chapitre (p. 23-41) sert à appuyer la thèse générale : l’histoire d’une langue ne peut se comprendre que dans ses ­ rapports avec d’autres, et l’auteure y raconte la manière dont le français a émergé de sa concurrence avec la première des « langues mondiales ». Le deuxième chapitre (p. 43-60) s’arrête sur l’époque où « le français devait être défendu ». L’auteure offre une lecture de La Deffense et illustration de la langue francoyse, dont elle montre le caractère « révolutionnaire ». A contrario de l’interprétation de Mounin, pour qui La Deffense est « l’anthologie de tous les 114 Compte rendu • La langue mondiale : traduction et domination arguments contre la traduction » (1955, p. 8), Pascale Casanova expose que le programme de Du Bellay est précisément de « piller », par la voie de l’emprunt et la traduction, le latin afin d’enrichir le français, dont la « pauvreté » est conjoncturelle et non essentielle. La troisième partie (p. 61-76) examine la traduction comme conquête lorsque, toujours à la Renaissance, la traduction devint genre littéraire. Il s’agit de s’approprier les fruits d’une langue à traduire car universelle, d’assurer à la langue de traduction la constitution d’un capital linguisti- que, littéraire et culturel. Il faut s’emparer des « classiques ». Dans le quatrième chapitre (p. 77-93), on change de siècle. Dès le début du 17e, la « “politique” d’imitation prônée par Du Bellay […] [a] été efficace : le français a été “enrichi” par l’apport du vocabulaire grec et latin, ce qui pourrait expliquer que la langue devienne, là, mondialement dominante » (p. 77). On invente alors la « traduction libre », à la fois désinvolte vis-à-vis de la langue source – elle ­ privilégie une translation hétéronome et ethnocentriste conforme aux goûts et aux valeurs d’un « public […] qui n’éprouv[e] pas de remords à exprimer son ignorance du latin » (p. 79) – et caractéristique de l’« annexionnisme des dominants (p. 81) ». La table est mise pour que « les traductions “à la française” […] élégantes (et enno- blissantes) fleurissent alors même qu’entre le XVIIIe et la première moitié du XXe siècle, le français [étant] devenu “le latin de Modernes”, c’est-à-dire la langue mondiale, la ­ traduction [profite] elle-même largement [au] français » (p. 93). Les grands écrivains européens com- mencent dès lors à s’insurger contre ces infidélités faites à leurs « classiques » : de Shakespeare remanié à Tolstoï épuré, les zélés traducteurs vers le français tiennent qu’il est « bonne ­ fortune […] [d’]embellir l’original » (p. 92). Contre cette pratique de traduction-trahison disant toute l’hégémonie d’une langue, une voix est particulièrement éclairante, celle de Giacomo Leopardi, « théoricien spontané et génial de l’inégalité et de la domination linguistiques » (p. 96). Il offre dans son journal, le Zibaldone, des réflexions récurrentes « sur la langue ou plutôt sur les langues, en particulier la française et l’italienne; et par conséquent sur la question de la domination et de la traduction » (p. 95). Le conflit que le poète entame au début du 19e siècle (exposé au dernier chapitre, p. 95 à 121) avec la langue dominante parti- cipe de concert à la formation de la langue et de l’État italiens modernes. Leopardi entend construire un capital symbolique pour sa langue au nom de sa plus grande proximité de la langue latine (qu’elle n’a jamais cherché à assimiler). Par l’héritage latin, l’italien peut s’enri- chir et devenir langue pleinement moderne. Les « qualités » du français sont ses principaux défauts et autant d’arguments pour rehausser l’italien, langue « plus libre […] audacieuse et variée » (p. 105), qui n’est pas « instrument de communication […] simplifié » (p. 103). L’ignorance française des autres langues conduit les dominants linguistiques (c’est un trait intemporel) à « transpose[r] les œuvres étrangères non seulement dans leur langue mais dans leur littérature » (p. 105). Et l’auteure de conclure qu’« il n’y a pas de traduction sans langue dominante et pas de langue dominante qui ne soit désignée comme langue de la traduction par excellence » (p. 121). De nos jours, la domination de l’anglais ne se marque 115 Compte rendu • La langue mondiale : traduction et domination pas autrement1. « La littérature du monde non anglophone a (presque) disparu de […] la contemporary Anglo-American culture » (p. 125) selon Venuti (1995), traducteur américain qui a par ailleurs montré comment, dans son pays, l’opération de traduction se doit d’être invisible (voire tue), ce qui permet à leur tour aux Américains d’annexer les textes traduits à leur littérature, tel est le propos de l’« Exitus » (p. 123-130) en conclusion de l’ouvrage. Tout comme il n’est pas sans perte que le traducteur incorpore aux dimensions de sa ­ langue celles de langue traduite, il est délicat pour un chercheur d’annexer théories et concepts venus d’autres disciplines. Pascale Casanova, critique et théoricienne de la traduc- tion littéraire, emprunte ici à la sociologie et à la sociolinguistique. Les concepts adoptés sont parfois un peu aplanis2 et les mécanismes de la domination linguistique (notamment le fait que c’est toujours le dominé qui est bilingue) sont avancés comme s’il s’agissait de « découvertes ». Or, les sociolinguistes travaillant sur des milieux minoritaires savent depuis longtemps que si le dominant chante les vertus du bilinguisme, il revient au dominé d’en assumer le fardeau effectif. Sur un autre plan, en assumant sans l’interroger la dominance passée de sa langue maternelle, Casanova ne fait que reproduire un discours qui est pourtant largement contesté par des spécialistes de l’histoire du français3. Ce petit livre revendiquant, « pour lutter contre une langue dominante, […] une position “athée” » (p. 15) – ­ c’est-à-dire non soumise à la croyance en la supériorité d’un idiome – n’échappe pas à l’adhésion de principe à la vision d’une situation de domination linguistique (celle du français par le passé) sur laquelle il n’y a pas à revenir, position que l’auteure « reproche » par ailleurs en ces termes à Leopardi (voir p. 15). Laurence Arrighi laurence.arrighi@umoncton.ca 1. [L’anglais est « présent] dans plus de 50 % des traductions au plan mondial et […] les deux tiers des traductions en français » (p. 123). 2. Voire relèvent d’hypothèses carrément battues en brèche, telle celle de Sapir-Whorf venue de l’anthropologie linguis- tique et voulant qu’aux caractéristiques linguistiques « propres » à une langue correspondent des catégories de pensée uniques et originales. uploads/Litterature/ pascale-casanova-la-langue-mondiale-traduction-et-domination.pdf

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