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Jean Wallace Université de Victoria Ananda Devi dans les contes et les mythes Le personnage principal du roman Moi l'interdite d'Ananda Devi se trouve étouffé par une identité imposée. Affreusement maltraitée par sa famille, elle est forcée d'entreprendre un voyage de découverte de soi où elle refuse l'identité imposée. Les références intertextuelles aux contes et aux mythes internationaux qui apparaissent à travers le roman fonctionnent comme soutiens des thèmes principaux, le corps, l'espace, les dualités et, en particulier, l'altérité et la prise de parole. Ces références à autres textes disent d'une manière symbolique, allégorique ou parodique, ce qu'on défend à la jeune fille de dire d'une manière explicite. Ils ajoutent des niveaux de signification et de possibilité à la lecture, et étendent le questionnement, du particulier à l'universel, pour démontrer la nature construite des repères identitaires. Ananda Devi dans les contes et les mythes Introduction Victime de violence et d'indifférence, le personnage principal du roman Moi l'interdite d'Ananda Devi se trouve étouffé par une identité imposée. C’est une jeune fille affreusement maltraitée par sa famille qui est forcée d'entreprendre un voyage de découverte de soi où elle refuse l'identité imposée et va à la recherche de nouvelles identités. Son histoire, narrée en fragments, partiellement cachée et graduellement révélée, est difficile à comprendre. À la fin du roman, le lecteur reste encore perplexe. Mais les références intertextuelles aux contes et aux mythes ajoutent des niveaux de signification et de possibilité à la lecture. Ananda Devi, écrivaine et anthropologue, est née à l'île Maurice, dans une famille d'origine indienne. Son œuvre reflète l'influence des cultures, des langues et des religions diverses de son île natale, une diversité qui provient de la rencontre de l'Afrique, de l'Europe, et de l’Asie du sud est, mais il reflète aussi les problèmes sociaux résultant des communautés divisées et séparées les unes des autres. Publié en 2000, le roman Moi l'interdite se situe à l'Île Maurice. Ce roman évoque plusieurs thèmes dont le corps, l'espace, les dualités et, en particulier, l'altérité et la prise de parole. Ces thèmes sont soutenus par des références constantes aux contes et aux mythes africains, européens et indiens. Dans cette étude, je définirai le concept d'intertextualité que j'ai choisi d'utiliser. Je ferai une lecture du roman à travers les thèmes principaux, et j'examinerai les références intertextuelles aux contes et aux mythes qui soutiennent ces thèmes. J'espère élucider comment la narratrice utilise ces références intertextuelles d'une manière symbolique, allégorique ou parodique, pour présenter ce qu'on lui défend de dire d'une manière explicite. Ces références aident les lecteurs à comprendre comment elle a déconstruit son identité imposée, a démontré son assujettissement, et même, a étendu son questionnement, du particulier à l'universel, pour démontrer la nature construite des repères identitaires. L'intertextualité J’ai décidé d’utiliser l’interprétation du terme « intertextualité » de Julia Kristeva qui a développé les idées de M. M. Bakhtine, telles que les principes du dialogisme et de la polyphonie. Kristeva a précisé dans son texte Séméiôtikè que Bakhtine avait découvert que « tout texte se construit comme mosaïque de citations, [et que] tout texte est absorption et transformation d'un autre texte » (Kristeva, 1969 : 146). Le terme a subi plusieurs qualifications et redéfinitions, mais Graham Allen dit que beaucoup de critiques reviennent aux théories de Bakhtine et Kristeva pour examiner le sujet d'un groupe marginalisé, le sujet qui se voit à travers le langage des autres ; il incorpore et corrompt les voix des autres tout en construisant de nouvelles identités (Allen, 2000 : 161). Ce sujet est toujours en train de se construire et, ainsi, toujours capable de résister aux définitions monologiques de genre, de race, de nationalité et de classe imposées par le pouvoir dominant (Allen, 2000 : 164-66). La critique Sharon Rose Wilson a analysé les références intertextuelles aux contes et aux mythes dans les romans de l’écrivaine Margaret Atwood. Dans la plupart de son œuvre, Atwood utilise plusieurs contes et mythes soit explicitement, soit comme sous-textes à la narration, pour révéler la position inférieure des femmes dans notre société patriarcale. Wilson fait référence aux théories de Kristeva en expliquant qu’Atwood entrelace plusieurs contes qui sont cruciaux à la signification du texte-cadre (Wilson, 1993 : 4-5). Les références ne sont souvent que des échos et des traces de contes, par exemple des mots clés, des motifs, des thèmes, des structures de contes, mais Wilson explique qu'il s'agit plus que de simples influences ou allusions; ces échos et traces fonctionnent comme intertextes (Wilson, 1993 : xi 7). Wilson explique qu'Atwood attire l'attention sur ses intertextes pour fournir un contexte réfléchi d'un discours à double voix, de ce qu'on pourrait appeler le dialogisme de l'intertextualité (Wilson, 1993 : 5). Elle explique qu’Atwood réécrit les anciens contes et mythes, les modifie, les subvertit, les cache dans son texte, et les réutilise d’une manière comique, satirique et parodique pour révéler des personnages, des paysages et des problèmes contemporains (Wilson, 1993 : xi-xii). Ananda Dévi utilise des références intertextuelles aux contes et aux mythes d'une manière subversive, pour donner la parole à son personnage marginalisé. Les contes et mythes subvertis Selon le critique Donald Haase, les contes et les mythes jouent un rôle dans l’établissement des stéréotypes, car les contes et mythes que l’on considère nationalistes, ethniques, et même universels, prescrivent des modes de penser et de se comporter, et, ainsi, ils limitent les réalités des auditeurs (Tatar, 1999 : 360). C’est pour cette raison que les écrivains comme Ananda Devi les utilisent comme intertextes. Ces écrivains jouent avec des éléments du conte et du mythe, reconnu par leurs auditeurs, pour les subvertir et pour apporter d’autres niveaux de signification à la lecture. L'œuvre d'Ananda Dévi partage avec celle d'autres écrivains modernes des qualités du réalisme magique. Selon le critique Margaret Drabble, cette poétique est caractérisée par des éléments réalistes reconnaissables qui s'entremêlent avec des éléments inattendus et inexplicables; c'est un mélange du quotidien avec la rêverie, les contes de fée, et le mythe, souvent présenté sous une forme mosaïque ou kaléidoscopique (Drabble, 2000 : 630). Fréquemment, ces écrivains jouent avec des contes et mythes pour enseigner quelque chose. Par exemple, l'œuvre de Margaret Atwood utilise les contes et mythes pour révéler le déséquilibre de pouvoir de notre société patriarcale (Wilson, 1993 : xiv). Angela Carter subvertit des contes pour révéler la construction culturelle des genres féminins et masculins. (Bristow, 1997 : 2) Marie Claire Blais joue avec des contes classiques et québécois en exposant l’égoïsme et la violence tolérés par notre société. Michel Tournier réécrit des contes et mythes pour nous montrer la folie sociétale qui consiste à privilégier l'économie au détriment de l'environnement et de la charité humaine. (Petit, 1991 : xiv) Tahar Ben Jelloun entremêle les rêves et les contes pour révéler le déchirement produit par l'immigration et le racisme (Kohn-Pireaux, 2000 : 9- 12). Dans Moi l'interdite, Ananda Devi utilise plusieurs contes et mythes d’une manière subversive pour exposer des problèmes sociétaux. Elle entremêle des détails vraisemblables du quotidien avec des fragments de contes, de mythes, de rêves, de souvenirs, et d’éléments fantastiques. C'est un brouillage de frontières entre fantaisie et réalité. Les détails vraisemblables du quotidien rappellent au lecteur que ces problèmes fantastiques représentent des problèmes réels. Lecture de Moi l’interdite La narratrice de Moi l'interdite fait des références intertextuelles à des contes et mythes internationaux. Certaines références sont explicites, tandis que d'autres constituent des allusions plus vagues. Mais la plus forte référence aux contes est la structure elle-même du roman. Devi affirme que ce récit est « plus proche du conte que du roman » (Mongo- Mboussa, 2001 : 40); elle dit qu'en l'écrivant, elle s'est inspirée de la technique du conte oriental (Mongo-Mboussa, 2001 : 42). Elle explique que sa mère l'a nourrie de contes de la tradition indienne, en particulier des contes pris du Mahabarata ou du Ramayana (Corio, 2005 : 161). Elle dit que la structure de ces contes n'est jamais linéaire; c'est plutôt un temps cyclique où beaucoup de personnages reviennent dans le récit plusieurs fois, « en avant et en arrière » (Corio, 2005 :161). Un personnage peut faire quelque chose au début, « mais les conséquences de cet acte ne vont se ressentir qu'à la fin et [les auditeurs] sont obligés dans leur tête de retourner en arrière et de dire : 'Ah, c'est à cause de ça que tout est arrivé' » (Corio, 2005 : 161). Le roman se compose de 15 chapitres, et pareillement aux Milles et une nuits, lorsque Shéhérazade annonce à la fin de chaque conte, l'arrivée d'un nouveau conte, la narratrice de Moi l'interdite annonce, à la fin de chaque chapitre, des éléments (souvent un temps et un lieu) du chapitre suivant. Devi dit que la littérature du Sud est très influencée par la pensée magique et fantastique; les gens savent que les choses ne sont jamais ce qu'elles paraissent et ils doivent chercher une cause cachée et profonde d'évènements, une cause peut-être liée « à des évènements oubliés ou à des esprits » (Corio, 2005 uploads/Litterature/ roman-fait-de-contes 1 .pdf

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