Marina a ue o Catalogue des idées reçues sur la langue )0CU M ENT CATALOGUE DES

Marina a ue o Catalogue des idées reçues sur la langue )0CU M ENT CATALOGUE DES I DÉES REÇUES SUR LA LANGUE Marina Yaguello esc professeur à l'université Paris VII, René Diderot. De langue maternelle russe, elle travaille sur le fran- çais, l'anglais et le wolof. Elle a publié de nombreux ouvrages sur le langage et les langues, donc Alice au pays du langage, Les Fous du langage, Histoires de Lettres, Le Sexe des mots et Petits faits de langue (Editions du Seuil). Marina Yaguello CATALOGUE DES IDÉES REÇUES SUR LA LANGUE , Editions du Seuil TEXTf. IN T~GRAL ISliN 2-02-066966-8 (ISIIN 2-02·057799-2, 1"' publication poche) © Ë.ditions du Seuil, avril 1988 Le Code de la propriéu! imdlcaudlc imadit les ropics ou rcproduccions dcstin6:s ~ une uti!Uacion roii~:Ctive. Toute rcpriscnraùon ou rcproduc1ion int4n)e ou swàdk faite par quelque procédé que cc soit, sans le a>rucntcmcm de l'auteur ou de $CS ayana cawc, est illicite ct constitue une contrefaçon sanctionnée par les aniela L 335-2 ct suivana du Code de la proprxu! imdlcc:rudlc. • à Stèphe AVERTISSEMENT L'astérisque qui accompagne certains termes lors de leur première occurrence signale des concepts qui seront développés plus loin. Les termes techniques sont repris dans un glossaire en annexe. Enfin, les notes étant réduites au strict minimum, les ouvrages de référence sont regroupés dans une bibliographie thématique en fin de volume. • • Le sentiment de la langue C'est dans et par le langage que l'homme se constitue comme sujet. ÉMILE BENVENISTE Le langage humain - et les langues dites naturel- les qui en sont la manifestation - constitue un uni- vers à la fois familier et étrange. Familier, parce que 1 'homme ne se conçoit pas autrement que comme sujet parlant ; étrange, parce que le langage nous offre aujourd'hui encore autant de mystères que de pro- blèmes résolus. D'où vient le langage? Pourquoi prend-ilia forme de langues différentes ? Pourquoi les langues changent-elles? Les langues reflètent-elles une logi-, que naturelle? Quel est le secret du rapport entre la langue et la nature, entre la langue et la culture? Ces questions, ou plutôt ces énigmes, sont à l' ori- gine de mythes comme celui de la langue adamique ou celui de la dispersion des langues à Babel, d'innombrables œuvres de réflexion philosophi- que - de Platon à Rousseau en passant par Des- cartes -, de théories fantasmatiques sur l'origine 11 Catalogue des idées reçues sur la langue du langage, de créations chimériques de langues uni- verselles. Mais il est un domaine où la réflexion sur la lan- gue occupe une place qui, bien que plus modeste, est tout aussi significative, c'est celui de la vie quoti- dienne des« locuteurs-ordinaires». Parce que la lan- gue est le bien commun de tous, chacun de nous, sujets parlants, se fait une certaine idée de la langue, idée qui se traduit par des jugements de valeur que le linguiste professionnel, habité par le souci de l'objectivité scientifique, est amené à taxer d'idées reçues et de préjugés. De la diversité naît le besoin de classer, de compa- rer, d'opposer et donc de hiérarchiser les langues comme on l'a toujours fait des races, des peuples ou des individus. Le« locuteur naïf» n'est guère capa- ble de prendre ses distances avec la langue. Il l'investit tout au contraire de valeurs affectives, esthétiques et morales et porte sur elle un regard teinté de son expé- rience personnelle et des préjugés de son époque et de son groupe social. Il cherche à l'humaniser en quel- que sorte en lui attribuant des qualités et des défauts ~ telle langue est belle, harmonieuse, musicale, telle autre est laide, dissonante. Telle langue est plus logi- que ou plus proche de la nature des choses que les autres, telle langue est noble, telle autre vile ou impure. L'évolution d'une langue est conçue le plus souvent comme dégénérescence et non comme pro- grès. Le français brille par sa clarté. L'italien ou le 12 Le sentiment de la langue russe sont des langues musicales. Les langues afri- caines sont simples, l'anglais est facile, le chinois n'a pas de grammaire. Les langues sans tradition litté- raire ne sont pas des langues mais de vulgaires dia- lectes, etc. Autant d'idées reçues qui traînent un peu partout et dont certaines sont loin d'être innocentes. S'y ajoutent des jugements sur les locuteurs eux- mêmes : les Slaves sont doués pour les langues, pas les Français; les Noirs sont incapables de prononcer les r; les locuteurs de langues «primitives» sont dotés de mentalités «prélogiques», etc. Face à la langue, le sujet parlant adopte ainsi trois types d'attitudes : 1) explicative, conduisant à des rationalisations, à des tentatives de théorisation, ainsi par exemple sur l'adéquation du genre grammatical et du genre natu- rel, sur 1' origine des mots et des langues, etc. ; 2) appréciative, se traduisant par des jugements sur la beauté, la logique, la clarté, la simplicité de telle ou telle langue ; 3) normative, s'exprimant par l'opposition à toutes les formes de «corruption » de la langue. Ce sont ces différentes modalités du rapport des locuteurs à la langue que révèlent les idées reçues dont on trouvera ici le catalogue. · Ce n'est pas vraiment au nom de la scientificité qu'on peut s'élever contre ces conceptions naïves. Tout sujet parlant après tout a le droit de cultiver ses fantasmes. 13 Catalogue des idées reçues sur la langue Pour moi, linguiste, cette «linguistique spontanée» doit être combattue seulement dans la mesure où les préjugés, les simplifications, les idées fausses qu'elle véhicule peuvent présenter un danger de nature idéo- logique, nuire à la compréhension de l'autre, don- ner des arguments à toutes les formes de racisme, contribuer à l'obscurantisme. C'est là l'objet de ce petit livre. Vous qui êtes linguiste! Dites, vous qui êtes linguiste, qu'est-ce que ça veut dire, «apophtegme»? Et des anacoluthes, c'est quoi? Vous qui êtes linguiste, qu'est-ce qu'il faut dire : «Elle a l'air idiot», ou« Elle a l'air idiote»? Les élè- ves ne savent plus écrire le français! Vous qui êtes linguiste, qu'est-ce qu'on peut faire? Vous qui êtes linguiste, d'où ça vient,« divan»? C'est un mot turc ou persan? Désolée! Confrontée à un mot inconnu, je fais comme vous, j'ouvre mon dictionnaire. Et, si vous avez besoin de conseils sur le bon usage, le Grevisse est là pour ça. Contrairement à une illusion trop répandue dans le public, un linguiste n'est pas for- cément la personne la mieux placée pour vous expli- quer la règle de l'accord des participes. Un linguiste n'est pas un grammairien prescriptif* ni un puriste*, arbitre du bon usage. Jamais il ne manifeste contre le changement* linguistique et la croisade contre le franglais* n'est pas son affaire. Un linguiste ne 15 Catalogue des idées reçues sur la langue s'occupe pas de la langue telle qu'elle devrait être, mais de la langue telle qu'elle est, dans la diversité de ses formes et dans son usage vivant chez tel ou tel groupe de locuteurs. Bien que souvent sollicité, il n'a pas à prendre parti dans les querelles idéo- logiques, socioculturelles, dont la langue est l'enjeu. Il peut lui arriver, certes, de s'exprimer à titre per- sonnel sur le destin de sa langue maternelle ou de participer à une démarche d'aménagement concerté de la langue dans le cadre de ce que l'on nomme aujourd'hui les politiques linguistiques, mais il sort dans ces deux cas de la sphère de la science du lan- gage proprement dite. Un linguiste n'est pas non plus quelqu'un qui connaît l'origine de tous les mots. Il ne s'intéresse pas nécessairement à l'histoire de la langue. Le savoir étymologique, si prisé dans notre société, comme en , témoignent les rubriques spécialisées dans la presse, n'est qu'une fraction du champ de l'étude de la lan- gue. On peut très bien aborder un système de langue à un moment donné de son histoire sans se préoccuper le moins du monde des états antérieurs de ce même système. C'est le grand linguiste genevois Ferdinand de Saussure qui a imposé au début de ce siècle la dis- tinction fondamentale entre synchronie (l'étude de la langue à un moment donné) et diachronie (l'his- toire de la langue). La curiosité étymologique procède de la conscience qu'a tout sujet parlant que la langue évolue, ne reste 16 Vous qui êtes linguiste! jamais stable. La langue sollicite ainsi la réflexion et les interrogations du locuteur confronté au pourquoi du changement. Mais ce n'est pas la tâche fondamen- tale du linguiste aujourd'hui de répondre à ces inter- rogations. Ce que la grammaire historique, dont est issue la linguistique moderne, a apporté pour abor- der ce problème, c'est la notion de système. Toute langue est organisée en systèmes et en sous-systèmes régis par des lois. Le changement n'a donc pas un caractère anarchique. C'est ce que ne comprend pas toujours l'étymologiste en chambre, l'amateur de mots, habité par les fantasmes de la reconstruction des origines et à qui il manque trop souvent l'esprit de système. «Vous qui êtes linguiste, vous devez parler beau- coup uploads/Litterature/ marina-yaguello-catalogue-des-idees-recues-sur-la-langue 1 .pdf

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