BIOGRAPHIE DE JUVÉNAL Nous aurions grand besoin d'être renseignés sur la vie de
BIOGRAPHIE DE JUVÉNAL Nous aurions grand besoin d'être renseignés sur la vie de Juvénal pour éclairer la portée et le sens véritables de son œuvre. Or, il en est peu, parmi les grands écrivains de Rome, dont la biographie soit plus difficile à établir. Les seuls témoignages certains que nous puissions invoquer se tirent soit des satires elles-mêmes, soit des épigrammcs de Martial et ils sont en bien petit nombre, on sait que la manière oratoire de Juvénal exclut les confidences personnelles où se plaisaient Lucilius et Horace, quant à Martial, dans les trois épigrammes où il nomme son ami, il est bref, selon son habitude et les lois du genre. Nos manuscrits nous ont, il est vrai, conservé une douzaine, au moins, de biographies (1) mais celles-ci remontent toutes à un même original, aujourd'hui perdu, dont la source et la valeur demeurent incertaines. De plus, à côté d'une ou deux indications utiles et de quelques paraphrases aventureuses du texte même des satires, elles n'offrent guère que des variations sur un même thème : l'exil, réel ou légendaire, de Juvénal. 1. J. Dürr (Das Leben Juvenals, progr. d'Ulm, 1888) en donne douze, dont sept déjà publiées par O. Jahn dans son édition de 1851, p. 386 et suiv. Voici donc tout ce qu'il nous est permis d'affirmer ou de tenir pour probable. Date et lieu de la naissance de Juvénal. Notre poète s'appelait, d'après divers manuscrits, "Decimus lunius luuenalis" (1). Les biographies font de lui le fils ou l'enfant adoptif d'un riche affranchi : « lunius luuenalis, lisons-nous dans celle qui paraît être la plus ancienne (2), libertini locupletis incertum est filius an alumnus ». Le témoignage manque de précision, et il a peu de vraisemblance puisque Juvénal, à maintes reprises, parle des affranchis avec un mépris qu'on ne s'expliquerait guère en pareil cas. De plus, le surnom de" luuenalis", porté par des hommes considérables (3), eût été insolite pour un affranchi, II est impossible de fixer pour la naissance de Juvénal une date précise. Martial écrivait, dans son livre VII, publié vers l'année 92 après J. C. : « Toi qui cherches à me brouiller avec mon cher Juvénal, que n'oseras-tu pas dire, langue perfide? Horreur ! avec tes mensonges, Oreste eût pris en haine Pylade, etc. (4). 1. Le prénom, se trouve notamment dans le Lanrentianus XXXIV, 42 et dans les Vossiani 18 et 64. Le Pithoeanus ne donne que le nom de famille. 2. On la trouve dans le Pithoeanus à la suite des Satire. 3. Par exemple L Cassius Iuuenalis, consul " suffectus " avec Q. Pomponius Musa à l'époque d'Antonin le Pieux. 4. Martial, VII, 24. Et nous lisons plus loin, dans le même livre : « De mon petit domaine, éloquent Juvénal, je t'envoie, pour les Saturnales,les noix que voici, etc.(1) ». Ainsi donc, dès l'année 92 après J. C., Juvénal était lié avec Martial, c'est-à-dire avec un poète célèbre, et très familièrement, comme on peut en juger par le ton fort libre des deux épigrammes, dès lors, aussi, il s'était fait une réputation d'homme éloquent. Ne devons-nous pas admettre, de toute évidence, qu'il avait, à cette date, vingt-cinq ans, au moins, et, par conséquent, qu'il était né, au plus tard, vers l'année 65 après J. C. ? Mais il se peut aussi qu'il soit né beaucoup plus tôt. Il nous indique lui-même le lieu de sa naissance quand il fait dire à son ami Umbricius (3,318-321) : « Toutes les fois que Rome te rendra, impatient de te refaire, à ton Aquinum, fais-moi venir de Cumes, vers Cérés Helvina et vers votre Diane ». Aquinum était une ville de la Campanie, municipe, puis colonie, située dans l'ancien pays des Herniques, là où est aujourd'hui la province de Caserte, au sud de la Voie latine, au nord-ouest de Capoue (2). Comme Lucilius, né à Suessa Aurunca, dans le Latium, comme Horace, né à Venouse, en Lucanie, comme Perse, né à Volterra, en Etrurie, notre satirique était donc originaire de la péninsule italienne. Les études de Juvénal. Sa carrière oratoire. De ses premières années, Juvénal ne nous a presque rien dit. Il rappelle seulement qu'il a fréquenté l'école du grammairien et celle du rhéteur « Moi aussi; dit.ji; j'ai rétracté . ma main devant la férule, moi aussi, j'ai conseillé à Sylla d'aller chercher dans la vie privée un sommeil profond » (1, 15-17). 1. Martial, VII, 91 : 2. On y faisait des imitations de la pourpre de Tyr. Horace parle quelque part (Epist. 1,10, 26-27) de l'homme qui ne sait pas faire la différence entre la pourpre de Sidon et les laines teintes à Aquinum. En revanche, il négligea l'étude de la philosophie : « Ecoute, dit-il à Calvinue (13, 120-123), quelles consolations peut t'apporter là contre un homme qui n'a lu ni les cyniques, ni les dogmes des stoïciens et qui ne révère point Epicure. » De fait, la philosophie théorique de Juvénal se réduit à quelques sentences, à quelques lieux communs, d'inspiration généralement stoïcienne, mais devenus un domaine banal pour les rhéteurs aussi bien que pour les philosophes (1). Je n'oublie point qu'il ne croit pas aux enfers (2, 149-153) et parle sans respect des dieux de l'Olympe (6, 15 et 69 ; 13, 40 et suiv.), auxquels, pourtant, il sacrifie (12, 1 et suiv., 83 et suiv.). Mais, depuis longtemps, la mythologie et le culte traditionnels n'étaient plus, aux yeux des Romains de quelque culture, qu'un symbolisme. Juvénal n'a commencé à écrire, ou, du moins, à publier, qu'après la mort de Domitien (96 après J. C.) La satire 1, qui sert de préface à son œuvre, est postérieure à l'année 100, puisqu'on y trouve une allusion à la condamnation de Marius Priscus, qui est de cette année-là. Aussi bien le poète y parle- t-il du barbier dont le rasoir, dans sa jeunesse, faisait crier sa barbe (1, 25) : c'est nous dire qu'il n'est plus jeune. Comment avait-il employé la première partie de sa vie et mérité ce renom d'éloquence dont Martial nous est garant? au barreau? dans l'enseignement de la rhétorique? dans les salles de déclamation? Nous serions fort embarrassés pour répondre si nous ne lisions, dans la biographie déjà citée ci-dessus : « Ad mediam fere aetatem declamauit animi magis causa quam quod scholae se aut foro praepararet », 1. Aussi, malgré les coïncidences nombreuses entre Sénèqoe et Juvénal relevées par Mayor dans son édition et par Schfitze dans son luvenaliê ethicua (dissertation de Greifswald 1906), ne faut-il pas se hâter de conclure à une influence directe du premier sur le second. Notons, cependant, que Juvénal parle de Sénèque avec admiration (8, 212) et qu'il y a plus d'un rapport d'esprit et de manière entre les deux écrivains. Nous savons d'ailleurs par Quinti-lien quelle séduction le génie de Sénèque avait longtemps exercée sur les jeunes gens dans les écoles de rhétorique c'est-à-dire : « Juvénal se livra à la déclamation jusque vers le milieu de son existence, et cela par goût plutôt que pour se préparer au métier de professeur ou d'avcat » Notre poète aurait donc été, pendant de longues années, un de ces amateurs qui, prolongeant jusqu'à la vieillesse les exercices de l'école, faisaient applaudir par un public de lettrés et d'oisifs les "Controverses" et les "Suasoires" où ils s'efforçaient de rajeunir, par des « couleurs » ingénieuses et des « traits » piquants ou vigoureux, des matières rebattues (1). L'assertion du biographe anonyme s'accorde parfaitement avec tout ce que nous pouvons connaître ou inférer d'autre part. Il est certain qu'en l'année 100 de notre ère, date approximative des premières satires, Juvénal est au milieu de son existence car celle-ci, commencée au plus tard vers 65 après J.-C., ne sera pas encore terminée sous le consulat d'Emilius Juncus, c'est-à-dire en 127 (cf. 15, 27). Nous savons aussi que le poète n'était pas sans ressources : il nous parle de son bien patrimonial (6, 57), il nous apprend qu'il possédait une maison à Rome (12, 89 et suiv.), et une propriété rurale à Tibur (11, 65 et suiv.). Rien ne l'obligeait, par conséquent, à chercher dans son éloquence un gagne-pain, et il a pu l'exercer pendant de longues années uniquement pour se faire un nom. Enfin, quand on a réservé, dans son oeuvre, la part de l'artiste original, et je ne songe pas à la réduire, il reste un rhéteur qui conçoit l'ensemble de ses satires d'après un plan très artificiel ; qui se soucie peu, chemin faisant, de la juste proportion des parties ; qui abuse des hors-d'œuvre, digressions, parenthèses dont il peut attendre un effet, qui s'attarde aux énumérations d'exemples, notamment d'exemples pris à l'histoire, qui multiplie les gradations, les antithèses, les hyperboles, les apostrophes, les interrogations pathétiques, et, par dessus tout, les « traits » de toute nature. J'ajoute que l'éloquence d'école était une bonne préparation à cette sature presque toujours oratoire et volontiers descriptive dont Juvénal est pour noua le créateur. 1. Voy. J. de Decker : "Juvenalis declamans" : étude sur la uploads/Litterature/ juvenal.pdf
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- Publié le Jan 11, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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