Emmanuel Kant Qu'est-ce qu'un livre ? Textes de Kant et de Fichte traduits et p

Emmanuel Kant Qu'est-ce qu'un livre ? Textes de Kant et de Fichte traduits et présentés par JOCELYN BENOIST Maître de conférences à l'Université de Rennes I Préface de Dominique Lecourt QUADRIGE / PUF PRÉFACE ISBN 2 13 046763 6 ISSN 0291-0489 Dépôt légal — 1' édition « Quadrige s : 1995, mars © Presses Universitaires de France, 1995 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris Voici un livre qui présente quelques textes brefs et denses por- tant sur la question : « Qu'est-ce qu'un livre ? » Il n'est évidem- ment pas indifférent qu'ils aient été écrits et publiés, entre 1789 et 1791, en Allemagne par Kant, dont on verra que Fichte, à sa manière, a pris le relais. Jocelyn Benoist montre très bien dans la substantielle intro- duction qu'il a rédigée pour cette traduction ce que leur argu- mentation doit à leur inscription dans la conjoncture déterminée où ils prennent résolument parti. La fin du XVIIIe siècle a été, en matière de « librairie », le temps des règlements. Ces textes marquent l'issue d'une véritable guerre des contrefaçons mettant aux prises les libraires flamands, hollandais, genevois, mais aussi anglais, français et, surtout, allemands. Si les ouvrages de théologie et de dévotion constituent encore l'essentiel de la production éditoriale en Europe jusqu'au début des années 1730, la littérature profane — sciences et belles let- tres — ne cesse d'accroître sa part. Un « public » s'est constitué au sein d'une bourgeoisie active qui se veut éclairée; ce public com- mence à s'étendre à d'autres couches sociales d'alphabétisation récente. D'où la vague de livres didactiques et de dictionnaires qui se répandent, et l'apparition des petits livres littéraires que l'on peut mettre dans sa poche. Les progrès techniques aidant, la litté- rature de colportage gagne sans cesse des positions, et entretient un 6 Qu'est-ce qu'un livre ? Préface 7 bouillonnement intellectuel périlleux pour l'ordre établi. En France, l'Etat tente, depuis Colbert, d'imposer aux imprimeurs un ordre et un contrôle efficaces par le système dit des « privi- lèges ». Un bureau de la librairie créé à la chancellerie depuis 1701 enregistre théoriquement tout ce qui s'imprime sur le territoire national. Aux uns, il accorde un privilège général valable pour toute la France, aux autres un privilège local. Les frontières font l'objet d'une surveillance toute spéciale. jusqu'à ce que Malesherbes devienne directeur de la librairie et s'emploie à favoriser les philosophes, la politique du bureau s'était avérée franchement hostile aux livres nouveaux, et tout particulièrement aux ouvrages émanant des milieux protestants. De là des négocia- tions et des compromis, et la mise en place d'un système de permis- sions tacites d'imprimer certains ouvrages sous couvert de fausses adresses. Le privilège accordé à un « libraire » se transmettait dans sa famille de génération en génération. Ni les auteurs, ni leurs héri- tiers n'y trouvaient évidemment leur compte. De surcroît, les libraires de Paris se trouvaient favorisés parce que, proches du bureau, ils étaient mieux connus de lui et plus aisément contrôla- bles. Pendant la deuxième moitié du siècle, la province s'était donc alliée à la Hollande pour tourner le système. On avait vu prolifé- rer de nombreux centres d'impression clandestine. En Allemagne, la situation était, à bien des égards, ana- logue : la censure politique se faisant de plus en plus rigoureuse, les contrefaçons s'y étaient également multipliées au détriment des intérêts des auteurs. Depuis les mémorables travaux de l'ingénieur canadien Mar- shall McLuhan, on considère non sans raison que la formation de la « galaxie Guntenberg » a constitué un événement majeur dans l'histoire de la culture européenne. L'auteur de La fiancée mécanique (1951) allait jusqu'à imputer à l'apparition de l'imprimerie une mutation anthropologique, dissociant l'oeil des autres organes des sens, et le privilégiant par rapport à l'oreille, souveraine dans les cultures orales antérieures, par lui qualifiées de « primitives ». On récuse aujourd'hui le plus souvent autant cet évolutionnisme sommaire que le déterminisme technologique strict de la thèse centrale; la formule célèbre selon laquelle le médium constitue le message (medium is message) continue pourtant d'envoûter les meilleurs esprits. Mais on perd alors de vue l'enjeu décisif des questions juridiques concrètes abordées par les textes qu'on va lire : la structuration d'une profession (« le livre ») et la constitution d'un marché (le « marché du livre ») ; deux événements qui ont contribué, au moins autant que l'ingé- niosité des imprimeurs de Mayence au XVe siècle, à former « notre » monde. Cet enjeu rend pourtant compte de la nouveauté des argu- ments avancés par Kant par rapport à ses devanciers. Il leur confère une saisissante actualité au moment où nous voyons les nouvelles techniques de reproduction et de diffusion mettre en péril le système des notions juridiques fondamentales qui s'atta- chent à ce que nous appelons la « propriété littéraire ». A la question « Qu'est-ce qu'un livre ? l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert apportait une réponse strictement histo- rique et technique (« matière » du livre, « corps » et présentation des ouvrages...) avant de présenter une défense et illustration du livre comme « asile de la vérité »... La réflexion de Kant part, quant à elle, de la formulation juridique de la question parce qu'il l'aborde précisément sous l'angle de la « contrefa- çon ». De là vient qu'il soit conduit à préciser le sens même des 8 Qu'est-ce qu'un livre ? Préface 9 notions d'auteur et d'éditeur afin de définir leurs droits respec- tifs, selon des catégories juridiques référées aux principes du droit naturel. La figure de l' « éditeur », en particulier, y prend sa forme moderne; et Kant contribue à fixer un vocabulaire jusqu'alors hésitant. Héritier du latin impérial editor, le mot « éditeur » n'était apparu, par exemple, en français qu'en 1732. Il dési- gnait tout à la fois celui qui prépare et établit un manuscrit pour l'impression et celui qui assure la publication et la mise en vente d'un ouvrage imprimé. C'est Voltaire qui, en 1775, avait assuré la prévalence de cette dernière acception. On sait que la langue anglaise, de son côté, a enregistré la distinction des deux fonc- tions, mais en conservant au verbe to edit son premier sens étroitement technique pour réserver to publish à la fonction que nous appelons « éditer ». Toujours est-il que la divergence de la position de Fichte par rapport à celle de Kant fait bien apparaître la portée générale du débat à première vue circonstanciel et limité qui porte sur le cas d'une marchandise particulière — le « livre » — et la légiti- mité de sa reproduction. L'un et l'autre distinguent la réalité « corporelle » ou matérielle du livre et sa réalité spirituelle. Kant « déduit » le droit de l'éditeur comme un « droit personnel affirmatif » qui consiste non dans la propriété d'une chose mais dans celui de « traiter une affaire au nom d'un autre »; Fichte recourt à la notion d' « usufruit ». On verra les conséquences pratiques importantes de ce désaccord philosophique. De cet épisode inaugural, juristes et éditeurs pourraient sans doute conjointement tirer cette leçon : que lorsqu'il doit, dans l'urgence comme il arrive le plus souvent, combler l'un de ses « vides », le droit se trouve contraint de redécouvrir les présup- posés philosophiques de ses constructions. Les juristes doivent alors admettre, au rebours de leur propre conviction spontanée, que leurs catégories ne reposent nullement sur elles-mêmes. Les difficultés qui affectent aujourd'hui le marché du livre du fait de l'usage sauvage de la photocopie, les équivoques qui pèsent sur la notion de « droit d'auteur » lorsque sont mis en jeu les nouveaux supports informatiques de la production intellectuelle, mais aussi sans doute, sur un autre registre, les controverses por- tant sur le droit du vivant (a-t-on le droit de breveter une séquence d'ADN ?) n'invitent-elles pas à un réexamen philoso- phique d'une ampleur et d'une radicalisé analogues, si l'on veut, du moins, maîtriser et orienter un processus dont on voit bien le péril pour l'intelligence et pour l'éthique qu'il y aurait à l'aban- donner au simple jeu des « lois du marché » ? Tel n'est sans doute pas le moindre intérêt des pages qu'on va lire que d'indiquer les bases d'un tel réexamen. Dominique LECOURT. INTRODUCTION par Jocelyn Benoist Qu'est-ce qu'un livre ? Création, droit et histoire LE PROBLÈME DES PHOTOCOPIES L'évolution technologique des quarante dernières années a rendu toute son actualité à un débat caractéris- tique des Lumières, dans la rencontre d'un projet de dif- fusion accélérée du savoir (aujourd'hui mis au goût de « l'ère de la communication ») et du problème inévitable de sa juridifaction : il y va du statut et de la portée de ce qu'il est convenu d'appeler la « propriété littéraire ». Cette question se pose de façon renouvelée, à la mesure de moyens de communication nouveaux qui mettent en question le support même du type de propriété dont ce genre de biens « immatériels » (la création, l' « idée » litté- raires) fut l'objet : uploads/Litterature/ qu-x27-est-ce-qu-x27-un-livre-kant-immanuel.pdf

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