ÉCOLE DOCTORALE III Littérature française et comparée Centre International d’Ét

ÉCOLE DOCTORALE III Littérature française et comparée Centre International d’Études Francophones T H È S E pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS - SORBONNE Présentée et soutenue par : Gaëlle REVIAL le 13 janvier 2012 Masque de l’écriture, écriture du masque Amélie Nothomb et le courant post-humain Sous la direction de Mme Beïda CHIKHI JURY Mme Beïda CHIKHI Université Paris IV – Sorbonne Mme Anne DOUAIRE Université Paris IV – Sorbonne Mme Lise GAUVIN Université de Montréal, Montréal Mme Marie-France RENARD Facultés de l’Université Saint-Louis, Bruxelles 2 POSITION DE THÈSE Le premier obstacle auquel se trouve confrontée la personne désireuse d’étudier l’œuvre d’Amélie Nothomb est sans doute la relative jeunesse de la romancière et nouvelliste belge : son travail se heurte alors, d’une part, à l’absence de maturation qu’offre traditionnellement la distance entre le temps d’écriture et celui de l’analyse et, d’autre part, à la difficulté d’examiner un corpus en évolution constante1. Conscients de ces difficultés, nous avons pourtant considéré qu’entreprendre une étude sur un écrivain contemporain et toujours actif – c’est-à-dire, indirectement, sur le ou les courant(s) littéraire(s) potentiellement contemporain(s) au(x)quel(s) il appartient – n’était pas impossible à condition de prendre certaines précautions. La première fut de définir un corpus de travail dont le terme nous laissait un minimum de temps de réflexion : pour cette raison, notre étude ne dépasse pas Le Voyage d’hiver, paru en 2009. La seconde nous fut inspirée par la lecture des Règles de l’art de Pierre Bourdieu, qui mettait en garde le critique littéraire contre les risques d’identification projective avec l’auteur étudié – identification qu’on imagine plus aisée encore avec un auteur de dix ans son aîné, et à laquelle ont, à notre avis, cédé beaucoup de commentateurs de l’œuvre nothombienne. Adaptant la démarche du sociologue, nous avons tenté de nous garantir contre ces écueils par une étude préalable de l’univers de positions à l’intérieur duquel la romancière a été située entre 19922 et 2009, ce qui revenait à envisager conjointement la situation du champ littéraire belge francophone face au puissant champ parisien, les rapports entre le champ de production culturelle et le champ du pouvoir, ainsi que leurs dernières évolutions. Cette approche, soucieuse de replacer l’œuvre d’Amélie Nothomb dans la lutte des différents champs tels que définis par Bourdieu, nous permettait également d’envisager notre étude d’une manière sensiblement différente des travaux préexistants3. L’un de ses principaux objectifs étant de décrire et d’analyser l’aptitude consciente ou inconsciente de la romancière à travestir sa pensée et ses véritables desseins, tant dans ses textes que dans ses apparitions publiques – ce dernier point nous ayant d’ailleurs amenés à considérer chez elle la présence d’un véritable personnage médiatique –, nous avons également jugé 1. Amélie Nothomb publie un roman par an depuis 1992. 2. Date de parution d’Hygiène de l’assassin, son premier roman. 3. Outre divers livres, articles et communications, Amélie Nothomb a fait l’objet de plusieurs mémoires et d’une thèse de doctorat (Laureline Amanieux, « Le récit siamois », thèse de doctorat en Littérature et civilisation françaises, Université Paris X Sorbonne, 2007). 3 préférable de l’accomplir sans solliciter d’entretien privé avec la romancière, jugeant les bénéfices potentiels de cet échange inférieurs à ses risques incontestables, et nous nous sommes donc contentés de recourir, lorsque cela semblait s’imposer, à des interviews écrites ou enregistrées, dont la profusion et la diversité de tons et de positions n’ont pas manqué de nous conforter dans notre choix. Ces dispositions prises, l’étude d’un écrivain temporellement si proche de nous se justifiait d’autant plus par la possibilité qu’elle offrait d’éclairer parallèlement les valeurs et les mutations d’une société en pleins bouleversements, tant du point de vue littéraire que philosophique ou éthique, a fortiori lorsqu’il conjugue des influences à la fois anciennes et ultracontemporaines, comme c’est le cas pour Amélie Nothomb. Le point de départ de notre réflexion fut la constatation d’une confusion croissante sur la nature des instances énonciatrices nothombiennes : était-elle sciemment entretenue, témoignait-elle d’une exigence quasi-obligatoire de la littérature des années 1990 - 2010 ? Nous rentrions ici dans un débat très actuel, qui plongeait alors un courant de romanciers récemment baptisés « posthumains »4 dans une controverse digne du procureur Pinard : fallait-il chercher la voix de l’auteur derrière celle de son narrateur ou de son personnage principal et, le cas échéant, pouvait-il être poursuivi pour immoralité ou propos répréhensibles ? L’une des caractéristiques de l’écriture nothombienne étant une mise en scène conséquente de la monstruosité et de l’abjection, la romancière devait-elle partager le sort de ces écrivains peut-être expéditivement qualifiés de malsains5 ou pouvait-il y avoir une explication plus littéraire dissimulée sous cette esthétique ? La lecture des romans et nouvelles d’Amélie Nothomb nous ayant maintes fois révélé, par le biais des descriptions des personnages comme de la finalité des thématiques évoquées, que l’apparence correspondait rarement à la réalité, il nous a donc semblé utile de nous pencher sur l’usage et la représentation du masque chez la romancière, tant pour éclairer ses textes que pour mettre en avant la singularité de son écriture ; un masque qui s’est peu à peu révélé indissociable de l’ensemble de son expression et dont la présence n’avait souvent été qu’effleurée par la plupart des travaux précédents. 4. Si le terme était déjà employé dans les domaines de l’art et la philosophie, sa première application à la littérature remonte, à notre connaissance et concernant les travaux universitaires, à l’année 2006 (Maud Granger Remy, « Le Roman posthumain », thèse de doctorat de Littérature générale et comparée, Université Paris III Sorbonne, juin 2006). Se trouvaient alors regroupés sous ce qualificatif les Français Michel Houellebecq et Maurice G. Dantec, et les Américains William Gibson et Bret E. Ellis. 5. Citons, de manière non exhaustive et en considérant exclusivement les romanciers européens, Michel Houellebecq, Virginie Despentes, Christine Angot, Catherine Millet, Maurice G. Dantec ou Marie Darrieussecq. 4 Dans un premier temps, nous nous sommes intéressés à la manifestation la plus évidente de ce masque : l’existence d’un faux visage métaphorique chez nombre de personnages. Du plus léger voile, destiné à la vie sociale ordinaire, jusqu’au travestissement le plus artificiel, apte à rendre possible de complexes machinations ; de l’outil occultant favorablement les projets d’un justicier à ses ennemis jusqu’à l’accessoire déformant de manière funeste la réalité aperçue par son porteur, toutes les sortes de masque semblaient avoir trouvé bon accueil dans l’univers nothombien. Indéniable ressort dramatique, le motif récurrent du masque pouvait aussi simplement témoigner de l’appartenance de l’auteur aux lettres belges de langue française, comme thème indissociablement lié à leur positionnement dans le champ littéraire européen. L’évolution récente des rapports interchamps, comme la profusion de ces masques chez la romancière, plaidait cependant pour davantage d’explications. S’est alors posée la question de la vision du monde ainsi proposée au lecteur : image apocalyptique d’individualités égocentrées, corrompues par le mensonge jusqu’au crime ou démissionnaires et blâmables, incapables de nouer de véritables relations ? Nous retrouvions à cette occasion l’une des interrogations majeures liées à la littérature posthumaine : sa représentation d’une société médiocre et abjecte relève t-elle d’une glorification du mal ou, au contraire, de sa dénonciation ? C’est à ce dernier argument que correspondait à notre avis la démarche d’Amélie Nothomb, peignant certes une société contaminée par la dissimulation et emplie de prédateurs de toute sorte, mais démontrant également comment se comporter pour y survivre, y compris en faisant à son tour usage du masque, cet artefact tellement ambivalent. Nous avons retrouvé cet usage didactique dans la deuxième partie de notre travail, qui tentait cette fois de cerner les implications de ce masque au cœur même de la création nothombienne. Qu’il se manifeste au travers de l’écriture thématique et stylistique ou grâce aux émissaires constitués par les personnages littéraires ou publics de la romancière, le masque nous est apparu alors comme une réelle constante de la voix d’Amélie Nothomb. Suivant un cheminement nervalien et orphique, influençant la majeure partie de ses romans et symbolisé par le poème « El Desdichado »6 maintes fois évoqué par Épiphane, le monstrueux amoureux d’Attentat7, nous avons entrepris d’examiner les grands axes de cette écriture : l’amour, valeur absolue et exigeante, dissimulant presque qu’inexorablement l’excès et le crime ; la quête identitaire, liée à la perte inconsolable du Japon natal, révélant une nouvelle lecture au motif de la culpabilité originelle et à l’ennemi intérieur ; l’écriture, métaphore 6. Gérard de Nerval, Les Filles du feu [1854], Paris, Flammarion, coll. « Garnier-Flammarion », 1994. 7. Amélie Nothomb, Attentat, Paris, Albin Michel, coll. « Le Livre de Poche », 1997. 5 conjointe de la lyre et du culte à mystères d’Orphée. La monstruosité, qui avait déjà retenu notre attention, s’est quant à elle imposée comme une thématique particulièrement féconde. Amenant à nouveau notre réflexion vers les enjeux de la littérature posthumaine, elle a posé le problème du scandale littéraire, suspecté d’amoindrir la production culturelle par une recherche pathologique de publicité. Nous avons alors pu observer qu’en dépit d’un marché des biens culturels en perte évidente d’autonomie (amenant la littérature uploads/Litterature/ position-de-these-revial 1 .pdf

  • 32
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager