LES NOUVEAUX CODES DE L’ÉCRITURE ROMANESQUE DANS LES TAMBOURS DE LA MÉMOIRE (19
LES NOUVEAUX CODES DE L’ÉCRITURE ROMANESQUE DANS LES TAMBOURS DE LA MÉMOIRE (1990) DE BOUBACAR BORIS DIOP ET DANS CES BRAS-LÀ (2000) DE CAMILLE LAURENS UNIVERSITÉ CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR FACULTÉ DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES DÉPARTEMENT DE LETTRES MODERNES Mémoire De Master II Laboratoire de littérature française, francophone, comparée et art du spectacle Option : Littérature comparée Présenté par Mlle Sokhna Fatou DIENG Année universitaire 2016-2017 Sous la direction de M. Augustin COLY Maître-assistant, Docteur d’État 1 Sigles usuels : DCBL : Dans ces bras-là LTM : Les tambours de la mémoire 2 PLAN Introduction Première partie : Rupture et Invention Chapitre I : Architecture du récit I-1 Subversion de l’ordre chronologique I-2 Ambivalence énonciative : polyphonie narrative Chapitre II : Hybridation du roman contemporain II-1 Récits entre réalité et fiction II-2 Récits enchâssés et mise en abyme II-3 Intertextualité Deuxième partie : Procédés esthétiques et narratifs Chapitre III : Discours mémoriel et jeu de langage III-1 Discours de la mémoire III-2 Traces de l’oralité et écriture du discours oral Chapitre IV : Posture de lecteur et métadiscours IV-1 Lecteur-écrivain IV-2 Autocommentaires Conclusion 3 INTRODUCTION 4 Le roman, genre littéraire protéiforme1, n’a cessé de connaître des mutations au cours des siècles. En marge du Nouveau Roman français qui propose une réforme du roman classique, certains écrivains contemporains plus novateurs vont marquer une rupture radicale, une cassure définitive avec le roman de type balzacien. Ces adeptes d’une littérature moins illusionniste et moins naïve proposent aux lecteurs des romans à la lecture assez problématique. Parallèlement, en Afrique subsaharienne, Les soleils des indépendances2, roman d’Ahmadou Kourouma, rompt avec le roman traditionnel africain. Ainsi, une nouvelle orientation du roman se dessine. Celui-ci devient le symbole d’une génération d’écrivains qui a révolutionné une certaine forme romanesque. Les romanciers contemporains, considérant que le classicisme annihile la quintessence du roman, pourfendent les normes établies. Le roman, désormais « deviendra un exercice littéraire plutôt qu’un reflet de faits sociaux»3. Ils balisent le chemin pour ceux qui veulent lui donner une nouvelle facette. Il devient proprement dit un genre composite dans lequel s’enchevêtrent d’autres genres. De la même manière, le factuel et le fictionnel s’y chevauchent et s’y confondent. De plus, la narration n’est plus assurée par une seule voix mais par plusieurs. Dans le cas du roman de Boubacar Boris Diop, nonobstant la présence de l’auteur dans le récit, ce sont les personnages eux-mêmes qui font la narration. En effet, l’auteur opère une distanciation avec son texte, et parallèlement, il établit un dialogue avec son lecteur en revenant souvent sur sa propre écriture. Ainsi, cette logique narrative épouse parfaitement la pensée de Jean Ricardou à propos du nouveau type de roman. Jean Ricardou, romancier et théoricien du Nouveau Roman affirme que « le roman cesse d’être l’écriture d’une histoire pour devenir l’histoire d’une écriture»4, l’axe de la narration étant valorisé aux dépens de celui de la fiction. De même, favorisant le style au détriment du contenu, Henri Lopes abondera dans le même sens que Jean Ricardou et dira à propos du récit : « avant je racontais, maintenant j’écris5». De ce contexte, Henri Lopes débarrasse l’écriture romanesque de son rôle secondaire qui consiste à rapporter avec précision les faits quotidiens. C’est-à-dire que maintenant, « L’écriture devient un exercice de sclérose de la forme et est entièrement 1 Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman (1975), Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1978. 2Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances, Paris, Seuil, 1970. 3 Michel Raimond, Le Roman depuis la Révolution (1967), Paris, Armand Colin, coll. « Poche », 2013. 4Cette citation de Jean Ricardou figure dans plusieurs de ses ouvrages et la présente citation est tirée dans Problème du Nouveau Roman, Paris, Le Seuil, coll. « Tel Quel », 1967, p. 166. 5 Henri Lopes est l’auteur de cette assertion. Il s’est beaucoup intéressé aux nouvelles techniques d’écriture romanesques. C’est l’un des points qui rend intéressant son roman parodique, Le Pleurer-Rire, Présence Africaine, 1982. 5 absorbée par le goût, et peut être même, l’obsession de la fragmentation, du chaos, du micmac….»6 L’écriture n’est plus masquée par le déroulement de l’histoire mais par l’architecture du livre. Désormais, le lecteur ne prête plus attention à l’histoire racontée mais au paradoxe, à l’étrange et à toutes sortes de subversions de fond particulièrement celles qui sont liées à la forme. Le lecteur, lui-même, face à cette désinvolture scripturale, voit ses anciennes habitudes de lecteur récepteur chamboulées par les auteurs. Au même titre que ces derniers, le lecteur devient aussi un créateur. Dans notre corpus, nous nous intéresserons particulièrement à deux romans de deux écrivains contemporains issus de deux espaces littéraires et culturels différents, il s’agit des Tambours de la mémoire7 et Dans ces bras-là8 respectivement écrits par Camille Laurens et Boubacar Boris Diop, auteurs qui s’écartent ostensiblement des normes d’écriture du roman et qui ont des idées de renouveau dans ledit genre. Ils fondent leur expérimentation esthétique sur une parodie exagérée de tous les discours et paradigmes romanesques et sur un renouvellement de la création, la mémoire étant la charpente sur laquelle s’articule leur écriture subversive. Camille Laurens se démarque de ses pairs par son écriture qui se caractérise par une harmonisation savante entre éléments biographiques et fictifs, par des détournements de conventions, une écriture labyrinthique et les jeux formels. Boubacar Boris Diop, aussi est perçu par la critique africaine comme le précurseur d’une nouvelle littérature sénégalaise. « Le mendiant du souvenir»9, tel que le surnomme Hamidou Dia, adopte une nouvelle stratégie de construction romanesque traduisant ainsi, au-delà d’une simple exploration formelle et innovatrice des possibles du roman une esthétique de distanciation et d’hétérogénéité. Ainsi, Boris Diop et Camille Laurens bouleversent les conventions habituelles du roman, telles qu’elles ont prévalu depuis Honoré De Balzac et lui donnent une nouvelle image. Boris Diop et Camille Laurens, deux écrivains de la postmodernité10, tournent en dérision l’écriture romanesque. Nous les percevons comme des romanciers de rupture. 6 Sélom Komlan Gbanou, « Le fragmentaire dans le roman francophone africain », dans Tangence, n°75, Été 2004, p.83. 7 Boubacar Boris Diop, Les tambours de la mémoire, Paris, L’Harmattan, coll. « Encres Noires », 1990. 8 Camille Laurens, Dans ces bras-là, Paris, P.O.L, coll. « Folio », 2000. 9Hamidou Dia, « Boubacar Boris Diop : le mendiant du souvenir, parcours subjectif Des tambours de la mémoire », Ethiopiques n°1, Paris, Nathan, Coll. « Espace Sud», vol 6, 1er semestre 1989, p.112. 10Selon Marc Gontard, il existe une relative unanimité autour d’une poétique postmoderne qui s’articulerait autour des éléments suivants : autoréflexivité, intertextualité, mélange de genres, carnavalisation, polyphonie, présence de l’hétérogène, impureté des codes, ironie métaphysique, déréalisation, destruction de l’illusion mimétique, indétermination, déconstruction […], participation du lecteur au sens de l’œuvre (Le roman français 6 Par ailleurs, l’écriture dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là se caractérise par des constructions baroques11. Par son excentricité et sa difformité, la charpente scripturale dans ces deux romans épouse toutes les caractéristiques définies par la critique comme baroque. Camille Laurens et Boubacar Boris Diop cultivent la déviation formelle dans leur esthétique romanesque. Avec eux, le roman épouse plusieurs discours et adopte différentes typologies. Ces deux romans ont pour clé de voute la mémoire car les différents personnages principaux s’adonnent au souvenir. La narratrice de Dans ces bras-là passe par la psychanalyse et l’écriture pour évoquer les hommes de sa vie. Dans Les tambours de la mémoire, Ismaïla et Ndella, les principaux narrateurs évoquent simultanément le passé de Fadel et celui de Johanna Simentho, la mystérieuse reine. Le souvenir entraine l’imbrication des différentes images du présent, du passé et du futur ; ce qui, indubitablement, annihile la chronologie du roman. La redondance notoire, l’émiettement du récit, le jeu textuel, la réflexion des personnages-écrivants sur l’art du roman qu’ils sont en train d’écrire caractérisent et constituent les éléments qui rendent complexe et original l’écriture dans ces deux romans. Les lecteurs de Boris Diop et de Camille Laurens sont souvent déroutés par la circularité du récit. Ils perdent le fil des événements et ressentent toujours une sensation de déjà lu. Ils torturent le lecteur qui est obligé de faire des retours en arrière entre les pages pour s’assurer qu’il ne relit pas la même chose. Le lecteur est happé par un tourbillon dont il risque de sortir avec des séquelles. D’abord, chez Boris Diop, c’est une oscillation entre présent, passé et futur même si le passé est le temps dominant. Alors que, chez Camille Laurens, les événements de sa vie sont rapportés de manière anachronique. Elle détruit la linéarité de son récit à travers la chronique de ses entretiens avec un psychiatre. Dans les deux textes rien n’est figé, tout s’inscrit dans l’atemporalité et dans l’inaccompli. Comme le souligne Camille Laurens parlant de son propre roman : « ainsi la forme du livre serait-elle discontinue, afin de mimer au fil des pages ce jeu de va-et-vient, ces progrès, ces ruptures qui tissent et défont le lien entre elle et eux » (DCBL, 16). Dans ces bras-là, le «elle » et le « uploads/Litterature/ rapport 21 .pdf
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- Publié le Oct 23, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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