Mise en garde Si vous lisez ce livre et que vous êtes designer, vous serez peut
Mise en garde Si vous lisez ce livre et que vous êtes designer, vous serez peut-être tenté de changer de profession. Vous êtes prévenu. Pourquoi ne pas être designer. PAR JEAN-MICHEL TARDIF & 60 DESIGNERS 6 Zone précaire En tant qu’étudiant qui s’apprête à quitter le banc d’école pour le dur marché du travail, je suis semé par le doute. La peur d’avoir mal choisi ma profession m’envahit peu à peu. Toutefois, on dit toujours qu’il faut foncer tête première dans nos peurs et les affronter pour en sortir grandi. C’est ce que j’ai décidé de faire. J’ai souvent entendu des discours vantant les mérites du métier de designer, mais la vision contraire semble très peu répandue. Toutefois, je crois qu’il est important de connaître les deux points de vue afin d’être mieux préparé à la réalité. C’est pourquoi, dans ce livre, j’explore le côté sombre de ce métier avec ma vision d’étudiant. Cependant, j’ai voulu avoir également l’avis de professionnels dans le domaine afin d’avoir une opinion globale sur ce sujet délicat. Je leur ai tout simplement demandé : Pourquoi ne pas être designer1 ? Avec surprise, je me suis aperçu que je suis loin d’être le seul à m'être déjà posé la question. Peut-être vous poserez-vous, vous aussi cette question, après lecture de ce livre. 1 Le terme « designer » utilisé tout au long de cet ouvrage fait référence au designer graphique. Néanmoins, il est possible que les « designers » d’autres disciplines se sentent tout aussi interpellés par le questionnement soulevé par ce livre. 7 8 Ma réponse Instinctivement, plusieurs réponses me viennent en tête. Celle qui me tracasse le plus à l’heure actuelle serait le stress relié à cette profession. Dans mon parcours d’étudiant, j’ai eu l’occasion de réaliser quelques stages en entreprise qui m’ont appris beaucoup sur le métier de designer dans un contexte de travail. Malheureusement, j’ai trop vu de personnes exténuées, en « burn-out », êtres soumises à l’incompréhension de leurs collègues, qui, de leur côté, sont régulièrement exposés à ce type de scénario. Nous pourrions croire que l’on risque d’être victime de cette maladie, peu importe notre champ d’activité, mais plusieurs aspects de notre profession m’apparaissent comme étant des facteurs-clés pouvant mener directement à un épuisement total. Dévalorisation ( fig. 1 ) Le designer est la personne qui doit synthétiser une montagne d’informations afin de réussir à faire passer un message. Cet état mental demande une concentration et une attention de chaque instant. Notre métier est généralement perçu comme étant une simple activité à caractère esthétique. Le crédit accordé à l’aspect fonctionnel et à l’importance de la communication au cœur de nos réalisations est souvent négligé. Pour bien communiquer, il faut plaire à celui qui regarde, cela va de soi. Cependant, nous ne créons pas uniquement de belles images, figure 1 figure 2 figure 3 figure 8 figure 9 @$%* figure 4 figure 5 $ $ figure 6 figure 7 10 une longue réflexion se trouve derrière chaque projet, dans nos têtes, imperceptible pour le lecteur. Notre métier me semble ainsi dévalorisé et perçu comme un simple jeu, où tout est ludique et facile, sans aucune contrainte. Improvisation ( fig. 2 ) Puisque notre métier est plutôt considéré comme un service, et qu’aux yeux de plusieurs, aucun diplôme n’est nécessaire pour exercer cette profession, on se retrouve avec une offre de services considérable, peu coûteuse et peu crédible auprès de la population. Grâce à la facilité d’utilisation de certains logiciels, n’importe qui peut désormais s’improviser graphiste, infographiste ou designer graphique, puisque ces mots laissent place à l’interprétation. Nous laissons des graphistes de sous-sol enlaidir nos murs, en proclamant qu’ils ont les mêmes connaissances qu’un designer graphique ayant une solide formation appuyée par une technique, ou un baccalauréat. Je me demande si nous ferions confiance à un psychologue non diplômé, qui aurait tout appris par lui-même en lisant des tutoriels sur des sites internet. Histoire sans fin ( fig. 3 ) Plus tôt, j’ai mentionné le fait que la majeure partie de notre travail se fait dans notre tête. Notre cerveau est donc notre principal outil, et a l’avantage de nous permettre de créer en 11 tous temps. Cette réalité de pouvoir travailler n’importe où et à n’importe quelle heure est à la fois une qualité et un défaut. Nous sommes en constante recherche d’idées : en prenant notre douche, en mangeant, en marchant dans la rue, en regardant la télévision. Ça nous empêche même de dormir et quand on finit par trouver le sommeil, on rêve à nos projets ou alors on en fait des cauchemars. Il semble impossible de mettre fin à nos réflexions. Pour ma part, j’ai souvent l’impression de me retrouver dans une histoire sans fin et d’être prisonnier de mes pensées. Tiens, c’est étrange, on dirait que je me prénomme Bastien et que je m’en vais rencontrer la petite impératrice. Dépendance à la caféine ( fig. 4 ) C’est au début de mes études en design que j’ai découvert une merveilleuse drogue qu’on appelle le café. Je crois qu’il n’est pas nécessaire d’élaborer davantage le sujet. D’ailleurs, je vais en profiter pour aller m’en préparer un. Pression ( fig. 5 ) Il nous arrive souvent d’être la personne ressource, celle qui réunit tous les morceaux du casse-tête dans le but de rendre le tout fonctionnel. Malheureusement, ce rôle est en général le dernier maillon de la chaîne avant le passage sous presse. Aux yeux d’une majorité, l’imprimeur lui, ne peut changer ses délais d’impression puisque son horaire dépend d’une machine 12 qui ne peut aller plus vite. Qui doit donc remettre son travail pour la journée d’hier, tout en attendant le texte final corrigé version n°6 de même que des images qui nous seront fournies demain ? En bref, on nous demande l'impossible. C’est cette pression-là qui me rend dingue et qui fait augmenter mon rythme cardiaque. Designer pour la minorité ( fig. 6 ) Les designers ont parfois de la difficulté à voir autre chose que leur propre nombril. Je veux parler ici de l’éthique du designer. Sur cette planète, nous sommes près de 7 milliards d’êtres humains qui coexistent sur la même petite sphère. Cependant, certains ont plus de chance que d’autres, certains sont en mesure de bien vivre, de bien manger, d’avoir un toit alors que d’autres n’ont même pas accès à l’eau potable. En tant que designers, nous avons la capacité d’améliorer certaines situations dans le monde par la sensibilisation. Pourtant, peu de designers vont choisir de mettre généreusement et périodiquement leur talent de communicateurs au service de l’amélioration de la vie du 90 % de la population la plus démunie. Ordinateur ( fig. 7 ) Dans mon cas, cet outil de travail est véritablement devenu un boulet, attaché malgré moi à mon pied. Je suis issu de la génération de la technologie et je suis conscient de ses avantages, mais je me suis rendu compte de ses inconvénients un peu trop 13 tard. J’ai peur de compter le nombre d’heures par jour où je me retrouve fixant mon écran. Je suis dépendant de cette boîte de métal, je passe tout mon temps à naviguer, à jeter un œil à mes courriels, à consulter mon profil facebook pour enfin en arriver à travailler sur mes projets. Cet outil a facilité notre manière de travailler grâce à certains aspects techniques de notre métier, mais il nous a soumis à son utilisation effrénée. De plus, il aura une influence sur les réalités physiques de notre corps qui font qu’à 35 ans, je me retrouverai peut-être avec de la myopie, des courbatures et de l’arthrite, en ayant été assis la moitié de ma journée devant un écran d’ordinateur. Copions, collons ! ( fig. 8 ) En parlant de l’ordinateur, je ne peux passer sous silence le monde merveilleux d’internet. Cet univers nous a permis de faciliter la transmission de l’information, des idées et des projets. Néanmoins, cet espace a aussi laissé place au piratage et à la copie de tout ce qui s’y trouve. Nous avons accès à une grande bibliothèque, sans restriction et à nos yeux, complètement libre de droits. Dans le domaine de la création, la question du plagiat est encore tabou. Où s’arrête la frontière de la copie d’une idée, d’un concept ? Est-ce que deux personnes à deux endroits différents de la terre peuvent avoir la même idée sans qu’elles ne s’accusent mutuellement de plagiat ? J'ai souvent entendu la phrase disant que tout a déjà été fait auparavant dans notre discipline, alors devrais-je être un photocopieur toute ma vie ? 14 Le client n’a pas toujours raison ( fig. 9 ) Tout au long de notre carrière de designer, nous aurons une multitude de clients qui auront chacun différents projets à nous proposer. Cela veut aussi dire que nous aurons tout autant de personnalités différentes à déchiffrer afin de discerner les goûts personnels des véritables besoins de notre clientèle. Nous sommes des professionnels, nos connaissances et notre formation font que nous uploads/Litterature/ pourquoi-ne-pas-etre-designer.pdf
Documents similaires
-
9
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mar 09, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 2.0147MB