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Tous droits réservés © Tangence, 2014 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 9 sept. 2021 18:16 Tangence Une foi exemplaire ? Abraham, Esther et David à l’épreuve de la tragédie huguenote An exemplary faith? Abraham, Esther and David standing the test of Huguenot tragedy Ruth Stawarz-Luginbühl L’exemplarité de la scène : théâtre, politique et religion au XVIe siècle Numéro 104, 2014 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1026239ar DOI : https://doi.org/10.7202/1026239ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Tangence ISSN 1189-4563 (imprimé) 1710-0305 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Stawarz-Luginbühl, R. (2014). Une foi exemplaire ? Abraham, Esther et David à l’épreuve de la tragédie huguenote. Tangence, (104), 27–50. https://doi.org/10.7202/1026239ar Résumé de l'article Les tragédies bibliques qui furent composées par plusieurs auteurs réformés à l’orée des guerres de religion (1550-1570 : Bèze, Coignac, A. de La Croix, Rivaudeau, Des Masures, La Taille) ont cette particularité de proposer des intrigues construites autour d’une crise d’ordre tout à la fois politique et spirituel. Les héros ainsi confrontés à un événement grave, capable de remettre en question l’Alliance jadis conclue avec Dieu, sont-ils, au coeur de la tourmente, des fidèles exemplaires ? Pour répondre à cette question, nous tentons, dans un premier temps, de mieux cerner la figure de l’élu souffrant (Job et Abraham) telle qu’elle ressort des Sermons sur Job et du Commentaire sur la Genèse de Calvin. Sur la base de cette réflexion préliminaire, la seconde partie de l’article se donne pour objectif d’interroger, à travers un survol synthétique du corpus, les modalités dramaturgiques régissant la représentation du fidèle mis à l’épreuve. no 104, 2014, p. 27-50. Une foi exemplaire ? Abraham, Esther et David à l’épreuve de la tragédie huguenote 1 Ruth Stawarz-Luginbühl Université de Neuchâtel […] Dieu a un tel empire sur ses creatures, qu’il en peut disposer à son plaisir, et quand il mons- trera une rigueur que nous trouverons estrange de prime face, toutesfois que nous ayons la bouche close pour ne point murmurer : mais plustost, que nous confessions qu’il est juste, attendans qu’il nous declare pourquoy il nous chastie 2. Dans ce bref passage extrait des lignes introductives des Sermons sur Job, qui, un temps, fut le livre de chevet de Coligny, Calvin pose en quelques mots les principes moraux et herméneu- tiques censés guider celui qui, à l’image de Job, affronte souffrances et adversités envoyées, de façon incompréhensible, par Dieu. Face 1. Ces pages s’inspirent, au moins partiellement, de la problématique et des conclusions développées dans ma thèse, parue en 2012 chez Droz à Genève sous le titre Un théâtre de l’épreuve. Tragédies huguenotes en marge des guerres de reli- gion en France (1550-1573). 2. Jean Calvin, Sermons sur Job, dans Joannis Calvini opera quae supersunt omnia [en ligne], éd. Edouard Cunitz, Johann-Wilhelm Baum et Eduard Wilhelm Eugen Reuss, Brunsvigae, C. A. Schwetschke, 1863-1900, 58 vol., vol. 33, colonne 21, URL : http://archiveouverte.unige.ch/vital/access/manager/Repository/unige:650? f0=type%3A%22Livre%22&query=Jean+Calvin. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle CO, suivi du volume et de la colonne, et placées entre parenthèses dans le corps du texte. 28 Tangence à des événements suscitant la perplexité et l’effroi, voire le doute sur les intentions ultimes du Créateur, le fidèle est invité à se taire « pour ne point murmurer », comprenons : pour ne pas avancer des interprétations hâtives, empreintes d’une compréhension purement humaine des causalités et possiblement synonymes d’une posture de révolte ou de désespérance. Cette suspension de la faculté cri- tique doit intervenir au cœur de l’épreuve, dans l’attente « que Dieu nous ait monstré quelle sera l’issue des afflictions » (CO, 33, 135). Elle participe ainsi de cette volonté de désangoissement qui carac- térise, selon Denis Crouzet, l’ensemble de la pensée calvinienne : en se tenant « en suspens » (CO, 34, 537), c’est-à-dire en renonçant à préjuger de l’issue sur la base d’apparences qui ne sauraient être que trompeuses, le fidèle non seulement s’applique à demeurer récep- tif, dans une attitude de foi et d’espérance, aux voies insoupçonnées qu’il arrive à Dieu d’emprunter pour accomplir ses promesses, mais il continue de croire en son propre salut — en dépit de signes néga- tifs qui s’obstinent à insinuer qu’il est, en réalité, « réprouvé de Dieu » (CO, 34, 58). Il s’agit là en effet d’un risque spirituel majeur, que Calvin n’a jamais cessé de combattre en déniant au récit des tribu- lations d’Israël toute dimension eschatologique et en les inscrivant, simultanément, dans une herméneutique de l’épreuve 3. L’exégèse de la geste israélite a ainsi vocation à répondre aux questionnements et aux doutes du nouveau peuple élu, les huguenots, persécutés, pros- crits, massacrés dans leur propre pays. Or, la phrase « Que nous ayons la bouche close » est aussi un octo- syllabe qui figure textuellement dans l’Abraham sacrifiant, la « trage- die françoise » que Théodore de Bèze compose en 1550 à l’intention des étudiants de l’Académie de Lausanne. C’est en s’adressant à Sara, 3. Voir ce passage de Denis Crouzet (Les guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion, vers 1525-vers 1610 [1990], préface de Pierre Chaunu, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Les classiques de Champ Vallon », 2005, t. i, p. 220) : « Les prophéties de l’AT [Ancien Testament] sont une propédeutique du Sola Fide. À travers l’analyse que Calvin donne d’elles, l’eschatologie est gommée ; elles ont pour fonction de certifier que Dieu, s’il lâche la bride aux méchants et impies, ne le fait que pour éprouver la fidélité de son peuple. Les tribulations et persé- cutions ne sont pas eschatologiques, elles témoignent de l’extra-temporalité de la relation des élus à Dieu. Elles sont puissance de désangoissement. Le temps même cesse d’être un temps de signes et de paroles […]. […] de même qu’elle occulte le doute quant à la salvation individuelle, la reformatio de l’homme est primordialement une élimination de l’emprise eschatologique, un refus du par- ler Dieu dans le monde et dans les hommes. » Ruth Stawarz-Luginbühl 29 réticente à l’idée de laisser partir leur fils pour un voyage long et péril- leux, que le protagoniste éponyme prononce cette injonction pieuse. L’Abraham de Bèze incarne-t-il dès lors ce fidèle exemplaire dont Calvin s’évertue à dessiner les linéaments dans ses prédications et dans ses commentaires, soit un fidèle qui s’efforce de fermer les yeux aux choses présentes tout en « fich[ant] tous les deux yeux en la miseri- corde de Dieu 4 » ? Et qu’en est-il des David, Esther ou encore des trois jeunes Hébreux de Daniel 3 qui, sous la plume d’autres dramaturges huguenots, partageront bientôt avec Abraham l’expérience de cette « rigueur […] estrange » dont Dieu se plaît parfois à accabler les siens, rompant aussi subitement qu’unilatéralement le pacte qui le liait à eux ? Dans quelle mesure la dramaturgie propre à la tragédie antique — puisque c’est sur son patron que toutes les pièces sont modelées — est-elle adaptée à la mise en œuvre du cadre exégétique et éthique pro- posé par Calvin ? Autrement dit, mesurés à l’aune des préceptes calvi- niens, les héros et les héroïnes dramatiques font-ils preuve, durant la traversée de la tentation 5, d’une foi véritablement exemplaire ? Pour répondre à ces questions, nous tâcherons dans un pre- mier temps de mieux cerner la figure de ce que l’on pourrait appeler l’homo probatus réformé en nous appuyant principalement sur les Sermons sur Job déjà cités ainsi que sur une compilation de commen- taires consacrés à Genèse 22, qui inclut notamment celui de Calvin, paru en 1554. Nous nous tournerons ensuite vers les neuf tragédies bibliques qui nous sont parvenues de cette période charnière située aux alentours du début des guerres de religion : l’Abraham sacrifiant de Théodore de Bèze (1550), La desconfiture de Goliath de Joachim de Coignac, la Tragi-comedie d’A. de La Croix (1561), l’Aman d’André de Rivaudeau, les trois Tragedies sainctes de Louis Des Masures ainsi que les deux tragédies de Jean de La Taille, Saül le furieux (1572) et La famine, ou les Gabeonites (1573) 6. Le survol synthétique que 4. Dans l’Institution (1541), Calvin utilise cette expression plus spécifiquement en rapport avec la pénitence, mais elle résume parfaitement la dynamique spiri- tuelle qu’il prône dans ses Sermons sur Job (voir Jean Calvin, Institution de la reli- gion chrétienne [1541], éd. Olivier Millet, Genève, Droz, coll. « Textes littéraires français », 2008, t. i, p. 743). 5. Les deux termes « épreuve » et « tentation » sont utilisés dans ces pages comme synonymes (ce qu’ils sont, de fait, dans la langue du xvie siècle). 6. Théodore de Bèze, Abraham sacrifiant, éd. K. Cameron, K. M. Hall, F. uploads/Litterature/ que-sais-je.pdf

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